Gouverner c’est "Tweeter"

Encouragé par un échantillon de citoyens 2.0 [1], l’utilisation des réseaux sociaux au service des entités gouvernementales fait l’objet d’une attention croissante de la part des décideurs technophiles. Et en cette année 2009 qui a marqué l’avènement du petit oiseau bleu [2], le mot-clé qui crépite dans les conversations entre Chief Technology Officers, responsables des relations publiques, journalistes, consultants médias et élus c’est bien le verbe "tweeter" (dans sa prononciation francisée). "Hype" du moment pour politiques en mal de branchitude [3] ou petite révolution technologique ? Le réseau promet monts et merveilles mais devra surmonter un certain nombre de défis avant d’être décoré de la médaille de l’utilité publique.

Twitter pour enrichir l’action gouvernementale

Moins un réseau social qu’un réseau d’information, le TNN (Twitter News Network) surclasse petit à petit CNN grâce à sa rapidité de diffusion et la multiplicité des sources.

Déjà adopté par quelques dizaines de millions d’utilisateurs en quête des possibilités offertes en termes de marketing, promotion, communication, messagerie, moteur de recherche, partage d’informations et personnalisation des contenus, Twitter a réussi à enfanter un écosystème d’applications pleines de promesses, grâce une idée : l’ouverture de ses "API" (Application Programming Interface). Tout un chacun, armé de notions de programmation et de son imagination peut ainsi proposer de nouvelles applications exploitant et manipulant les données du réseau.

Outil de veille, le service Twitter permet de suivre des sujets, des marques ou des événements en temps réel. En inventant un concept que ne renierait pas Jean Claude Van Damme [4], les observateurs américains évoquent l’"ambient awareness" du réseau, une conscience globale de l’instant présent alimentée par le flux continu de "tweets" (nom des micro nouvelles).

Outre l’information, la collaboration est peut-être le deuxième pilier du succès de Twitter. L’envoi d’une question à son réseau offre un outil de sondage rapide, gratuit et permet de se rapprocher de ses "followers" (contacts abonnés à ses propres "tweets"). A l’heure de la politique participative, bon nombre d’élus américains commencent à saisir l’opportunité qu’offre ce nouveau moyen d’engager le débat et les dernières élections gouvernatoriales en Virginie ont mis en évidence l’efficacité de l’outil [5].

Plus d’informations disponibles et plus rapidement c’est également plus de transparence, thème cher au Président Obama. Les élus et agences gouvernementales s’activent donc progressivement pour rejoindre le réseau Twitter sous l’impulsion des succès de quelques avant-gardistes. Différentes initiatives voient le jour à Washington et dans les Etats pour mobiliser le gouvernement et les citoyens autour du réseau : débats, conférences, ateliers …, pas une semaine ne passe sans qu’un rassemblement denomme "gouvernement 2.0", "2.5" ou "3.0" ne se retrouve sur la vague Twitter et sur les projets gouvernementaux déjà mis en place. En bonne place parmi ces réussites figure Govluv [6], un site qui connecte déjà 40.000 représentants fédéraux, régionaux et locaux avec leurs électeurs en offrant un outil de recherche par adresse pour visualiser l’activité des ses élus et interagir avec eux.

Twitter et le pouvoir du peuple

Twitter bouleverse les schémas de communications traditionnels. Les canaux de diffusions de l’information sont désormais multidirectionnels entre gouvernement, citoyens, entreprises et médias. La révolution du Twitter c’est aussi cette universalité.

Cela permet également à Twitter de se muer en outil de pression politique grâce à la diffusion virale des informations, notamment grâce à la fonction de ReTweet. Construite sur les API du Twitter, l’application Act.ly [7] offre une plateforme d’activisme pour lancer des pétitions et rassembler les tweeters autour de causes diverses et variées. Le "Think Tank" très conservateur The Heritage Foundation a bien compris l’intérêt des "tweets" pour sa mission de propagande et a réussi à rassembler des milliers de sympathisants en quelques heures grâce au mot-clé #teaparty [8] pour protester contre les impôts et les dépenses du gouvernement devant le Congrès. La mobilisation républicaine s’est ensuite rapidement propagée dans d’autres villes autour du même mot-clé et continue toujours [9].

La résonnance médiatique incontestée appellera d’autres mouvements à s’organiser de la sorte et, de l’autre côté de l’échiquier politique, la communauté latino-americaine est en train de mettre en place sa stratégie pour les réseaux sociaux et l’impact pourrait être marquant. En 2006, les latinos ont commencé à se rassembler lors d’une marche à Chicago, en 2007 ils se sont inscrits sur les listes électorales, en 2008 Obama est élu grâce à leurs voix. Que se passera-t-il lorsqu’ils seront rassemblés sur le Twitter ?

Apprendre à Tweeter : les clés d’une adoption réussie

Si le mouvement d’adoption de Twitter par le gouvernement est incontestable, l’utilisation qui en faîte n’est pas toujours conforme avec les bénéfices attendus. Souvent issus d’une génération peu familière avec les nouvelles technologies, les décideurs et élus ne perçoivent pas toujours avec précision l’intérêt et la portée du réseau Twitter. Un candidat aux élections sénatoriales de l’Utah s’est ainsi retrouvé fort embarrassé après avoir envoyé un tweet, qu’il croyait privé, annonçant "secrètement" sa candidature au grand jour.

L’adoption de Twitter ne se limite pas à la création d’un compte et à la diffusion de communiqués de presse. La stratégie d’utilisation de l’outil doit être soigneusement définie à l’avance pour apporter des résultats fructueux et cette réflexion est encore malheureusement trop rare ou imparfaite parmi les personnalités politiques qui laissent souvent la tâche de diffusion de messages à leurs responsables des relations publiques (cf Obama, qui n’était pas même au courant qu’un de ses assistants tweetait sous son nom). Définir les niveaux de diffusion (institutions, personnes), faire évoluer l’interaction et l’engagement en fonction du nombre de "followers" ou inclure des contenus différenciés voire exclusifs pour attirer les lecteurs sont autant de paramètres clés pour assoir la pertinence de la "Twitterisation" de la politique.

L’etablissement de la crédibilité d’un expediteur de "tweets" est un processus lent car, s’il est aisé de publier des messages vantant la qualité des derniers "tacos" dégustés chez El Conejito ou pestant contre la neige qui décidemment est froide, il est plus difficile de fidéliser des "followers" en leur apportant des informations de qualité et en assurant une interaction avec eux à un rythme quotidien. De tous les réseaux à succès, Twitter est d’ailleurs celui qui dispose du faible taux de rétention [10] d’utilisateurs en raison de la patience nécessaire avant de profiter des bénéfices.

La qualité de la transition à l’ère Twitter dépend principalement du leadership des décideurs et des bonnes pratiques qu’ils sont capables de mettre en place. L’attitude des citoyens a cependant également un rôle à jouer pour apporter la puissance de Twitter au service de la vie politique de leur communauté. Le célèbre Sunset Strip de West Hollywood a ainsi réussi à sortir d’une désaffection populaire et d’une spirale de fermetures de commerces sous l’impulsion du propriétaire du Roxy Theater, haut lieu de la scène rock californienne, qui a su utiliser Twitter pour rassembler les commerçants du quartier, attirer les consommateurs et mobiliser les électeurs du quartier au conseil municipal afin de lancer un festival à succès et redynamiser l’ensemble de la communauté.

La croissance constante de Twitter, de la fréquence des tweets et du nombre d’utilisateurs s’accompagne d’un "Bruit Twitter" et d’un chaos d’informations suivant la même intensification : un petit tour sur Gigatweet [11] vous permettra d’observer le phénomène. L’entretien d’un compte très populaire doit donc s’accompagner de filtres pour éviter de couler sous les tonnes de données et limiter l’aspect chronophage de l’application.

Twitter et la fracture numérique

Si aux Etats-Unis la plupart des législateurs, bloggeurs, lobbyistes, journalistes, consultants et autres décideurs sont désormais sur le Twitter, le réseau est encore largement sous utilisé par l’ensemble de la population pour espérer transformer durablement le rapport entre citoyens et gouvernement. Les derniers chiffres officieux – Twitter ne divulguant pas de données concernant le nombre de ses utilisateurs – estiment aux alentours de 18 millions le nombre d’utilisateurs américains actifs pour 300 millions d’habitants. Parmi ceux-ci on distingue une fracture de générations avec un fort pourcentage de jeunes et une fracture sociale puisque Twitter rassemble essentiellement des personnes ayant un certain niveau d’éducation.

En outre, de plus en plus utilisateurs accèdent à Twitter et aux applications basées sur ses API grâce à leurs téléphones mobiles et cette tendance ne fait que renforcer le caractère urbain du réseau en raison de la couverture mobile hétérogène du territoire américain.

L’extension de l’usage de Twitter à un plus large éventail de citoyens passera par conséquent par une politique volontariste en matière de couverture mobile et de mise à disposition de terminaux bons marché afin de permettre au plus grand nombre de s’impliquer sur le réseau.

Porteur de progrès évidents, Twitter ne peut se présenter comme solution unique pour un "gouvernement 2.0" [11] en phase avec l’ensemble de la société. Il n’est qu’un outil aux côtés des Facebook, Youtube, blogs, LinkedIn et de toute la panoplie de réseaux sociaux privés ou publics. Si la société Twitter s’est bel et bien affirmé en 2009, elle devra confirmer en 2010 et continuer à innover pour ne pas se faire déborder par les nouveaux réseaux sociaux qui arriveront sur le marché. Même si ses dirigeants ne semblent pas en avoir besoin à l’heure actuelle, peut-être pourraient-ils commencer par trouver un moyen de gagner des sous ?

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] The Rise of Citizen 2.0: https://us.i1.yimg.com/us.yimg.com/i/us/ayc/pdf/aa_insights_cit2.pdf
– [2] Le petit oiseau bleu : https://images.google.com/images?rlz=1C1GGLS_fr___US312&sourceid=chrome&q=logo+twitter&um=1&ie=UTF-8&ei=iKIrS_O4Ks2ZlAf5j72jBw&sa=X&oi=image_result_group&ct=title&resnum=1&ved=0CBAQsAQwAA
– branchitude: https://fr.wiktionary.org/wiki/branchitude
– [4] "J-C Van Damme est aware" : https://www.youtube.com/watch?v=Vi5JyCYKZws
– [5] Twitter utilisé par le candidat gagnant au poste de Gouverneur de l’etat de Virginie : https://twitter.com/Bobmcdonnell, https://purplypolitics.blogspot.com/2009/11/new-virginia-governor-bob-mcdonnells.html
– [6] govluv : https://www.govluv.org
– [7] Act.ly : https://www.act.ly
– [8] les mots-cles, distingues avec un signe diese # en initiale, permettent de filtrer les micros nouvelles sur un theme donne.
– [9] le filtage relatif à #teaparty : https://twitter.com/#search?q=%23teaparty
– [10] "Twitter Quitters Post Roadblock to Long-Term Growth": https://blog.nielsen.com/nielsenwire/online_mobile/twitter-quitters-post-roadblock-to-long-term-growth/
– [10] Gigatweet: https://popacular.com/gigatweet/
– [11] Government 2.0: https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58159.htm
– Twitter, l’Iran, la Révolution, le Département d’Etat et les journalists: https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/59590.htm
– Twitter pour nettoyer San Francisco: https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/59495.htm
– Conférence "government 2.5" : https://www.government25.com/
Code brève
ADIT : 61644

Rédacteur :

Franz Delpont [email protected]

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