La fin du soja ?

Figure 1. Crédits : Bill Reitzel

 

La plupart des discours sur l’impact de l’agriculture sur le climat sont centrés sur les industries de la viande et des produits laitiers, et ce à juste titre, l’agriculture animale représentant 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, juste derrière les transports.

Pour nourrir ce bétail, plus de 75% de la production mondiale de soja est utilisée. Aussi, le soja est de plus en plus contesté  en raison de sa forte  empreinte écologique. 

C’est pourquoi FYTO, startup agro-technique et spin-off du MIT, s’est penchée sur cette problématique pour trouver une alternative en utilisant des lentilles d’eau, appelées lemna (cf. Figure 1). Ces lentilles d’eau sont suffisamment riches en protéines pour devenir un bon substitut aux  ingrédients traditionnels pour  l’alimentation animale, pour des aliments d’origine végétale, pour les biofertilisants et les amendements du sol. De plus, ces lentilles d’eau sont des plantes aquatiques qui  peuvent être produites presque partout dans le monde avec une intervention humaine minimale.

Les équipes de FYTO ont réussi à produire ces plantes aquatiques dans un environnement contrôlé et automatisé. A terme ces plantes  pourraient remplacer les protéines de soja et de luzerne* à parts égales, voire plus, tout en réduisant l’empreinte carbone d’une exploitation laitière d’au moins 40 %. En outre, leur produit  pourrait remplacer environ 30 à 40 % de ce que mange actuellement une vache laitière, au lieu des 10 % habituels que représente le soja ou une protéine similaire. Cela est dû à la combinaison de protéines hautement digestibles, d’amidon, de vitamines et de minéraux que FYTO a pu produire en une seule culture.

La startup a commencé à déployer ses systèmes de culture de lemna dans des fermes laitières en Californie, en utilisant le fumier des vaches comme matière première, et en produisant un ingrédient alimentaire de base pour une fraction de l’empreinte carbone du soja ou de l’empreinte eau* de la luzerne.

En produisant localement, souvent sur l’exploitation d’élevage elle-même, leur produit  peut éliminer les émissions et les coûts liés au transport des ingrédients qu’ils remplacent, dont beaucoup sont expédiés à travers le pays ou à l’étranger.

De plus, en utilisant et en valorisant le fumier animal, les plantes aquatiques produites capturent le carbone et l’azote qui, autrement, se retrouveraient dans l’atmosphère et dans les eaux souterraines. Cela permet également aux agriculteurs de ne pas utiliser les engrais synthétiques, qui ont une forte empreinte carbone et posent d’autres problèmes environnementaux tels que le ruissellement et la prolifération des algues.

En fournissant des ingrédients alimentaires denses sur le plan nutritionnel et hautement digestibles, FYTO pense pouvoir réduire les émissions de carbone des animaux eux-mêmes. Une expérimentation est en cours pour  tester activement ce facteur.

Comme le process de production  ne nécessite pas de terres arables et utilise une surface beaucoup plus petite, les risques de déforestation seront fortement diminués.

Dans certaines situations , le process pourrait avoir un bilan carbone négatif , car il permet de stocker le carbone en utilisant le fumier de vache comme principale matière première pour produire ces plantes aquatiques, qui peuvent être ensuite transformées en engrais – lorsqu’elles ne sont pas utilisées comme nourriture – complétant ainsi le cycle et stockant le carbone dans le sol.

FYTO a été fondée par Jason Prapas, ancien directeur de la recherche translationnelle du centre Tata du MIT. Le Tata Center a été fondé en 2012 grâce au soutien généreux des Tata Trusts, l’une des plus anciennes organisations philanthropiques de l’Inde. Les Trusts œuvrent depuis 1919 à l’autonomisation des communautés mal desservies de la société indienne, en apportant un soutien financier à des organisations à but non lucratif dans tout le pays, tout en s’engageant directement dans les domaines de la gestion des ressources naturelles et des moyens de subsistance en milieu rural, de l’éducation, de la santé, des médias, des arts, de l’artisanat et de la culture, ainsi que de la pauvreté urbaine et des moyens de subsistance. 

L’un des membres de la faculté du centre est Esther Duflo, connue pour avoir remporté le Prix Nobel des sciences économiques en 2019.

Mr Prapas a déclaré que “Ce qui rend ces plantes très spéciales, c’est qu’elles peuvent, dans les bonnes conditions, croître incroyablement vite, doublant tous les deux ou trois jours ; 10 à 20 fois plus vite que d’autres cultures protéiques comme le soja ». Il ajoute : « Cependant, cela rend leur culture très exigeante sur le plan physique et logistique, car elle nécessite une surveillance, une fertilisation et une récolte constantes, ce qui crée également un défi en termes de main-d’œuvre et de formation. »

Ce besoin en main d’oeuvre et en surveillance du procédé est apparu comme un point critique pendant la crise sanitaire liée au Covid-19 et aux blocages qui ont suivi. En effet les ingénieurs de FYTO ne pouvait plus accéder à leur nouveau centre de recherche dans le Maine depuis sa base de Cambridge, dans le Massachusetts, car les frontières entre États étaient fermées. Cette situation aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour l’entreprise sans l’intervention du biologiste de FYTO basé dans le Maine, qui a pu s’occuper de la culture.

Les perspectives en terme de développement sont grandes pour FYTO qui pense pouvoir optimiser ses cultures  et ainsi créer  un véritable substitut au soja. Si l’on compare avec le soja, qui a bénéficié de décennies d’améliorations, on peut imaginer un scénario dans lequel FYTO serait capable de produire une culture beaucoup plus nutritive, à croissance plus rapide, consommant beaucoup moins d’eau et de terres, et beaucoup moins chère à produire.

FYTO dispose de plusieurs brevets en cours de délivrance et continue d’agrandir son équipe dans la région de la baie de San Francisco. FYTO espère lever sa série A au début de l’année 2022 pour aider à financer sa croissance. 

*plante riche en protéines

*L’empreinte de l’eau ou Water footprint en anglais est un indicateur basé sur la consommation effective d’eau aux différents stades de la production d’un produit par le consommateur ou le producteur.

 

Rédactrice

Céline Duclos, Attachée adjointe pour la Science et la Technologie – Consulat Général de France à Boston, [email protected]

 

 

 

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