Empreinte carbone de l’activité médicale et conséquences sanitaires du changement climatique : des étudiants en médecine font bouger les lignes

 

Etudiants en médecine et jeunes médecins protestant pour que la santé soit au cœur des décisions pour le changement climatique (crédit : The Global Climate & Health Alliance)

 

Les épisodes environnementaux témoignant du changement climatique se multiplient, et ont un impact de plus en plus important sur la santé humaine. En effet,  il est généralement admis que les problèmes récurrents de sécheresse,  l’augmentation du nombre des incendies, des inondations, des tempêtes, la résurgence d’épidémies, figurent parmi les conséquences du changement climatique. A cela s’ajoutent les problématiques de pollutions, d’appauvrissement des ressources en eau et en nourriture. Dès lors, les services de santé font face à de nouveaux défis tant dans le diagnostic que dans le traitement des pathologies. Aux États-Unis, sous l’impulsion des étudiants, les universités orientent leurs programmes pour préparer les infrastructures et le personnel à ces enjeux de santé publique.

 

Former le personnel et équiper les hôpitaux pour répondre aux nouveaux problèmes sanitaires provoqués par les conséquences du changement climatique

Les conséquences du changement climatique sur la santé  font que des traitements médicaux qui étaient auparavant exceptionnels deviennent désormais communs au sein des services hospitaliers. Les hôpitaux doivent y être mieux préparés, tant au niveau du personnel que du matériel dont ils disposent. Former les médecins et adapter les hôpitaux aux conséquences sanitaires liées aux enjeux climatiques est désormais perçu comme nécessaire par un nombre croissant d’universités américaines. [1]

La crise de la COVID-19 a montré l’importance de l’anticipation de crises impactant la santé humaine en poussant le domaine médical à se réinventer sur plusieurs plans : déploiement de centres médicaux, communication avec la population, efforts de régulation pharmaceutique, accélération de la recherche, mobilisation des civils et des forces armées, enseignement à distance, télémédecine… Cette pandémie a aussi largement montré que les inégalités sociales accentuent les disparités d’accès au soins médicaux et que les populations défavorisées sont davantage affectées à cause de leurs conditions de vie moins saines et des faibles leviers qu’elles ont pour contrer les déséquilibres.

De tels constats ont poussé le système médical américain (et mondial) à réviser son mode de fonctionnement et à travailler pour une médecine plus équitable et plus durable. Sous l’impulsion d’étudiants, qui se regroupent autour de programmes comme le Global Consortium on Climate and Health Education (GCCHE) à Columbia University [2], l’étude des conséquences multiples du changement climatique sur les patients se démocratise. Quand certains enseignements y sont totalement dédiés dans plusieurs universités (Columbia, Harvard, George Washington, Emory, California (plusieurs campus concernés) – pour n’en citer que quelques unes- [1], certains enseignants dans d’autres universités, ne se sentant pas légitimes de proposer des modules spécifiques complets, préfèrent n’apporter que quelques éclairages sur la question. 

Pour y remédier, le Climate Resources for Health Education (CRHE), un collectif formé d’étudiants et de chercheurs à l’échelle fédérale, propose des éléments pédagogiques concernant les impacts physiologiques du changement climatique sur les différents organes du corps humain et à différents stades de la vie (à partir du stade embryonnaire). Ces modules traitent par exemple des risques cardiovasculaires pour les femmes enceintes, de la transmission des substances toxiques ambiantes par le placenta, de l’asthme, de l’accroissement du risque de cancer de la peau avec l’augmentation de la température ambiante… Ils sont rendus accessibles à tous les étudiants en médecine.

Ces considérations ont gagné l’ensemble de la sphère médicale : les écoles dentaires, de pharmacie et instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) ont également suivi le mouvement. Il est de plus en plus fréquent de trouver le label « holistic health »* dans les compétences mentionnées sur les curriculum vitae des jeunes infirmiers et infirmières.

 

Agir et influencer pour la réduction de l’empreinte carbone de l’activité hospitalière

Au-delà de l’impact sur la santé humaine, les universités se penchent également sur leur propre contribution aux dérèglements climatiques et notamment sur leur propre empreinte carbone avec l’ambition de la réduire de façon significative.

Dans cette perspective, certaines universités se lancent dans le développement de soins médicaux “durables”. University of California San Diego (UCSD) dédie par exemple un programme visant à verdir son énergie (réduction d’utilisation et recours aux énergies renouvelables), ses locaux, ses transports médicaux et ses opérations, à réduire et recycler ses déchets, et à considérer les objectifs de développement durable dans la restauration et l’approvisionnement en eau [3]. Yale University a également créé un programme transdisciplinaire, The Yale Program on Health Care Environmental Sustainability (Y-PHES), qui inclut des professionnels de santé publique, de médecine et de soins, des questions environnementales et encore des techniques de management dans le but de mettre en oeuvre les objectifs de développement durable des Nations Unies dans les domaines de la recherche, de la politique publique, de la défense des droits et de l’éducation [4]. En dernier exemple, la liste grandissant sans cesse, University of Washington mise elle aussi sur la transdisciplinarité en faisant collaborer différents corps de métiers et en rassemblant différents cursus de formation autour de la question du changement climatique et de la santé. Son objectif est ainsi de réduire les dépenses et d’améliorer les soins des patients en adoptant des pratiques plus “vertes” qui, d’une part, répondent à l’ambition de réduction de l’empreinte environnementale de l’activité médicale dans son ensemble, et, d’autre part, optimisent les processus, ce qui les rend par ailleurs plus économiques [5].

Le matériel à usage unique étant  encore aujourd’hui associé avec efficacité et stérilité assurée, la réduction des déchets de consommables en plastique dans les hôpitaux est un défi de taille. Le passage aux dispositifs médicaux réutilisables demande de mettre en place des sites de stérilisation dans les locaux hospitaliers. Si cela génère des économies sur le long terme, le marché du réutilisable séduit peu  car il paraît peu compétitif à première vue, et peut sembler moins efficace de prime abord. Un changement de paradigme au sein d’un hôpital demande beaucoup de travail en amont, une mobilisation de ressources humaines, une remise en question et un bouleversement des pratiques. La mise en place de politiques incitatives -même à court terme- pourrait faciliter l’adoption de ces nouvelles pratiques, par exemple en diminuant les coûts pour l’organisme de soin. 

Néanmoins, la réduction des emballages pourrait être une première piste : la jeune entreprise Cabinet Health propose notamment un système de consigne des emballages pour les médicaments sans ordonnance, une démarche qui pourrait inspirer d’autres acteurs. Enfin, les pratiques au sein des centres de soins pourraient être revues afin de réduire au maximum l’utilisation des consommables à usage unique. Cela générerait des économies mais rendrait également les procédés plus efficaces. C’est le pari que fait la startup nSight Surgical, basée à San Francisco : leur système de suivi digitalisé des dispositifs médicaux en salle d’opération, surveillant simultanément le flux de personnel, promet de rendre les chirurgies plus efficaces, plus sécurisées, plus économes et moins consommatrices d’énergie, d’outils et de matières premières. Ainsi, de manière contre-intuitive, l’optimisation des procédés en salle opératoire, qui passe notamment par la réduction du recours aux produits stérilisés, peut, selon cette startup, baisser le taux d’infection opératoire.

De manière générale, que ce soit dans les activités médicales (réduction et traitement des déchets, stérilisation sur site, optimisation des matières premières, réduction de l’énergie, etc.) ou paramédicales (transport ambulanciers, alimentation, eau, utilisation des ressources, construction, maintenance et utilisation des locaux, etc), l’adoption d’une médecine plus respectueuse de l’environnement nécessite en amont des efforts considérables d’analyse, d’adaptation des processus, de formation du personnel, et parfois d’aménagement des espaces. Une optimisation plus globale des processus (achats, traitement des déchets, transport, etc.), du matériel nécessaire (ex: davantage de matériel réutilisable, stérilisation sur place), et des ressources humaines (personnel médical largement éprouvé, réduit et sous-tension), pourrait à moyen terme permettre également de réduire les coûts de fonctionnement des hôpitaux, ainsi que leur empreinte carbone.

 

Conclusion

Face aux conséquences des enjeux climatiques sur la santé, les universités américaines s’engagent à former les médecins et le personnel médical de demain à se préparer, d’une part, à la prise en charge de patients atteints de manière directe ou indirecte, et d’autre part, à adopter des pratiques plus responsables au sein de leurs établissements. Des cycles de formation continue pour les seniors sont également proposés par des collectifs d’étudiants et de professionnels revendiquant la nécessité de se préparer aux risques sanitaires, a l’image du cursus Medical Students for a Sustainable Future (MS4SF). Ces formations attirent déjà le personnel médical à l’échelle des Etats-Unis mais aussi des professionnels de santé et des décideurs politiques d’autres pays**. [1]

 

* Thérapie holistique, qui considère le patient comme un individu dans son ensemble, incluant l’environnement dans lequel il évolue, et non pas comme le sujet d’une maladie ciblant un ou plusieurs organes.

**Le Global Consortium on Climate and Health Education (GCCHE) de Columbia University comprend, par exemple, 298 membres institutionnels répartis à travers le monde, dont 32 en Europe et 3 en France (l’école des hautes études en santé publique de Rennes, le pôle universitaire Euclide de Montpellier, et l’école de médecine de Grenoble Alpes University). [6]

 

Rédactrice

Clara Devouassoux, Chargée de mission pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à Los Angeles, [email protected]

 

Références

1 Led by students, a nascent climate movement is taking hold in medical education | STAT News

2 Global Consortium on Climate and Health Education | Columbia University Irving Medical Center

3 Modeling Sustainable Health Care at UC San Diego Health | University of California San Diego (UCSD)

4 Health Care Sustainability and Public Health | Yale School of Public Health

5 Sustainability and Medicine (SAM) | University of Washington

6 GCCHE Members Institutions | Columbia University Irving Medical Center

7 Climate Effects on Health | Centers for Disease Control and Prevention (CDC)

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