Intelligence Artificielle : les 10 enseignements clés du AI Index Report 2023 du Stanford Institute for Human-Centered Artificial Intelligence (HAI)

L’intelligence artificielle (IA) générative est considérée comme la dernière grande avancée technologique en Silicon Valley, en particulier depuis la sortie publique de ChatGPT par OpenAI en décembre 2022. L’engouement dans la Silicon Valley et dans le monde entier est colossal, annonçant une révolution technologique d’une ampleur telle que celles connues à l’aube d’internet ou du smartphone. Toutefois, cet engouement s’est vite teinté d’inquiétude au vu de l’accélération incontrôlée des développements et des usages. A tel point qu’en mars 2023, une pétition a été publiée et signée par un grand nombre d’experts de l’IA, qui appelle à une pause de six mois dans la recherche sur tout système d’IA plus puissant que GPT-4. Ces experts appellent à un moratoire et soulignent l’importance cruciale d’une réflexion globale sur les performances techniques, l’impact économique, l’éthique et la gouvernance de l’IA. 

Une réglementation en décalage avec la technologie

Sur ce dernier point, rappelons que le document faisant foi à ce jour est toujours le rapport de l’OCDE “Artificial Intelligence Principles”, paru en 2019. Les 5 principes annoncés par l’OCDE visent à promouvoir un développement et une utilisation responsables de l’IA. 

Principes et recommandations de l’OCDE à propos de l’intelligence artificielle – The OECD Artificial Intelligence (AI) Principles – OECD.AI

 

Une nécessité de perspectives communes

C’est dans le but de répondre à cette nécessité qu’est publié depuis 2017 (à l’exception de l’année 2020) l’AI Index Report. Il s’agit d’un rapport à l’initiative d’un groupe diversifié d’experts universitaires et industriels, sous la supervision du Stanford Institute for Human-Centered Artificial Intelligence (HAI). L’AI Index Report est également le fruit d’une collaboration avec diverses organisations, notamment le Center for Security and Emerging Technology de l’Université de Georgetown, LinkedIn, NetBase Quid, Lightcast et McKinsey. 

Notons qu’en matière de réglementation de l’IA, les universités de la Baie de San Francisco sont extrêmement bien placées pour alimenter le débat, puisqu’elles parviennent à réunir en un même lieu les plus grands experts du domaine. 

Par exemple, le 13 avril 2023 s’est tenu au Stanford Center for Legal Informatics la conférence CodeX FutureLaw 2023, regroupant juristes, chercheurs en informatique, en éducation, en sciences sociales, assurances, spécialistes de la législation, entre autres. Parmi les sujets ayant le plus animé les débats, on peut citer  la capacité des IA génératives à réussir avec succès l’examen du barreau, les disparités dans l’accès à la justice (et dans l’accès aux IA génératives), les biais des IA génératives utilisées dans la lutte contre le crime, le concept de “loi adaptative” et les régulations associées, l’utilisation des IA génératives sur les réseaux sociaux, et les changements profonds à venir dans les interactions entre citoyens et gouvernements.

En parallèle, le centre de recherche CITRIS and the Banatao Institute de l’université de Berkeley, a proposé tout au long du mois d’avril 2023 une série de séminaires autour des questions de contrôle et de régulation de l’IA. Le séminaire d’ouverture par Stuart Russel, professeur de sciences informatiques et auteur du plébiscité “Artificial Intelligence: a modern approach”, pose notamment les bases du nouveau concept de “Beneficial AI”, soulignant l’importance de la notion d’alignement de l’IA (qui décrit l’alignement des objectifs de la machine avec ceux de l’humain). Les séminaires suivants ont dressé un tour d’horizon de l’apprentissage par renforcement (Sergey Levine), la dimension économique de l’IA et le rôle de l’individu (Michael I. Jordan), et les impacts concernant la protection de la propriété intellectuelle (Pamela Samuelson).

A ce stade, si la mobilisation des experts et l’effort de communication sont exemplaires, on constate en revanche une difficulté de ces communautés à proposer des solutions de gouvernance de l’IA implémentables à court terme, et à l’échelle globale. Ces discussions se conduisent par ailleurs au sein d’un groupe restreint d’experts et ne sont pas encore inscrites dans une démarche consultative avec le grand public, bien qu’étant le plus impactées par ces avancées. 

L’AI Index Report en 10 points saillants

L’AI Index Report est donc un document de référence pour cette communauté, bien qu’il soit essentiellement axé sur les Etats-Unis. Le contenu de ses 6 chapitres peut se résumer en une dizaine de faits saillants.

1- L’industrie prend de l’avance sur le monde universitaire en matière de publication de modèles d’IA. 

Jusqu’en 2014, la plupart des modèles d’apprentissage étaient publiés par les universités. La tendance s’inverse en 2022 avec la production de 32 modèles de machine learning par l’industrie contre seulement trois pour les universitaires. La construction de systèmes d’IA de pointe exige en réalité de plus en plus de grandes quantités de données, de puissance informatique et donc d’argent, ressources que les acteurs de l’industrie possèdent par nature en plus grande quantité que les organisations à but non lucratif et les universités.

2- L’IA produit des résultats de pointe à un rythme soutenu, mais les outils d’évaluation de leurs capacités doivent être revus.

Les outils traditionnels d’évaluation sont de plus en plus rapidement saturés par les IA actuelles, et ne sont plus en mesure de refléter les progrès de l’IA. Cependant, de nouvelles suites d’outils plus complètes sont en cours de développement et de publication. Par exemple :

  • Le Beyond the Imitation Game Benchmark (BIG-bench) est un outil collaboratif destiné à sonder de grands modèles de langage et à extrapoler leurs capacités futures.
  • L’évaluation holistique des modèles de langage (HELM) est une référence qui vise à améliorer la transparence des modèles de langage.

3- L’IA est à la fois bénéfique et néfaste pour l’environnement.

Des études mettent en lumière l’impact sérieux que peuvent avoir les nouveaux modèles d’IA. En 2022, il a été estimé que l’entraînement d’un modèle (ex. BLOOM) pouvait émettre jusqu’à 25 fois plus de carbone qu’un voyageur aérien prenant un vol en aller simple de New York à San Francisco. Néanmoins, il est indéniable que l’IA accélèrera la transition vers un développement plus durable. Par exemple, les nouveaux modèles d’apprentissage par renforcement, tels que BCOOLER, montrent que les systèmes d’IA peuvent être très bénéfiques pour optimiser la gestion et l’utilisation de l’énergie.

4- Les modèles d’IA accélèrent le progrès scientifique. 

En 2022, les modèles d’IA ont été utilisés pour faciliter les simulations sur la fusion de l’hydrogène, améliorer l’efficacité de la gestion énergétique et pour générer de nouveaux anticorps. Des avancées scientifiques majeures sont à attendre grâce à l’IA dans les prochaines années (à l’image du développement des vaccins et traitements contre le COVID-19).

5- Le nombre d’incidents concernant les mauvais usages de l’IA augmente rapidement.

Selon la base de données de l‘AIAAIC, qui recense les des incidents liés à l’utilisation abusive de l’IA sur le plan éthique, le nombre d’incidents et de controverses liés à l’IA a été multiplié par 26 depuis 2012. Cependant à ce jour, l’impact en termes de retombées mondiales de ces usages malveillants reste relativement modéré.

6 – La demande de compétences professionnelles liées à l’IA augmente dans pratiquement tous les secteurs industriels américains.

Dans tous les secteurs des États-Unis pour lesquels des données sont collectées (à l’exception de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche et de la chasse), le nombre d’offres d’emploi liées à l’IA a augmenté en moyenne de 1,7 % en 2021 à 1,9 % en 2022.

7 – Pour la première fois au cours de la dernière décennie, l’investissement privé dans l’IA a diminué.

L’investissement privé mondial dans l’IA s’élevait à 91,9 milliards de dollars en 2022, ce qui représente une baisse de 26,7 % depuis 2021. Le nombre total de transactions liées à l’IA ainsi que le nombre d’entreprises d’IA nouvellement financées ont également diminué. Néanmoins, au cours de la dernière décennie, l’investissement dans l’IA a augmenté de manière significative. En 2022, le montant des investissements privés dans l’IA était 18 fois plus élevé qu’en 2013.

8 – Bien que la proportion d’entreprises ayant adopté l’IA ait atteint un plateau, celles qui l’ont adoptée continuent de se démarquer en termes de compétitivité.

Selon les résultats de l’enquête annuelle de McKinsey, la proportion d’entreprises adoptant l’IA s’est stabilisée entre 50 % et 60 %. Néanmoins, cette proportion a plus que doublé depuis 2017. A ce jour, les entreprises qui ont adopté l’IA déclarent avoir réalisé des baisses de coûts significatives et ont vu leurs revenus augmenter.

9 – L’intérêt des décideurs politiques pour l’IA est en hausse.

Les archives législatives de 127 pays révèlent une augmentation significative du nombre de projets de loi adoptés traitant de l’Intelligence Artificielle, passant de 1 en 2016 à 37 en 2022.

10 – Les citoyens Chinois font partie de ceux qui sont les plus positifs à l’égard des produits et services d’IA. Les Américains… pas tellement. (Les Français encore moins).

Dans une enquête IPSOS réalisée en 2022, 78 % des Chinois interrogés (la proportion la plus élevée parmi les pays étudiés) étaient d’accord avec l’affirmation selon laquelle les produits et services utilisant l’IA présentent plus d’avantages que d’inconvénients. Après les Chinois, les répondants d’Arabie saoudite (76 %) et d’Inde (71 %) sont les plus positifs à l’égard des produits de l’IA. Seuls 35 % des Américains interrogés (parmi les pourcentages les plus faibles au sein des pays cités) sont d’accord pour dire que les produits et services utilisant l’IA présentaient plus d’avantages que d’inconvénients.

 

AI Index Report: zoom sur le positionnement de la France en matière d’IA

  • D’un point de vue Technologique, la France reste dans la course sans pour autant se positionner en tant que leader. En 2022, les États-Unis ont produit le plus grand nombre de systèmes de ML (16), suivis par le Royaume-Uni (8) et la Chine (3). On en compte 1 pour la France en 2022. 
  • En termes d’offres d’emplois, les États-Unis sont en tête de liste des pays qui recrutent le plus de professionnels spécialisés en IA. En effet, la publication de d’offres d’emploi dans l’IA a été la plus importante aux États-Unis (2,1 %), au Canada (1,5 %) et en Espagne (1,3 %). La France occupe actuellement la 12ème place dans le classement des pays publiant des offres d’emploi exigeant des compétences en Intelligence Artificielle, avec une proportion de 0,83 %.
  • Concernant les investissements privés dans l’IA, les États-Unis sont en tête du classement mondial en termes d’investissements privés dans l’IA avec 47,4 milliards de dollars investis en 2022, soit près de 3,5 fois le montant investi en Chine (13,4 milliards de dollars), et 11 fois le montant investi au Royaume-Uni (4,4 milliards de dollars), et 26,7 fois le montant investi en France (1,77 milliards de dollars).
  • D’un point de vue législatif, le rapport analyse également le nombre de lois contenant des mentions d’IA ayant été adoptées de 2016 à 2022. La France se positionne en 11e position avec l’adoption de 4 lois entre 2016 et 2022. Les États-Unis sont en tête de liste avec 22 lois, suivis du Portugal et de l’Espagne.
  • Concernant les avantages et les inconvénients relatifs aux services utilisant l’IA, les opinions varient considérablement d’un pays à l’autre. Une enquête IPSOS indique que parmi les 28 pays étudiés, la France et le Canada ont les opinions les plus négatives, avec pour la France uniquement 31% de la population en accord avec les avantages de l’IA. En revanche, les Chinois estiment que les produits et les services de l’IA ont un impact positif sur la qualité de la vie – Encore faut-il être en mesure de définir (et mesurer) ce que serait un impact positif ou négatif de l’IA.

 

Téléchargez le rapport complet : https://aiindex.stanford.edu/report/

Rédactrices : 

Valentine Asseman, attachée adjointe pour la science et la technologie au consulat de France de San Francisco, [email protected] 

Emmanuelle Pauliac-Vaujour, attachée pour la science et la technologie au consulat de France de San Francisco, [email protected] 

Références bibliographiques : 

The OECD Artificial Intelligence (AI) Principles – OECD.AI 

https://aiindex.stanford.edu/report/ 

CITRIS – BAIR Distinguished Lectures on the Status and Future of AI – UC Berkeley (April 2023)

Letter signed by Elon Musk demanding AI research pause sparks controversy

 

Partager

Derniers articles dans la thématique
,