Joceline Lega, une mathématicienne à l’Université d’Arizona – Tucson, Arizona

JPEGProfesseure de mathématiques, et plus spécifiquement de mathématiques appliquées à l’Université d’Arizona (UArizona), Joceline Lega se passionne pour les découvertes scientifiques, le partage des connaissances, la transdisciplinarité et les applications mathématiques élégantes. Avec ses collaborateurs, elle cherche à expliquer des phénomènes physiques et biologiques grâce aux mathématiques !

La curiosité de Joceline Lega pour le fonctionnement des phénomènes du monde réel l’amène en effet à développer de nouveaux modèles mathématiques qui permettent de mieux les expliquer. « Considérez par exemple l’épidémie du coronavirus en Chine, ou sur le bateau de croisière qui a accosté au Japon. Il serait utile de pouvoir décrire en avance, avec un certain degré de précision, le nombre de cas qui sera enregistré, ou bien le nombre de nouveaux cas qui risquent de se déclarer chaque jour. Si la transmission du virus se propage localement, ou s’étend plus globalement, est-ce que les systèmes de santé publique seront prêts à soigner tous les patients atteints ? Si l’on en vient à fermer des écoles, à quel moment serait-il préférable de prendre une telle décision ? Les modèles mathématiques permettent d’explorer différents scénarios pour aborder ces questions. Il est important de comprendre le fonctionnement de ces modèles, qui ont souvent beaucoup de paramètres, afin de savoir comment les combiner avec des données recueillies en temps réel afin de produire des prédictions réalistes et utiles. »
Sa passion lui a permis de travailler au cours de sa carrière avec des chercheur.e.s en dynamique des fluides, en optique, en neuroscience, en géoscience, en biologie, et plus récemment en santé publique. « Je m’intéresse à présent, avec des étudiant.e.s et collègues de divers départements, à établir l’utilité de certains modèles non-linéaires simples pour prédire le nombre de cas de grippe dans les US, à modéliser l’effet du climat sur la présence des moustiques (qui peuvent transmettre certaines maladies), et à comprendre comment le déplacement des individus affecte la globalisation des maladies. »

Un langage aux origines lointaines et aux applications en évolution

Les mathématiques appliquées ont des origines lointaines. Joceline Lega rappelle que « de tout temps, l’humanité a essayé de comprendre le monde qui l’entoure ; les mathématiques proposent un langage et une structure pour développer une telle compréhension du monde réel. » La biologie est un domaine de recherche qui a vu ses relations avec les mathématiques appliquées évoluer très fortement. Cela s’explique au cours du siècle passé par le fait que la biologie a progressivement cessé d’être uniquement descriptive pour devenir une science post-galiléenne, quantitative, prédictive… L’explosion de la production de données a ainsi permis depuis une trentaine d’années le développement de la biologie mathématique pour de nombreuses applications. Néanmoins, parmi ces évolutions des mathématiques appliquées qu’elle observe, Joceline Lega note une tendance qu’elle estime alarmante, qui est de réduire le sujet à la seule utilisation d’outils mathématiques pour résoudre des problèmes spécifiques. « Il est important de voir le domaine des mathématiques appliquées comme un domaine de recherche qui développe des résultats mathématiques, dans un contexte inspiré par des applications. » Elle ajoute qu’un autre aspect de sa propre « recherche est plus théorique et consiste à comprendre le rôle de certains phénomènes non-linéaires dans des équations aux dérivées partielles ou dans des systèmes dynamiques discrets. »

La collaboration comme moteur de la mobilité vers les États-Unis

JPEGOriginaire de Nice, Joceline Lega a fait toutes ses études en France : classes préparatoires à Nice, École Normale Supérieure à Paris (promotion 1984), puis un DEA et sa thèse à Nice en Physique Théorique. « Après ma thèse en 1989, j’ai obtenu un poste au CNRS, à l’Institut Non Linéaire de Nice Sophia-Antipolis. Je passais beaucoup de temps à l’époque à collaborer avec différents groupes de recherche dans différents pays, y compris en Arizona. En 1997, j’ai demandé et obtenu un détachement du CNRS pour prendre un poste d’Assistant Professor à l’Université d’Arizona.

J’ai été promue Associate Professor en 2000 et Professor en 2006. » Joceline Lega est également affiliée à la faculté de santé publique et coordonne le programme postdoctoral de mathématiques. Elle a par ailleurs été distinguée scientifiquement au grade de Fellow en 2017 par l’American Association for the Advancement of Science, la plus grande société scientifique généraliste du monde, dont les objectifs sont de promouvoir la coopération entre les scientifiques, de défendre la liberté scientifique, d’encourager la responsabilité scientifique, de soutenir l’éducation et la vulgarisation scientifique. Cette distinction est une démonstration supplémentaire de la curiosité sans faille de la chercheuse. Cette curiosité s’est manifestée tôt. Enfant, Joceline Lega était fascinée par l’anthropologie physique et rêvait d’un jour travailler pour le CNRS en tant qu’anthropologue ! « Ma tante était une mathématicienne et mes parents m’ont toujours encouragée à aller le plus loin possible dans mes études, de façon à avoir le choix lorsqu’il s’agirait de prendre des décisions pour le futur. » L’expatriation en Arizona s’est dessinée plus tardivement lorsque l’occasion s’est présentée. « Ce qui m’a attirée à l’Université d’Arizona est qu’il y est très facile de collaborer avec des experts dans d’autres disciplines ; les universités américaines ont de très grands campus où convergent les sciences, les lettres, la médecine, et l’ingénierie ? alors qu’en France les matières sont souvent séparées et éloignées avec le campus de lettres dans une partie de la ville, les sciences sociales dans une autre, la médecine ailleurs, etc. Étant donné mon intérêt pour la modélisation mathématique, avoir la possibilité de découvrir de nouveaux domaines et de contribuer à des questions de recherche dans ces domaines, tout cela sur place, est un avantage considérable.

Ceci dit, la valeur de la recherche interdisciplinaire ou même transdisciplinaire est beaucoup mieux appréciée de nos jours, en France et ailleurs. »

Joceline Lega poursuit de nombreuses collaborations. « Mes publications récentes de modélisation portent sur la prédiction de la grippe, l’abondance des moustiques, et la prédiction en temps réel du nombre de cas de chikungunya dans l’épidémie de 2014-15 aux Caraïbes. » Sa collaboration avec l’UMI (Unité Mixte Internationale) iGlobes à Tucson, Arizona, est la plus récente. Ce centre de recherches créé pour établir un pôle d’interactions collaboratives entre la communauté scientifique française et les chercheurs de l’UArizona, favorise une recherche interdisciplinaire innovante sur les défis environnementaux. C’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle indique qu’elle encadrera très bientôt, avec un collègue parisien, un stagiaire français sur la modélisation de la propagation du chikungunya à Puerto Rico ! Elle précise qu’iGlobes est une structure qui permet l’accueil de stagiaires français.e.s à l’Université d’Arizona ? n’hésitez pas à contacter l’organisme pour plus d’informations.
Le parcours de Joceline Lega démontre la possibilité d’établir des collaborations fortes entre la France et les États-Unis et de partir en mobilité ; il faut selon elle « ne pas avoir peur de changer ses habitudes et bien vouloir découvrir des cultures nouvelles, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs. »

De l’importance de la diversité, des encouragements et de la persévérance

Que peuvent les femmes pour les mathématiques appliquées, pour les sciences ? À nouveau, c’est la curiosité qui sous-tend la réponse de Joceline Lega. Elle rappelle qu’il ne faut pas oublier que très souvent « en science et ailleurs, le vrai progrès a lieu en s’éloignant des sentiers battus. » La diversité, dont la diversité de genre, est un facteur positif de l’évolution de la science. Elle présente d’ailleurs divers éléments soulignant cette nécessité dans l’article Diversity Matters accessible sur son blog.
L’univers des mathématiques est reconnu pour être principalement masculin, et il y a en effet proportionnellement très peu de femmes chercheures dans le département de Joceline Lega. Cette dernière a pourtant poursuivi son chemin, en soulignant qu’une des difficultés rencontrées dans le milieu professionnel est l’appréhension par les autres des réactions des femmes. Joceline Lega explique : « cette difficulté a été très bien évoquée par Fiona Hill lors de son témoignage devant le Congrès américain ; lorsqu’une femme est en colère, il est facile de dire que ce sont les émotions qui régissent son comportement, et qu’il n’y a donc pas de raison de supposer qu’il y ait un problème réel, alors qu’une complainte similaire venant d’un homme dans le même contexte professionnel serait immédiatement prise au sérieux. » Avec optimisme, Joceline Lega remarque que les mentalités évoluent. Le système éducatif est également en train de changer : « Pour de nombreuses générations, réussir signifiait que l’on arrivait à suivre un parcours et à adopter un comportement prescrit d’avance. Soit on réussissait, soit on abandonnait, il n’y avait pas vraiment d’option intermédiaire. » Selon elle, la définition de succès a changé : « l’emphase est à présent sur la personne dont le but est de réussir ; si quelqu’un a des intérêts variés, a besoin de plus de temps, ou préfère suivre un parcours différent, il n’y a pas de raison que toutes les portes se ferment. En tant qu’éducateurs, nous devons accueillir la diversité à bras ouverts, non seulement parce que chacun a droit à une éducation efficace, mais aussi parce qu’une société diverse et bien éduquée est bien mieux adaptée à faire face aux enjeux à venir. »
Joceline Lega n’a pas été guidé par des modèles en particulier, mais plutôt par une vocation : « je mettais l’accent sur ce que je voulais faire ». Ceci dit, elle précise les yeux souriants : « ma tante et marraine, Josette Guiu-Roux, m’a beaucoup guidée et conseillée lorsque j’ai pris la décision de faire des études supérieures. D’autre part, Josiane Serre qui était Directrice de l’École Normale Supérieure lorsque j’ai terminé ma thèse, m’a encouragée à poursuivre une carrière de chercheure. » Les encouragements sont précieux, et chacun a un rôle à jouer pour encourager les jeunes (femmes) à se lancer dans des parcours scientifiques. « La question de l’éducation et du rôle de l’enseignement ne peuvent pas être résolues en quelques mots. Je me souviens que mon père me disait toujours de ne pas systématiquement croire ce que les gens disent (par exemple : c’est trop difficile de faire des maths, ou de la physique ; ou alors : tout le monde rate cet examen, ce n’est donc pas la peine d’essayer…), que chacun est différent, et qu’il est important de former son propre jugement en fonction de sa propre expérience ». En définitive : « il ne faut pas avoir peur d’explorer les options et de choisir la carrière que l’on désire ; il ne faut pas laisser les autres vous dire quelle carrière vous voulez ou devez choisir ; et il ne faut pas avoir peur de persévérer. »

Pour en savoir plus :

Site Web et Blog de Joceline Lega : https://lega.uazmath.org
Site internet du Département de Mathématiques de l’Université d’Arizona : https://www.math.arizona.edu/about/department
Site internet du centre de recherche iGlobes : https://www.cnrs-univ-arizona.net/

Interview réalisé par Maëlys Renaud – Attachée adjointe pour la science et la technologie, Los Angeles  [email protected]
Photo 1 de Nick Ercolani : Joceline Lega
Photo 2 de Joceline Lega : Environnement et ressources naturelles, Bâtiment 2

Cet article a été initialement publié sur le site du Consulat Général de France de Los Angeles

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