La recherche privée américaine avance à marche forcée dans la lutte contre le coronavirus et marque des points en termes d’essais cliniques innovants

Le paysage américain de la recherche privée sur le SARS-CoV-2 est extrêmement foisonnant et varié. De nombreuses molécules sont étudiées et plusieurs font l’objet d’essais cliniques dédiés, notamment dans le secteur de l’immunothérapie mais aussi des vaccins où un deuxième essai clinique de phase I vient d’être autorisé (en date du 4 avril 2020). Les entreprises investissent sur fonds propres et anticipent financièrement une phase de montée en puissance très rapide, le tout dans un schéma de collaboration intense et innovante avec les agences fédérales.
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Une réponse volontariste, foisonnante et variée du secteur privé de la recherche américaine  

En l’absence de traitement et alors que le nombre de cas et de décès augmentaient, et que le nombre de lits d’hôpitaux et de lits de soins intensifs ou de ventilateurs commencaient à manquer, le paysage américain de la recherche privée sur le SARS-CoV-2, qui implique plus d’une centaine d’entreprises, est apparu à l’occasion de cette crise comme particulièrement dynamique et diversifié.

Les entreprises du secteur capitalisent sur les travaux initialement entamés lors des épidémies précédentes de SARS-CoV-1 et MERS-CoV.

L’entreprise Regeneron Pharmaceuticals (NY) développe un traitement qui a fait l’objet d’un essai de phase I dans le cadre du programme MERS-CoV en 2019. iBio (Delaware) et CC-Pharming (Pékin) développent et testent conjointement un vaccin COVID-19 en se basant sur leurs travaux sur le MERS. Sanofi développe en partenariat avec la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) un vaccin COVID-19 sur la base de travaux antérieurs contre le SARS-CoV-1. Enfin, Vir Biotechnologies (CA) travaille sur un anticorps isolé chez un patient atteint du SARS-CoV-1 et qui neutralise le SARS-CoV-2.

Les groupes pharmaceutiques et les entreprises de biotechnologie se sont lancés dans de grands programmes de recyclage de leurs molécules ayant des propriétés antivirales.

Sont notamment présentes sur ce secteur des compagnies pharmaceutiques comme Johnson & Johnson, Abbvie, Pfizer etc…  Gilead avec le Remdesivir, initialement développé pour Ebola, a fait partie des entreprises les plus suivies du secteur depuis que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a annoncé en février que cette molécule était l’un des candidats phares contre le coronavirus. Le Remdesivir est utilisé dans des essais cliniques en Chine et 5 essais ont été ouverts aux Etats-Unis entre fin février et fin mars.

Les biotechs, dont certaines apparaissent dans de multiples partenariats (Sorrento Pharmaceuticals (CA), Vir Biotechnologies…), tirent leur épingle du jeu sur des programmes plus ciblés, avec des molécules pour lesquelles les essais de phase II ou III ont déjà commencé en Chine et ont été initiés un peu plus tard (avril) aux Etats-Unis.

L’hydroxychloroquine, bien que controversée, a suscité beaucoup d’intérêt aux Etats-Unis où 17 essais cliniques portés en grande majorité par des universités dispersées sur le territoire étaient répertoriés en avril 2020. Parmi ces essais cliniques, 3 étaient à cette époque en en phase I, 9 en phase II et 5 en phase III (11 n’avaient pas encore démarré). A titre anecdotique, seule l’entreprise ProgenaBiome (CA) est sur ce créneau avec son essai de phase II visant à évaluer la combinaison de 5 molécules – hydroxychloroquine, azithromycine, vitamine, vitamine D et zinc chez 60 patients -, et deux autres entreprises, Pinpoint therapeutics (PA) et Aldeyra Therapeutics (MA) travaillent respectivement sur un dimère de chloroquine, et deux molécules proches de la chloroquine et l’hydroxychloroquine

Les biotech américaines se sont aussi massivement mobilisées sur les solutions vaccinales et immunothérapeutiques. Deux essais de phase I sont déjà initiés !

Une trentaine de projets de recherche vaccinale, pas moins d’une quarantaine de projets dans le secteur de l’immunothérapie, une demi-dizaine d’entreprises travaillant sur des thérapies cellulaires pouvaient être identifiées en avril.

Vaccins à mRNA ou à ADN, l’innovation comme vecteur d’accélération mais aussi de concurrence

Le projet phare de vaccin à mRNA pour lequel l’essai de phase I a débuté fin mars est porté par la société Moderna Therapeutics (MA), présidée par un français, Stéphane Bancel. Moderna Therapeutics n’est cependant pas la seule entreprise de la région bostonienne à être présente sur les vaccins à mRNA, puisque Sanofi a annoncé le 27 mars la mise en place d’un partenariat avec la société Translate Bio (MA) en vue de développer un vaccin à mRNA. La troisième entreprise américaine travaillant sur ce type de vaccins est la société Arcturus Therapeutics (CA), basée à San Diego.

Autre approche innovante, les vaccins à base d’ADN sur laquelle la société Inovio (Pennsylvanie) s’est positionnée. Inovio a entamé un essai clinique de phase I en Chine en partenariat avec Beijing Advaccine Biotechnology en même temps qu’elle a ouvert début avril un essai clinique de phase I aux Etats-Unis [1]. Quant à l’entreprise Linearx (Stonybrook, NY), elle a formé une joint venture avec l’entreprise italienne Takis afin de tester et produire en grande quantité 5 candidats vaccins à base d’ADN.

Si elles n’y sont déjà, ces entreprises avancent à marche forcée vers les essais cliniques en raison de la relative « facilité » de production du produit thérapeutique : une production rapide et très maîtrisée, se faisant totalement in vitro et ne nécessitant pas l’utilisation d’antibiotiques ou de processus fastidieux de production, ou de purification et contrôle qualité des vaccins à bases de peptides ou protéines.

Les promesses induites par la vitesse d’avancement de ces projets entraînent l’apparition de bien des convoitises. Les actualités se sont ainsi fait l’écho de la proposition financière de l’administration Trump à l’entreprise allemande CureVac, positionnée sur le secteur des vaccins à mRNA, en contrepartie d’un développement et d’une production de son vaccin exclusivement aux Etats-Unis !

–  Une actualité brûlante sur la question des traitements par anticorps monoclonaux ou immunoglobulines

D’anciens traitements par immunothérapies se sont retrouvés sous les feux de la rampe tels que les transfusions de dérivés sanguins, plasma de convalescents [2] ou globulines hyperimmunes. En ce qui concerne le plasma de convalescents, on décompte une dizaine d’essais en Chine, et au moins 4 aux Etats-Unis [3]. La FDA qui avait initialement facilité l’accès au plasma de convalescents en autorisant les demandes d’utilisation via une procédure d’urgence (emergency Investigational New Drug, eIND), a pris depuis le 3 avril la tête d’une coordination nationale visant à faciliter le développement et l’accès sur le plan national à ces deux thérapies expérimentales. La Mayo Clinic pilote ce programme et la Croix-Rouge américaine aidera à collecter le plasma et à le distribuer. Parmi les sociétés américaines présentes sur ce secteur, citons par exemple GigaGen, Takeda – qui a formé une alliance internationale sur le sujet avec Biotest, CSL Behring, BPL, LFB, et Octapharma, et possède un imposant centre de recherche dans la région de Boston -, Cerus Corporation (CA), Vitalant Research Institute (AZ) ou Emergent BioSolutions (MD).

En dehors des traitements par dérivés sanguins, les recherches sur les anticorps monoclonaux ciblant différentes voies immunitaires ou des portes d’entrées du coronavirus sont particulièrement nombreuses.  Parmi celles-ci, l’entreprise Regeneron a isolé des centaines d’anticorps humains à partir de souris dont le système immunitaire a été « humanisé » ou de patients COVID-19 qui se sont rétablis. Regeneron est par ailleurs engagée dans un partenariat avec Sanofi afin de réaliser un essai clinique de phase II/III visant à tester l’efficacité du Kevzara, un anticorps monoclonal ciblant la voie de l’interleukine 6, chez des patients atteints de forme sévère de COVID-19.

Des biotechs qui investissent sur fonds propres et anticipent une phase de montée en puissance très rapide

Les entreprises de recherche du secteur de la santé bénéficient de façon importante des aides financières de la DARPA, de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), tout en émargeant auprès des grands financeurs comme le Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI) ou les fonds caritatifs de la Bill and Melinda Gates Foundation. Citons par exemple Novavax qui a reçu $4M du CEPI, Inovio – $9M du CEPI et $5M de la Gates Foundation –, ou les partenariats de Sanofi Pasteur, Johnson & Johnson, Regeneron, Genentech, ou Innovation Pharmaceuticals avec la BARDA.

Ces aides ne suffisent pas pour les entreprises de biotechnologies, généralement dépendantes de levées de fonds pour initier des projets de R&D allant de la preuve de concept à des phases I. Cependant, conscientes de l’urgence (et peut-être du marché potentiel), elles ont lancé ces efforts de R&D sur leurs fonds propres afin de tester leurs molécules ou leurs vaccins. BIO, l’organisation américaine responsable des grandes conférences dans le domaine de l’innovation biotechnologique, a fait remarquer que de nombreuses sociétés de biotechnologie – dont beaucoup ont des budgets serrés et n’ont pas de produits commerciaux – « offrent de faire ce qu’elles peuvent pour apporter leurs technologies, leurs composés, quels qu’ils soient » pour s’attaquer au virus.

L’effort financier est immense même pour une entreprise comme Moderna Therapeutics, extrêmement bien dotée. Stéphane Bancel, dans un entretien donné au MIT le 1er avril, précisait qu’ils avaient sollicité l’accord de leurs investisseurs pour libérer des fonds. En effet, Moderna ayant fourni en des temps records les doses de son vaccin mRNA candidat nécessaires au lancement de la phase I, anticipe les essais de phase II dès à présent. L’entreprise a commencé la production des doses nécessaires à la phase II afin qu’elle puisse être initiée immédiatement après l’annonce des premiers résultats. Parallèlement, rappelant que le temps nécessaire à un « scale up » était particulièrement important, l’entreprise a commencé à monter en puissance ses unités de production afin d’anticiper la phase III en recrutant et formant de nouveaux salariés aux productions de grade pharmaceutique et en équipant de novo de nouvelles salles blanches !

Inovio, qui a lancé lui aussi un essai vaccinal contre le coronavirus, rapporte le pari qu’il fait d’anticiper des résultats concluants pour sa phase I, en montant en puissance ses unités de production.

Une collaboration intense dans un esprit d’innovation avec les agences fédérales

Les acteurs du secteur pharmaceutique / sciences du vivant louent les partenariats qui ont pu être noués avec les agences gouvernementales telles que la DARPA ou la BARDA.

S’inscrivant dans cet esprit de partenariat, l’organisation BIO a organisé fin mars une conférence virtuelle destinée à favoriser la collaboration entre les principaux organismes gouvernementaux et les entreprises de biotechnologies [4], et à laquelle participaient de hauts fonctionnaires de l’administration, notamment Deborah Birx, et Robert Kadlec.

Lors de la conférence organisée par le MIT, Stéphane Bancel a en particulier fortement souligné les efforts d’adaptation et la réactivité de la FDA (Food and Drug Administration). D’après lui, celle-ci s’est mise dans un mode d’innovation et de travail « 24/7 » (24/24h, 7/7 j) afin de traiter en un temps record les demandes d’autorisation d’essais cliniques. Stéphane Bancel considère que cette collaboration est sans précédent et sans comparaison aux relations pour autant bonnes qu’il peut avoir avec les autres agences de régulation dans le monde.


Auteurs : Anne PUECH et Sarah VADILLO, (SST Boston), Renaud SEIGNEURIC (SST Houston), Pascal LOUBIERE (SST Los Angeles)

Notes : 

[1] https://thehill.com/policy/healthcare/491498-human-testing-beginning-on-second-coronavirus-vaccine-candidate

[2] https://www.pnas.org/content/early/2020/04/02/2004168117

[3] https://www.preprints.org/manuscript/202004.0097

[4] https://www.businesswire.com/news/home/20200326005619/en/

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