Une enquête approfondie, conduite en septembre et octobre dernier, c’est-à-dire bien avant les discussions au Congrès sur le texte des représentants Waxmann et Markey [1], révèle qu’une majorité d’américains sont favorables à une réglementation des gaz à effet de serre (GES) mais que seule une courte majorité soutient l’idée d’un marché de permis d’émissions.
Six grandes catégories d’américains face au changement climatique
L’analyse, basée sur cette enquête approfondie réalisée auprès de 2164 personnes, vise à aller au-delà des habituels sondages d’opinion par un examen détaillé des perceptions. Ses conclusions sont livrées dans rapport qui vient d’être publié par les commanditaires de l’enquête: le Yale Project on Climate Change et le George Mason Center for Climate Change Communication.
On y apprend que les perceptions sur le sujet ne sont pas manichéennes. Les chercheurs classent les participants à l’enquête dans 6 grandes catégories, allant des plus hostiles à toute acceptation d’un changement climatique jusqu’aux plus soucieux du réchauffement. Ces derniers représentent environ 18% des personnes interrogées et sont qualifiés "d’inquiets" (alarmed). Ils sont certains que le changement climatique est en cours et se considèrent bien informés sur les sujets. Ils sont favorables à une action politique et à une action concrète dans leur vie de tous les jours pour affronter le problème. A l’autre bout du spectre, 7% des participants, regroupés dans la catégorie "indifférents" (dismissive) sont certains qu’aucun changement climatique n’est en cours mais affirment qu’ils sont bien informés sur le sujet.
Le reste des participants à l’enquête est classé dans 4 catégories entre ces 2 extrêmes: les préoccupés (concerned), les "prudents" (cautious), les "sans avis marqué" (disengaged) et les "dubitatifs" (doubtful). Les plus nombreux tombent dans le groupe libellé "les préoccupés" (concerned) et représentent près d’un tiers du public. Ils partagent les idées du groupe "les inquiets" (alarmed), à ceci près qu’ils se considèrent parfois moins informé et/ou perçoivent la menace comme moins immédiate. On notera que si, globalement, le changement climatique ne figure pas en tête des priorités des américains dans les sondages récents, il n’en est pas moins perçu comme une réelle menace par la moitié d’entre eux.
On notera également que toutes catégories confondues, personne n’est certain que les humains seront capables de limiter le changement climatique. Même chez les "inquiets", la grande majorité doute que l’espèce humaine prenne les dispositions nécessaires pour traiter le problème ou croit tout simplement que l’humanité ne le veut pas. La question des décisions à prendre est posée sous l’angle des options possibles en matière de politiques publiques et les résultats sont contrastés.
Soutien massif aux énergies renouvelables, réticences envers les permis d’émissions
La conviction que le développement des énergies renouvelables est une bonne chose est très largement partagée, y compris chez les plus sceptiques (dismissive). Sur l’ensemble des personnes interrogées, 92% sont favorables à un soutien aux EnR par le gouvernement fédéral, jusque dans les rangs des "indifférents" chez qui ce soutien atteint 70% malgré tout. A contrario, le soutien apporté aux projets de marché de permis d’émission ("Cap and trade") est faible , y compris chez les "inquiets" qui sont pourtant les plus sensibles à toute politique traitant du changement climatique. Dans cette catégorie, ils ne sont que 23% à soutenir "fortement" un système de permis d’émission tel que celui mis en place en Europe en 2005. Dans l’ensemble, seuls 11% sont d’ardents défenseurs du "cap and trade" contre 47% qui y sont soit modérément soit fortement opposés. La seule "solution climat" qui obtinne moins d’avis favorables que le "cap and trade" est la mise en oeuvre d’une taxe sur l’essence (67% des personnes interrogées y sont hostiles).
Globalement, on observe que le soutien à un marché de permis d’émission est bien plus ténu que celui apporté aux autres politiques traitant du changement climatique. Les personnes interrogées sont plus favorables à un investissement accru dans les énergies renouvelables, à l’amélioration de l’efficacité des véhicules automobiles, à l’obligation de produire un pourcentage minimal d’électrité renouvelable, voire même à l’accroissement des forages gaziers ou pétroliers offshore, lesquels sont pourtant tous des sujets très controversés.
L’abstraction relative sur laquelle repose ces marchés (dont on rappelle pourtant qu’ils existent déjà à l’échelle régionale aux Etats-Unis avec le RGGI [2]) et les difficultés éprouvées par le système européen dans la phase de démarrage constituent des obstacles majeurs à l’adoption d’un mécanisme de permis d’émission. Or à ce jour, ce mécanisme constitue une pièce maitresse du dispositif technique dans la législation globale sur le climat proposée par les représentants Waxmann et Markey, ainsi qu’une source de revenu majeure anticipée dans le projet de budget 2010 présenté par l’administration Obama.
L’étude, rendue publique cette semaine, illustre la difficulté à laquelle sont confrontés les représentants élus, que ce soit au Congrès ou dans l’exécutif, quand il s’agit de convaincre du bien fondé d’un mécanisme d’échange de permis d’émission. D’autant que, sur la scène politique, les opposants au système proposé dans le projet de loi Waxmann-Markey (texte en préparation pour la législation climat au niveau fédéral) fourbissent leur armes. Et certains sont parfois inattendus: James Hansen, du NASA Goddard Space Institute, a retiré son soutien au projet de loi des représentants Waxmann et Markey en arguant des concessions trop importantes faites aux lobbies énergéticiens, alors que son allié de longue date, le Sénateur Al Gore, s’est prononcé pour. Et une césure risque de s’opérer au sein des associations environnementales, dont les principales ayant soutenu le texte sont vilipendées par leur consoeurs pour leur excessive proximité avec les grands du secteur pétrolier et gazier. Le consensus autour d’un marché national des permis d’émission de GES reste donc, pour l’instant, en devenir…
[1] Les représentants Waxmann et Markey ont soumis à la Chambre le projet de loi "American Clean Energy and Security Act" après des semaines entières de consultations techniques et de compromis politiques. Il s’agit d’un texte ambitieux proposant une réduction de 17% des émissions de GES d’ici 2020 (niveau de référence 2005) et proposant la mise en place d’un marché de permis d’émissions similaire à celui qui opère en Europe (EU-ETS).
[2] Regional Greenhouse Gas Initiative: marché de permis d’émission regroupant 10 états du Nord-Est des Etats-Unis
Source :
– "Global Warming’s Six Americas 2009: an Audience Segmentation Analysis"- Yale Project on Climate Change et George Mason University Center for Climate Change Communication: https://www.climatechangecommunication.org/images/files/Global_Warming%27s_Six_Americas_2009r.pdf
– "Analysis finds tepid public support for cap and trade" – E&E News du 05/20/2009 (par abonnement): https://www.eenews.net/eenewspm/2009/05/20/5/
Pour en savoir plus, contacts :
– Climate change in the American Mind – rapport du Yale Project on Climate Change et du George Mason University Center for Climate Change Communication – https://www.climatechangecommunication.org/images/files/Climate_Change_in_the_American_Mind.pdf
– BE Etats-Unis 143: Opinion publique cherche représentants: https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56718.htm
– Regional Greenhouse Gas Initiative ( marché de permis d’émission couvrant 10 états du Nord-est des Etats-Unis) – https://www.rggi.org/rggi
Code brève
ADIT : 59287
Rédacteur :
Marc Magaud, [email protected]