La construction de nouvelles installations industrielles à Devens (Massachusetts) pour préparer la commercialisation d’un réacteur de fusion nucléaire et la production d’électrolyseurs hydrogène

crédit: freepik/moronta/esg-green-energy-sustainable-industry

Bientôt un réacteur tokamak de fusion nucléaire à Devens, Massachusetts   

Mettre à la disposition de la société une énergie de fusion nucléaire économique est l’un des grands défis scientifique et technologique du 21ème siècle. Depuis des décennies, des équipes internationales se sont lancées dans ce défi qui consiste à produire de l’énergie en fusionnant les noyaux de deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium, chauffés à des températures extrêmes. Aujourd’hui, deux techniques sont à la pointe des dernières avancées scientifiques : le confinement inertiel du mélange isotopique par des lasers de puissance [1] et le confinement magnétique d’un plasma dans des réacteurs Tokamaks. Cette dernière, la plus prometteuse, fait l’objet de toutes les attentions grâce à des résultats remarquables obtenus en fin d’année 2021 au Plasma Science Fusion Center (PSFC) du MIT à Cambridge (MA) et au JET (Joint European Torus), réacteur se trouvant à Culham en Grande-Bretagne. 

Le PSFC est un laboratoire abritant près de 300 chercheurs travaillant sur une grande variété d’installations expérimentales (dispositifs à plasma et accélérateurs à haute énergie) pour réaliser des réacteurs prototypes et des tests de composants de réacteurs tokamak pour la fusion nucléaire. Le PSFC s’est notamment illustré en annonçant avoir développé des aimants supraconducteurs haute température (HTS), avec un niveau de champ magnétique de 20 Teslas, encore jamais atteint pour des réacteurs tokamaks, un record mondial dont la démonstration en a été faite le 5 septembre 2021 [2]. Ce fait marquant a suscité un regain d’intérêt de la part des investisseurs pour le développement de réacteurs tokamaks. Ainsi, l’entreprise Commonwealth Fusion Systems (CFS), essaimée du MIT en 2018, a levé au total 2 Md$, provenant à 99% de fonds privés, pour développer et commercialiser des réacteurs de fusion nucléaire de petite taille dès 2030.  

Pour le JET, il s’agit d’une expérience de fusion nucléaire qui a eu lieu le 21 décembre 2021 [3]. Le plasma généré a pu être maintenu pendant 5 secondes et produire 59 mégajoules ; c’est le record actuel d’énergie de fusion. D’autres démonstrateurs sont en cours de construction, notamment en France à Cadarache, avec le projet international ITER. Conçu pour démontrer la faisabilité scientifique et technologique de l’énergie de fusion, ITER sera la plus grande installation expérimentale de fusion jamais construite.

Alors que le projet ITER prend du retard et ne prévoit pas de commercialisation de l’énergie de fusion avant de nombreuses années, un grand nombre de startups américaines se lancent dans des travaux de R&D, promettant ainsi des technologies innovantes et des démonstrateurs dans les cinq prochaines années. La dernière en date, la startup HELION (qui a levé 500 M$ en 2021), s’étant engagée à fournir à Microsoft de l’électricité de fusion dès 2028 [4]. Aucune information scientifique et technique n’a été fournie par HELION sur sa technologie, sa recherche n’étant pas publique, à l’inverse de celle de PSFC et de CFS. Il y aurait près de 200 tokamaks en activité dans le monde, dont la quasi majorité à des fins de recherche ou servant de prototype expérimental. A noter qu’une startup française basée à Grenoble, Renaissance, s’est aussi lancée dans cette course au déploiement commercial de réacteurs de fusion nucléaire.

Récemment, l’administration Biden a donné une nouvelle impulsion aux programmes de fusion nucléaire : en plus de son programme domestique, elle a décidé d’injecter 46 M$ dans huit entreprises poursuivant chacune un programme privé de développement de centrales à fusion nucléaire [5]. Ce premier financement, qui provient de la loi sur l’énergie de 2020 (Energy Act 2020), s’étalera sur 18 mois. Les projets financés peuvent durer jusqu’à 5 ans, avec d’autres financements s’élevant à 415 M$. Ce financement futur dépendra de l’approbation du Congrès et du franchissement des étapes techniques et scientifiques. L’objectif de nombreuses entreprises privées américaines est de concevoir une centrale pilote de fusion dans 5 à 10 ans. Le modèle de partenariat public-privé ainsi adopté s’inspire de celui suivi par la NASA et qui a contribué à faire décoller l’industrie spatiale commerciale. CFS, avec son projet de réacteur tokamak, figure parmi les huit entreprises sélectionnées.

Commonwealth Fusion Systems présente un programme de développement très ambitieux en soulignant qu’il faudrait, selon eux, « installer 5000 réacteurs de 400 MW chacun à travers le monde d’ici à 2050 » pour produire de l’énergie décarbonée issue, entre autres, de la fusion thermonucléaire. Il y aurait une quarantaine de startups travaillant à l’heure actuelle sur des technologies et des réacteurs de fusion « commercialisables », totalisant 5 Md$ d’investissement public/privé au niveau mondial [6].

Commonwealth Fusion Systems emploie actuellement près de 500 personnes et 150 collaborateurs externes. La plupart du personnel provient d’entreprises de haute technologie comme Tesla, SpaceX, mais aussi d’ITER qui constitue un réseau important de chercheurs et d’ingénieurs déjà formés et séduits par les projets américains. Leur mode de travail : la science « prouvée », c’est-à-dire via des articles publiés et évalués par les pairs. CFS développe en ce moment le réacteur d’essai SPARC (fin des travaux prévue en 2025), qui servira de test avant la construction du réacteur ARC. Ce dernier, deux fois plus puissant que SPARC, pourra être produit en série et commercialisé à partir de 2030 selon CFS. Aujourd’hui, la date de connexion au réseau électrique n’est pas connue avec certitude, vu tous les obstacles restant à franchir. Le modèle économique pour CFS consiste à pouvoir délivrer des licences de commercialisation à travers le monde.

Pour se préparer à la future commercialisation de ce type de réacteur de fusion nucléaire, beaucoup d’acteurs, incluant des industriels, se mobilisent pour faire avancer la réglementation et la législation autour de ces installations en privilégiant une problématique spécifique à la fusion nucléaire moins contraignante que pour la fission. En Europe, et en particulier en France avec ITER, les besoins en radioprotection sont différents au regard de la quantité de matière radioactive générée ; ceci entraîne une réglementation plus contraignante, proche de celle relative à la fission nucléaire, et des autorisations plus longues à obtenir en vue de l’exploitation d’un réacteur de grosse taille comme ITER. Selon CFS, il est impératif de faire évoluer cette réglementation européenne pour rester compétitif et permettre l’émergence de réacteurs tokamaks. Les USA et la Grande-Bretagne sont en avance sur ce plan. Le Japon, la Chine et le Canada portent une attention particulière à ces aspects réglementaires. 

Un autre point d’importance dans le déploiement des centrales concerne celui de leur emplacement : une centaine d’hectares de terrain sera requis pour une installation telle que SPARC, selon CFS. Le lieu d’installation est aussi une question stratégique. CFS penche vers des sites d’anciennes centrales thermiques (gaz, charbon) en privilégiant celles qui ont déjà été connectées au réseau électrique et dont l’infrastructure peut être réutilisée pour la fusion.

A ces problématiques liées à la réglementation et à l’emplacement des sites, s’ajoute, selon CFS, celle du modèle de financement de telles infrastructures qui devront inclure des mesures d’incitation économiques ainsi que des fonds d’investissement, les projets nucléaires requérant un fort capital. 

Enfin, selon CFS, l’écosystème est primordial, afin de disposer des ressources humaines et d’une chaîne logistique adaptées. CFS a construit autour de son installation un dispositif de formation dans le but de disposer de la main d’œuvre qualifiée requise (transitions de métiers liés aux centrales thermiques en cours de fermeture vers des métiers portant sur l’exploitation, la maintenance de centrales à fusion nucléaire, etc). 

Bientôt une importante installation industrielle de fabrication d’électrolyseurs à hydrogène à Devens, Massachusetts

Sur un autre secteur, mais toujours dans le domaine de la production d’énergie, une autre installation industrielle de taille sera bientôt construite à Devens (MA). Il s’agit d’une installation qui permettra de fabriquer, en grand nombre, des électrolyseurs pour produire de l’hydrogène « vert » [7]. C’est le pari de la startup Electric Hydrogen qui pense que la demande en électrolyseurs va considérablement augmenter grâce aux incitations fiscales de l’Inflation Reduction Act (IRA). Selon Electric Hydrogen, de nombreux électrolyseurs seront installés près de sources d’énergies renouvelables (éoliennes, solaire photovoltaïque) ou d’autres sources d’énergie à faible teneur en carbone. L’objectif consiste donc à anticiper cette demande pour accompagner la transition énergétique de l’économie. La startup Electric Hydrogen voit plusieurs clients potentiels, dont des entreprises de logistique visant à gérer des flottes de véhicules à hydrogène, et des entreprises qui visent à construire des installations connectées au réseau et produisant de l’électricité à partir d’hydrogène. Certaines d’entre elles étudient la possibilité de produire sur place leur propre approvisionnement en hydrogène.

Selon Electric Hydrogen, le besoin croissant en hydrogène « vert » est tel que la demande en électrolyseur à hydrogène dépasse déjà la capacité mondiale. Il faut doubler la capacité de fabrication et réaliser des économies d’échelle en faisant baisser les coûts de production. Electric Hydrogen se lance donc dans la production d’électrolyseurs à membrane échangeuse de protons de plus grande puissance (100 MW) et capables de s’adapter à l’intermittence des sources d’énergie renouvelable. L’entreprise Electric Hydrogen prévoit même d’augmenter plus largement sa capacité de production avec une deuxième usine. La première, située à Devens, près du centre de R&D d’Electric Hydrogen dans le Massachusetts, devrait commencer à produire des électrolyseurs pour des projets de démonstration d’ici 2024 et devrait atteindre la pleine production en 2025.

Ce nouveau crédit d’impôt, issu de l’IRA, pour la production d’hydrogène à faible teneur en carbone a été l’élément déclencheur pour Electric Hydrogen qui voit à Devens beaucoup de potentiel pour son usine dont l’investissement avoisine les 90 M$. Electric Hydrogen a déjà levé un total de 220 M$ de fonds.

Conclusion

Avec la future « gigafactory » d’électrolyseurs de la startup Electric Hydrogen et le futur réacteur tokamak à fusion nucléaire de la startup Commonwealth Fusion Systems, la ville de Devens (Massachusetts), anciennement connu pour son fort militaire, est sur le point de devenir un centre industriel de premier plan dans la lutte contre le changement climatique.

Références :

1. https://www.llnl.gov/news/lawrence-livermore-national-laboratory-achieves-fusion-ignition/

2. MIT news du 8 septembre 2021 – https://news.mit.edu/2021/MIT-CFS-major-advance-toward-fusion-energy-0908/

3. ITER news : https://www.iter.org/newsline/-/3722/

4. HELION https://www.helionenergy.com/articles/helion-announces-worlds-first-fusion-ppa-with-microsoft/

5. https://www.energy.gov/articles/doe-announces-46-million-commercial-fusion-energy-development/

6. Visite de Commonwealth Fusion Systems à Devens MA, le 13 juin 2023. 

7. https://eh2.com/electric-hydrogen-announces-new-gigafactory-to-produce-next-generation-electrolyzer-equipment/

Rédacteurs :

Jean-Philippe Nicolaï, Attaché pour la Science et la Technologie au Consulat Général de France à Boston, [email protected]

Alexandre Bécache, Chargé de mission scientifique au Consulat Général de France à Boston, [email protected]

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