Bilan au Congrès de 5 ans de stratégie quantique nationale

Capitole de Washington, DC (crédit : UzbekIL)

Le National Quantum Initiative Act voté en 2018 instaurait la National Quantum Initiative (NQI) visant à coordonner, à l’échelon fédéral, la stratégie des Etats-Unis pour les sciences et technologies de l’information quantique. Le gouvernement fédéral a investi lourdement dans le secteur : 400 M$ en 2019, plus de 900 M$ en 2022 et environ 800 M$ pour 2023. Cet effort s’est révélé cohérent avec le mouvement plus global de mise en avant des technologies émergentes critiques, soutenu aussi par le CHIPS and Science Act de 2022, et visant notamment à assurer au pays son avance technologique. La NQI a été instituée avec un horizon de 10 ans mais ses activités n’ont été formellement avalisées que pour 5 ans (i.e. jusqu’en septembre 2023). Dans l’optique de son renouvellement, le NQI Advisory Committee a rendu un avis (très favorable) indépendant le 2 juin 2023. [1]

C’est dans ce contexte a priori favorable, mais à un moment où la chambre hésite à voter certains budgets de recherche pourtant jugés stratégiques, que s’est tenue le mercredi 7 juin devant le Committee on Science, Space and Technology de la Chambre des Représentants au Congrès, une audition (Full Committee Hearing) intitulée Advancing American Leadership in Quantum Technology. 

Le comité [2] est dirigé par le député de l’Oklahoma Frank Lucas. Il a entendu cinq témoins experts du domaine qui, après un court exposé de leur vision du sujet et des problématiques propres à leur secteur et leur métier, répondaient aux questions des parlementaires sur la stratégie quantique nationale mise en place en 2018.

L’audition a fait ressortir les cinq grands axes qui définissent la politique scientifique concernant les technologies émergentes critiques : 

  • Lutter contre la Chine et conserver une domination technologique
  • Accroître la coopération public-privé
  • Collaborer et s’unir davantage avec les pays alliés
  • Former plus de talents sur place en augmentant la diversité
  • Investir plus en R&D.

Frank Lucas introduisait donc la session avec des éléments bien inscrits dans la dynamique actuelle, à savoir : rappeler que la Chine (appelé “Parti Communiste Chinois”) et la Russie sont des adversaires des Etats-Unis et investissent massivement, et qu’être dépassé sur le quantique peut être très dangereux et qu’il est donc crucial de rester devant eux dans la course. Les Sciences et Technologies de l’Information Quantique (STIQ) sont vues comme un enjeu stratégique de sécurité nationale d’une part, mais aussi à plus long terme comme la prochaine révolution technologique, d’autre part. Il rappelait le vote du National Quantum Initiative Act (NQIA) de 2018, le succès qu’il a été jusqu’ici, et les investissements humains et physiques nécessaires pour continuer dans le contexte du CHIPS and Science Act. Il soulignait enfin l’importance de permettre aux universités et laboratoires de réaliser des expériences pratiques dans les STIQ alors qu’il affirme que le NIST traverse une crise liée au maintien des infrastructures. 

Dr. Charles Tahan, Directeur de la coordination quantique nationale à l’OSTP (qui dirige donc la NQI), évoquait la question de la main d’œuvre – formation et attraction de talents – ainsi que la coopération internationale (pour rappel il est l’un des artisans du dialogue entretenu avec la France, notamment avec le coordinateur de la stratégie national française, Neil Abroug). Il préconisait également de renforcer les liens public-privé. 

Paul Dabbar, ancien Sous Secrétaire pour la Science au Department of Energy, insistait sur l’effet de levier obtenu par les financements fédéraux (6 Md$ investis par le secteur privé). Il préconise une amélioration du programme QUEST (Quantum User Expansion for Science and Technology), volant quantique du CHIPS & Science Act. En outre, il se félicitait de l’attractivité de la baie de San Francisco pour les startups du quantique.

Dr. Celia Merzbacher, Directrice exécutive du Quantum Economic Development Consortium, alertait sur le danger que représenterait une diminution de l’augmentation des budgets et appelait à soutenir l’effort, y compris du côté du secteur privé, agitant la menace chinoise. Elle pointait également vers le programme QUEST. Elle relevait aussi l’absence d’entreprises de grande taille en STIQ et la tendance à la baisse du financement des ventures du domaine.

Dr. Eleanor G. Rieffel, Senior Researcher for Advanced Computing and Data Analytics au NASA/Ames Research Center, mettait en lumière l’importance de la NASA dans l’initiative et le rôle des STIQ pour la compréhension de l’univers et de la physique des particules. 

Dr. Emily Edwards, Executive Director au Illinois Quantum Information Science and Technology Center (IQUIST) à University of Illinois, insistait, quant à elle, davantage sur le travail de long terme que représente la sensibilisation et la formation aux STIQ et à leurs enjeux, y compris dès le plus jeune âge et en direction de publics divers ; elle mentionnait à ce sujet le programme Q12 [3] : une ressource éducative aux sujets quantiques pour les K-12. Enfin, elle insistait sur l’importance de construire de nouvelles infrastructures à travers des partenariats public-privé.

De l’ensemble des questions des représentants et des réponses apportées par les témoins, on peut retenir certains éléments redondants et centraux. Tout d’abord, des préconisations pour limiter le risque chinois : le DoE a mis au point des procédures pour évaluer les risques associés à certaines technologies. La NASA estime qu’il faut renforcer le contrôle des exportations, le secteur privé doit augmenter le niveau de sécurité des affaires. Globalement, il faut garder les talents sur place et prévenir plutôt que guérir,  partager les bonnes pratiques et, bien sûr, aller vite… 

Ensuite, un caractère très théorique des recherches dans le secteur est souvent mis en cause, mais à celui-ci est rétorqué la notion de low-hanging fruits (avancées faisables à court terme et à faire avant les concurrents/adversaires). Il est rappelé que les technologies quantiques sont bien plus que l’ordinateur quantique (notamment communication, capteurs). Le congrès est aussi appelé à investir plus dans les infrastructures de recherche partagées. Par ailleurs, personne ne sait à quelle échelle les ordinateurs quantiques seront vraiment utiles (c’est déjà le cas marginalement dans certains domaines comme la chimie), mais les STIQ ont déjà permis des révolutions technologiques comme l’IRM, d’autres imageries biologiques ou le GPS. Enfin, on parle de mesures concrètes pour former la main-d’œuvre : il devient important de construire un cadre commun permettant de toucher bien au-delà des 25 meilleures universités. 

Dans l’ensemble, l’audition marque un franc succès de la politique de coordination en soulignant l’importance de maintenir l’effort. C’est un exercice qui permet au congrès de faire le point sur les cinq premières années de la stratégie avant qu’elle ne soit reconduite. Le premier volet est globalement jugé très fructueux dans la mesure où il a permis l’apparition de structures fédérales visibles. Il a aussi notablement accéléré la formalisation de la coopération internationale : avec la France, après le choix d’inclure cette thématique parmi les sujets prioritaires de la coopération lors du comité mixte franco-américain sur les sciences et technologies en décembre 2021, un accord spécifique de coopération a été signé au niveau ministériel lors de la visite présidentielle en décembre 2022. Un événement est programmé par l’Ambassade le 18 juillet prochain pour mettre en valeur les coopérations concrètes qui ont suivi ces décisions institutionnelles.

Références

[1] A Report of the National Quantum Initiative Advisory Committee, Juin 2023 

[2] Membres du comité Science, Espace et Technologie

[3] Site web de l’initiative Q12

 

Rédacteur : Antoine Glory, Chargé de mission pour la Science et la Technologie, Ambassade de France à Washington D.C., [email protected].

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