Gouvernement 2.0

"Innovant", "à la pointe de la technologie", voilà des termes peu souvent associés au gouvernement fédéral des Etats-Unis. Et pourtant l’adoption de technologies dites Web 2.0 est en route au sein des différentes agences de renseignement, civiles ou de sécurité nationale. Et petit à petit, les flux RSS, les blogs, Facebook, Twitter, mondes virtuels (style Second Life) et autres services de l’Internet, rassemblés sous le terme collectif de "Cloud" [1], investissent différents organes gouvernementaux.

Ce bond technologique est le bienvenu à un moment où la crise financière impose de faire plus et mieux avec moins d’argent. Le gouvernement fait face à une période critique, sous l’oeil attentif de citoyens qui revendiquent plus que jamais des moyens de participation aux décisions politiques. Or, le Gouvernement étant la seule industrie où le client choisit ses patrons, il était temps pour ces derniers de s’intéresser à la gestion de leur relation avec les administrés avec des outils plus modernes. Franklin D. Roosevelt, en son temps, avait su exploiter le pouvoir de la radio avant que John F. Kennedy n’utilise, lui, les moyens de communication offerts par la télévision, suivi par Ronald Reagan, grand communicateur (et acteur professionnel). Aujourd’hui, Barack Obama veut à son tour redéfinir sa relation entre la présidence et le peuple grâce à l’Internet. Sa campagne a été une première étape vers le renouvellement des méthodes de communication en invitant les citoyens à apporter leurs propositions sur le site change.gov et en introduisant l’envoi massif de courriels et de sms pour recruter, organiser et dynamiser ses équipes de campagne.

On ne gère cependant pas une campagne comme on dirige un pays et l’envoi de courriels peut difficilement être qualifié d’usage 2.0. Pour mener à bien son "changement", Obama à donc nommé Vivek Kundra au poste, nouvellement créé, de CIO (Chief Information Officer) avec pour mission d’utiliser les nouvelles technologies pour rendre le gouvernement ouvert, transparent, efficace et collaboratif. Dans le premier envoi sur le nouveau blog de la Maison Blanche (WhiteHouse.gov), les mots clés "communication", "participation" et "transparence" sont largement mis en avant, et le site promet que toutes les lois non-urgentes seront postées sur le blog pendant 5 jours, permettant au public de relire et commenter avant que le président Obama ne signe la loi.

Des exemples intéressants avaient cependant déjà commencé à se mettre en place avant cette nomination. L’EPA ("Environmental Protection Agency") profite ainsi quotidiennement des services de "microblogging" du site social "Twitter" pour élargir le nombre d’interlocuteurs pouvant répondre aux interrogations de ses agents. Mais "twitter" peut également s’avérer utile dans une démarche de veille et d’écoute du terrain. Le bureau du procureur général de l’Ohio s’ingénie ainsi à suivre les préoccupations des citoyens, notamment en matière de logement, grâce aux outils de recherche et de suivi de tendance sur "twitter" tels que "tweetgrid". Des réponses sont alors envoyées aux abonnés en question pour les mettre en relation avec les bons interlocuteurs.

L’aviation américaine ("US Air Force") a de son côté mis en place une plateforme d’échange de connaissances dénommée "Air Force’s Knowledge System" permettant à ses 292.000 utilisateurs d’échanger des informations, de les commenter et de les noter en utilisant des outils similaires à ceux que le grand public peut trouver sur blogs et autres wikis.

Lorsqu’une épidémie de salmonelle contenue dans des cacahuètes a frappé un vaste spectre de produits alimentaires en début d’année, les CDC ("Centers for Disease Control and Prevention") et la FDA ("Food and Drug Administration") ont certes utilisé les méthodes traditionnelles d’alertes (médias, numéro verts, site web) mais ont également publié les dernières informations relatives à l’épidémie en temps réel sur un gadget logiciel ("widget") largement distribué et visible sur plus de 16.000 sites (agences de santé, médias, sites personnels). Cette diffusion beaucoup plus large de l’information a ainsi multiplié la portée du message.

Le monde virtuel "Second Life" abrite lui aussi des initiatives gouvernementales. La NASA y a ainsi construit une île reproduisant le cratère Victoria de la planète Mars afin d’améliorer la pertinence et l’accessibilité de la mission Rover d’exploration de la planète Mars ("Mars Exploration Rover Mission"). La Transportation Security Administration (TSA) a egalement developpe une "Second Life island" pour observer les reactions de ses utilisateurs (en interne) a des incidents de cars ou de train.

La CIA s’est, elle, implantée sur la communaute "Facebook" pour mener ses campagnes de recrutement de nouveaux agents. Vivek Kundra s’intéresse également beaucoup à cette communauté regroupant 140 millions d’utilisateurs capables de s’organiser et de créer des mouvements médiatisés.

Un "gouvernement 2.0" capable de mieux collaborer entre agences, de mieux informer et de mieux prendre la mesure des attentes des citoyens, mais qui doit également être capable de diminuer ses dépenses informatiques. De multiples suites logicielles ou solutions d’hébergement de courriers électroniques offrant services de filtrage, de backup et d’assistance 24 heures sur 24 7 jours sur 7 sont désormais disponibles dans le "Cloud" et permettent une gestion facilitée et à moindre coût des infrastructures informatiques. Google, Microsoft, Amazon, Apple, tous les grands noms du Web concentrent leurs efforts sur ce "Cloud" et proposent des services ciblées pour les particuliers, les entreprises ou les agences gouvernementales.

Les agences gouvernementales peuvent également faire preuve d’une belle capacité d’adaptation face à la capacité des outils 2.0. La très décriée TSA a ainsi vu fleurir sur le Web un site acerbe dénommé "KipHawleyIsAnIdiot.com" (Kip Hawley étant l’ancien administrateur de la TSA), ouvert à tous les contributeurs intéressés et recensant toutes les mesures inutiles et grotesques mises en place sous l’autorité de Kip Hawley. Prenant note de ces commentaires, la TSA a alors modifié et expliqué sa politique, voyant ainsi le nombre de ses détracteurs sur le site diminuer progressivement. Le déploiement d’outils du web 2.0 pour les questions d’administration publique et de gouvernance n’est cependant pas sans certaines contraintes. Les impératifs de respect de la vie privée, de sécurité et de confidentialité de certaines informations sont à prendre à compte : il ne serait pas de bon ton qu’un agent secret tweet (pianotte sur Twitter) " grand soleil à Bagdad, super couscous sur la grand place lol". La migration d’informations sensibles dans la nébuleuse du "Cloud" nécessite également de prendre un certain nombre de précautions. La pérennité des outils 2.0 suscite par ailleurs quelques inquiétudes. La bulle 2.0 ayant éclaté, certains services construits sans business model seront appelés à disparaître faute d’investisseurs ou de clients.

Depuis la loi "Presidential Records Act", toutes les communications écrites de la Maison Blanche doivent être enregistrées, chaque page de "WhiteHouse.gov" doit ainsi être archivée, et ce pour chaque modification, ralentissant le processus pourtant simple et rapide de mise à jour et de création de pages. Des questions persistent également concernant la durée et le moment de la publication des projets de lois. La prise en compte des remarques et commentaires du public pose également problème : comment intégrer ces nouvelles réflexions avant la signature par le Président ?

M. Kundra, dans sa conference du 12 mars, se déclare à l’écoute : il revendique le site "recovery.gov" comme une preuve de cet esprit d’écoute et de transparence, et il annonce qu’il recevra, chaque samedi, les porteurs de projets et d’idées nouvelles pour l’amélioration de ces pratiques.

Qui dit nouveauté, dit également temps d’adaptation et adoption d’un modus vivendi. On pense bien sûr aux personnes âgées. Ces nouvelles technologies et usages de l’Internet risquent de prendre du temps surtout si les décideurs ne s’y impliquent pas et si une définition claire d’une stratégie ne voit pas le jour en même temps qu’un plan d’utilisation de la panoplie d’outils disponibles. Au total, l’évolution que représente l’adoption de services 2.0 au sein des organes gouvernementaux aux Etats-Unis est incontestable. Mais on ne pourra parler de révolution "gov 2.0" que lorsque l’action d’évangélisation de Vivek Kundra et les multiples projets de rénovation des outils des agences gouvernementales auront été adoptés par tous, et à tous les niveaux de la pyramide décisionnelle. Dans sa conference du 12 mars, M. Kundra concluait en disant que cette adoption se préparait par une analyse des processus mis en oeuvre plutôt que par la seule mise en place des technologies ("technology for the sake of technology") et surtout se mesurait par une évaluation régulière des résultats ("more focus on the outcome"), sur laquelle il s’est engagé.

Source :

– Twitter, blogs and other Web 2.0 tools revolutionize government business – https://fcw.com/articles/2009/03/09/web-2.0-in-action.aspx
– New federal CIO Vivek Kundra wants a Web 2.0 government – https://www.computerworld.com/action/article.do?command=viewArticleBasic&taxonomyName=IT+in+Government&articleId=9129043&taxonomyId=69&pageNumber=1
– New Fed CIO Has Head in the Clouds – https://www.internetevolution.com/author.asp?section_id=654&doc_id=173243&f_src=internetevolution_sitedefault
– Obama’s Wide Web – https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/story/2008/08/19/ST2008081903613.html
– Web-Savvy Obama Team Hits Unexpected Bumps – https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/03/01/AR2009030101745_pf.html
– Government 2.0 hits a roadblock – https://government.zdnet.com/?p=4412
– Conférence de Vivek Kundra donnée le 12 mars 2009 au Convention Center de Wahington, devant la conference "GovSec & US Law" (non encore retranscrite à l’heure de cette brève)

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] Lire à propos du cloud computing : Retour vers l’informatique centralisée des années héroïques… mais ça ne se voit pas https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58122.htm
– Outils 2.0 sur usa.gov : https://www.usa.gov/Topics/Multimedia.shtml
– Le blog de Mark Drapeau, chercheur au sein de la National Defense University, spécialiste du gov 2.0 : https://mashable.com/author/mark-drapeau/
Code brève
ADIT : 58159

Rédacteur :

Franz Delpont [email protected] – Robert Jeansoulin [email protected]

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