Soutien à l’innovation dans les PMI-PME et capital risque : l’Administration fédérale a-t-elle fait fausse route ?

Coup sur coup, le Conseil National de la Recherche des académies nationales (CNR) [1] vient de sortir deux opuscules sur le principal programme de soutien à l’innovation dans les petites entreprises, mieux connu aux Etats-Unis sous le nom de SBIR [2].

Conçu par l’instance fédérale chargée des PMI-PME [3], le programme SBIR occupe une place très importante dans le paysage de l’innovation. C’est le seul programme fédéral qui aide les entrepreneurs à franchir la "Vallée de la Mort", autrement dit la période de création qui correspond à la mise au point de la preuve de concept et à la validation du potentiel commercial d’une technologie ou d’une invention. Lancé en 1982, le programme trouve son origine dans le souci des autorités fédérales de favoriser des partenariats publics-privés en matière d’innovation et d’aider les entrepreneurs à mettre sur le marché de nouvelles idées. Le programme est découpé en "phases". Les fonds de phase 1 vont à des études de faisabilité (montant moyen : 150.000 dollars), ceux de phase 2 à des développements technologiques et à la valorisation (montant moyen : 750.000 dollars). La phase 3 correspond à des dotations spéciales [4] capables d’attirer des financements d’autres investisseurs. Le programme est passablement sélectif : depuis 1982, le taux de réussite des entreprises candidates évolue entre 20 (2006) et 31% (1986). Le nombre de dossiers déposés oscille entre 5 400 et 3.000 par an.

Le programme a deux caractéristiques. La première est que l’assiette de son financement repose sur les fonds fédéraux à la recherche. Ainsi toutes les agences fédérales finançant la recherche pour un montant supérieur à 100 millions de dollars ont pour obligation de consacrer 2,5% de leur dotation au programme SBIR. Bien que 11 institutions fédérales soient dans cette situation, 96% des 1,85 milliards de dollars [5] du programme sont gérés par cinq organisations :
– le Département de la défense (DoD),
– le Département de la santé (DoHHS) [6],
– le Département de l’énergie (DoE),
– la NASA et
– la Fondation nationale de la science (NSF).

La seconde caractéristique est que le SBIR possède une gestion décentralisée au niveau de ces organisations, la SBA n’intervenant que pour fixer les orientations stratégiques, pour s’assurer du bon déroulement et pour déterminer les critères d’éligilité. Naturellement, à ceci s’ajoutent les relations qu’entretient la SBA avec le Congrès dans le cadre du contôle parlementaire des fonds fédéraux.

Concentrons nous aujourd’hui sur le rapport d’évaluation le plus récent. Il porte sur les conséquences d’une disposition controversée concernant l’éligibilité des entreprises candidates au programme. Introduite en 2005 après des débats qui ont débuté trois ans plus tôt, la restriction a trait à la présence de société de capital risque dans l’actionnariat des entreprises candidates. Au-delà d’une majorité de contrôle de 51% dans le capital de la société, cette dernière ne peut pas postuler au programme SBIR. Avec cette disposition, la SBA souhaitait éviter des phénomènes de distorsion de concurrence entre les entreprises candidates tout en favorisant les réels entrepreneurs. En effet, la SBA était partie de l’idée que les entreprises s’appuyant sur des fonds provenant de capitaux risqueurs étaient en meilleure position pour financer leurs innovations et avaient les moyens de leurs ambitions. Cet argument allait de paire avec un autre, plus difficile à mettre en évidence mais autrement plus dommageable pour le libre jeu de la concurrence : ce seraient de très grosses entreprises comme GE ou Microsoft, qui possèdent des sociétés de capital risque et qui parviendraient, via le programme SBIR, à faire financer à bon compte des innovations dans des entreprises détenues par leurs filiales de capital risque.

Au terme d’un passionnant travail d’évaluation couvrant une centaine de pages, le CNR vient de livrer ses premières conclusions dans un document préliminaire. D’une prudence de chat, le CNR laisse cependant clairement entendre que l’Administration a fait fausse route avec cette disposition de 2002, rendue effective en 2005. Elle aurait eu pour effet d’exclure entre 4,1 et 11,9% des entreprises candidates. Si le CNR s’accorde à penser que ces chiffres n’ont pas une grande signification, il se montre plutôt formel quant à la qualité des projets exclus, tous plus prometteurs d’un point de vue scientifique et technologique que les autres. Certes, explique le CNR, les sociétés postulantes détenues par des capitaux risqueurs ont tendance à moins commercialiser leurs produits, mais ce sont précisément ces sociétés qui vont générer le plus de chiffre d’affaires à partir de leur invention développée dans le cadre des fonds SBIR. Dans le domaine biomédical, le CNR conclut par exemple que les restrictions "simplistes" imposées par la SBA "diminuent l’impact positif des investissements de recherche et développement consentis par le pays dans ce domaine" et que cela en est (…) "contraire au principe même de la mission de la SBA qui veut que les fonds fédéraux contribuent à la valorisation de la recherche". Pour terminer, le CNR recommande de revenir en arrière pour permettre à des sociétés exclues d’à nouveau se positionner dans le programme. Il invite notamment la SBA à distinguer les "projets" des "sociétés" qui les portent en raison du fait que les entreprises avec du capital risque disposent en général de plusieurs projets et de plusieurs sources de financement et qu’elles se développent de façon "non-linéaire". A l’inverse, les entreprises candidates s’appuyant sur un seul projet et qui n’ont pas de financement évoluent de manière plus itérative ou linéaire.

Mais ce n’est pas tout. A l’adresse du législatif comme de l’exécutif, le rapport rappelle quelques évidences sur la place et le rôle du programme en indiquant que le SBIR (2,3 milliards de dollars en 2007) avait une portée supérieure à celui du capital risque (1,2 milliards de dollars) en raison du fait que ce dernier n’avait pas vocation à favoriser les étapes précoces des entreprises technologiques. Dans la pratique, explique le rapport, les sources de financement du SBIR, des "anges" et des "VC" sont très complémentaires, elles se combinent entre elles selon le processus d’innovation ou le type d’invention. Mais, en raison de la raréfaction des financements provenant des sociétés de capital risque, le SBIR est actuellement le seul programme appartenant au système national d’innovation qui ne soit pas soumis à des évolutions cycliques. Et pour tout dire le seul programme actuellement à la disposition des sociétés innovantes !

[1] Elles sont quatre: National Academy of Sciences, National Academy of Engineering, Institute of Medicine, National Research Council.

[2] Autrement dit le programme "Small Business Innovation Research" (SBIR).

[3] La SBA (Small Business Administration).

[4] "procurement".

[5] Chiffres 2005. En 2007, le montant du programme atteint 2,3 milliards.

[6] Dont relèvent les NIH.

Source :

"NAS Study on SBIR Adds Hope for the VC Industry", Jonathan Ortmans, 29/05/09 – https://entrepreneurship.org/PolicyForum/Blog/post/2009/05/29/NAS-Study-on-SBIR-Adds-Hope-for-the-VC-Industry.aspx

Pour en savoir plus, contacts :

Site SBA – https://www.sba.gov/
Code brève
ADIT : 59484

Rédacteur :

Antoine Mynard, [email protected]

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