Enrichissement de l’uranium par laser : un avenir sous hypothèque

La plupart des réacteurs nucléaires dans le monde utilisent de l’uranium faiblement enrichi, qui se distingue de l’uranium naturel par sa concentration plus élevée en isotope uranium 235 (entre 3 et 5% par rapport au 0,7% de l’uranium naturel). Compte tenu des possibilités d’application militaire des procédés d’enrichissement, l’accès à ces technologies est extrêmement restreint et les installations à usage civil sont placées sous contrôle international. Aux Etats-Unis, l’enrichissement reste réalisé selon une méthode de diffusion sous voie gazeuse, développée dès les années 40 et très couteuse en électricité. Pour cette raison, d’autres procédés ont été étudiés, notamment une technique d’enrichissement par centrifugation, mise en oeuvre principalement en Europe et en Russie, et qui fait l’objet de plusieurs projets en cours de construction aux Etats-Unis et en France. Différents procédés d’enrichissement par laser ont aussi été développés, mais les progrès de l’enrichissement par centrifugation (liés à de nouveaux matériaux mis en oeuvre) ont conduit au délaissement des procédés laser au moment des choix industriels.

Cependant, en mai 2006, General Electric (GE), associé à Hitachi, a signé un accord exclusif de commercialisation pour un procédé d’enrichissement SILEX (Separation of Isotopes by Laser EXcitation) développé par des scientifiques australiens au sein de Silex Systems Ltd. Cette méthode est basée sur la séparation des pics de résonance des deux isotopes par excitation laser dans un mélange d’uranium sous forme gazeuse (UF6) et d’un gaz porteur, refroidi par détente. Les détails techniques de cette technologie ne sont pas accessibles, car classés confidentiels par les gouvernements américain et australien.

Demande de licence prometteuse

En juin 2009, GLE -une joint venture de GE-Hitachi et Cameco (un des premiers producteurs mondiaux d’uranium d’origine canadienne)- a déposé une demande de licence pour la construction d’une usine basée sur ce nouveau procédé. GE attendra les résultats d’une installation test pour prendre une décision concernant le lancement commercial d’une chaîne à grande échelle. Le cas échéant, GE bénéficiera d’un réel avantage compétitif, la consommation d’énergie et l’espace nécessaire pour enrichir de l’uranium étant moindre, compte tenu de la sélectivité plus importante du procédé dont la valeur exacte est confidentielle.

Mais ce qui apparait comme un avantage commercial pose également le problème des risques de prolifération nucléaire. Bien que le procédé reste très pointu et difficile à mettre en oeuvre, sa faisabilité industrielle n’étant pas encore attestée, il pourrait être utilisé pour produire de l’uranium très enrichi dans des conditions plus difficilement détectables.

Préoccupations liées à la prolifération et à la rentabilité

Une lettre soulevant ces inquiétudes a été transmise par plusieurs associations et experts en prolifération à des membres du Congrès ainsi qu’à la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l’organe de contrôle américain de la sécurité nucléaire chargé de délivrer les licences, pour mettre en garde contre les conséquences qu’aurait l’approbation de l’enrichissement par laser. Cette lettre souligne notamment la probable dynamique que l’adoption de cette technique déclencherait, incitant d’autres pays à s’engager dans le développement de cette technologie avec les risques de fuite technique et de prolifération qu’elle est susceptible d’entrainer.

Aux termes de la réglementation américaine, c’est la NRC qui a la responsabilité de la délivrance de la licence. Or, n’étant pas un organisme politique, la NRC n’a pas pour mission de juger la légitimité de la mise en oeuvre d’une telle technologie et ne pourra que demander des garanties supplémentaires à son exploitation. Dans ce contexte, des voix se font entendre pour remettre en cause l’intérêt du développement d’une telle technique d’enrichissement, vue la part limitée du prix de l’uranium dans le coût de production du kWh nucléaire.

Sauf législation nouvelle au Congrès suscitée par les mouvements anti-laser, le développement du procédé reste aujourd’hui conditionné par le succès des expérimentations en cours à GLE et le résultat de l’analyse de sûreté de la NRC. La décision finale des investisseurs n’est cependant pas acquise, compte tenu du montant des investissements nécessaires et de la forte concurrence du marché.

Source :

– Sur le procédé laser : "Enrichment Separative Capacity for SILEX" de John L.Lyman pour Los Alamos National Laboratory – https://www.silex.com
– Sur la demande de license : https://www.nrc.gov/materials/fuel-cycle-fac/laser.html
– A propos de la lettre adressée à la NRC : https://www.armscontrolcenter.org/policy/nuclearweapons/articles/100209_letter_nrc_laser_enrichment_north_carolina/

Pour en savoir plus, contacts :

– Power point sur la technologie laser : https://cns.miis.edu/activities/media/ferguson_laser_enrichment.ppt
– Transcription d’une conférence organisée par le Monterey Institute sur l’enrichissement par laser et la prolifération : https://cns.miis.edu/activities/pdfs/event_transcript.pdf
Code brève
ADIT : 61290

Rédacteur :

Caroline Frontigny, [email protected]

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