Moins médiatisées que d’autres acteurs de la lutte contre le virus SARS-CoV-2 comme l’université John Hopkins (Baltimore), le Mont Sinaï Hospital (New York) ou d’autres, les institutions texanes de pointe comme le Texas Medical Center (Houston), le UT Southwestern (Dallas), les universités de Texas A&M (College Station), UT Austin (Austin) et sa branche médicale de Galveston (UTMB) sont cependant très actives tant sur la recherche de nouveaux traitements que sur le repositionnement de solutions préexistantes validées par la Food and Drug Administration (FDA). La recherche thérapeutique s’articule principalement autour des axes suivants :
Conception de vaccins (de novo)
Le Baylor College of Medicine et le Texas Children Hospital de Houston ont lancé conjointement le développement d’un vaccin au début du mois d’avril. Cette initiative repose sur l’expertise du Dr. Elena Bottazzi et du Dr. Peter Hotez – tous deux spécialistes en conception vaccinale – et sur la participation d’une équipe du New York Blood Center. Grâce à l’expérience acquise lors de l’épidémie de SARS, ces deux instituts estimaient que seulement 12 à 18 mois de développement seraient nécessaires pour initier un essai clinique de phase I [1]. Récemment, les deux instituts ont annoncé leur partenariat avec l’Infectious Disease Research Institute (IDRI), une organisation médicale située à Seattle et disposant d’une certaine expertise en vaccins[2].
Les deux instituts se sont engagés en parallèle dans un partenariat avec la PATH – une organisation médicale à but non-lucratif – dans l’objectif d’accélérer la recherche vaccinale, de faciliter la validation et les essais cliniques, et d’en favoriser l’approvisionnement [3]. La Baylor Medical Foundation collabore depuis le début de la pandémie avec la Johns Hopkins University, la Duke University et la Mayo Clinic. Elle a également lancé une levée de fond participative pour la conception du vaccin, ainsi que pour avancer les thèmes de : la découverte de principes actifs, la caractérisation génomique de la réponse immunitaire avec son centre de séquençage du génome humain, et l’évaluation de nouveaux vaccins (un essai clinique de phase 2 est en cours sur le remdesivir) [4].
Sérothérapies
L’immunité par sérothérapie représente une alternative rapide à mettre en œuvre et potentiellement intéressante face à la propagation du SARS-CoV-2. Le Houston Methodist avait alors bénéficié d’une autorisation spéciale de la FDA dans des temps records afin de lancer l’étude au plus vite [5]. Depuis, les 30 premiers patients testés se sont rétablis et ne présentent plus de symptômes viraux. Si ces observations sont encourageantes, il sera nécessaire d’inclure plus de patients comme le souligne le Dr. James Musser du Houston Methodist [6]. Une récente publication dans le American Journal of Pathology synthétise les résultats positifs de cette étude, démontrant que pour 76% des cas, les patients présentent des signes d’amélioration – si ce n’est de guérison[7].
Dans la continuité de ces résultats prometteurs, de nombreux hôpitaux du Texas ont emboité le pas, parmi lesquels le UT Southwestern [8] à Dallas, le Baylor College of Medicine [9] à Houston, le Centre médical de Corpus Christi [10], UT Health East Texas [11] à Tyler ou l’hôpital méthodiste Stone Oak [12] à San Antonio. Notons que si le premier essai national approuvé par la FDA a été réalisé à Houston, les essais de transfusion de plasma sont désormais pilotés à l’échelle nationale par la clinique Mayo (Minnesota)[13], et impliquent plus 24000 patients dans plus de 2000 hôpitaux.
La branche médicale de l’université du Texas à Galveston (UTMB) a prépublié deux articles sur les modalités de réplication du SARS-CoV-2, le premier faisant état des mécanismes cellulaires en jeu lors de la propagation, le deuxième abordant le rôle des certains types d’interférons dans la réponse immunitaire [14]. Une autre prépublication relate par ailleurs la piste de la rétro-ingénierie génétique sur laquelle le NIH apporte son support. L’équipe a rendu le SARS-CoV-2 fluorescent, le rendant alors visible dans les cellules qu’il infecte. Bien que commune, cette technique permet d’étudier plus rapidement la réponse immunitaire et de simplifier le dépistage, un résultat pouvant être obtenu sous les douze heures. L’équipe en charge de l’étude investigue désormais la possibilité d’employer le test pour la validation des premières sérothérapies [15].
Repositionnement vaccinal
Le Health Science Center de l’université Texas A&M, sous l’égide du Dr. Jeffrey Cirillo, s’est ainsi vu accorder un fonds de recherche de 2,5 millions de dollars pour réorienter le vaccin du BCG spécifique à la tuberculose, mais dont la réponse immunitaire globale est suffisamment large pour être bénéfique face à d’autres maladies. Le vaccin TICE® BCG est déjà utilisé pour le cancer de la vessie, la fièvre jaune, et d’autres affections pulmonaires semblables au COVID-19 [16]. Ainsi, le Dr. Cirillo a annoncé le 29 avril un ambitieux recrutement de 1800 infirmiers et personnel médical afin de mener une étude en phase IV [17]. Cette étude s’intègre dans une initiative à grande échelle et fait intervenir le MD Anderson Cancer Center de Houston, le Baylor College of Medicine, ainsi que la Harvard’s School of Public Health (Boston) et le Cedars Sinai Medical Center à (Los Angeles) [18].
Le San Antonio Partnership for Precision Therapeutics – inauguré en octobre 2019 – a accordé une somme de 200 000 dollars à un consortium de chercheurs issus de l’université du Texas à San Antonio, UT Health San Antonio, le Southwest Research Institute et le Texas Biomedical Research Institute. Ce groupe de recherche, dirigé par le Dr. Karl Klose, se donne comme objectif de tester l’efficacité du vaccin contre la tularemia (connue sous le nom de « fièvre du lapin »). Etant donné que ce vaccin est une forme vivante, la stratégie envisagée est de le reconfigurer génétiquement pour le forcer à produire des fragments du SARS-CoV-2 [19].
Repositionnement de traitements
Le repositionnement de médicaments constitue un axe de recherche actif avec, en tête de liste, le remdesivir, initialement développé contre la pandémie du virus Ebola. Le groupe du Dr. Wenshe Liu de l’université Texas A&M, fut le premier à mettre en évidence l’action du remdesivir en janvier 2020. D’autres molécules candidates sont actuellement en cours de validation et l’équipe de W. Liu envisage de passer un premier traitement au stade clinique avant la fin de l’épidémie [20].
En parallèle, les instituts UT SouthWestern et Baylor Scott & White Health à Dallas ont initié deux essais cliniques sur le remdesivir sous la gouverne du Dr. Mamta Jain et Dr. Robert Gottlieb [21].
Le College of Pharmacy de l’université du Texas à Austin (UT Austin) étudie les modalités d’administration du niclosamide, un médicament antiparasitaire dont l’action contre le SARS-CoV-2 a récemment été démontrée. S’il est possible de l’administrer par voir orale, sa capacité d’absorption corporelle reste faible. Avec l’aide de la société TFF Pharmaceuticals, l’université a créé une méthode d’administration du médicament augmentant sensiblement les taux d’absorption, en particulier au niveau des poumons, lieux principaux des lésions. La technologie repose sur la formulation de poudres cristallines micrométriques facilement inhalables [22].
Les travaux du Dr. Sreerama Shetty et Dr. Steven Idell du Health Science Center de Tyler visent à réorienter et valider le LTI-03, un médicament réduisant les risques de lésions pulmonaires lors de cas sévères de toux et de troubles respiratoires. Le projet est issu d’une première étude conduite par le Dr. Shetty depuis quinze ans, et a obtenu le support de 50 millions de dollars par levée de fonds de la part de Lung Therapeutics, une start-up créée par le Dr Idell. Grâce à ces fonds, le LTI-03 est désormais en essais clinique de phase I [23].
L’université du Texas à El Paso a constitué une équipe de bioinformaticiens pour sélectionner des molécules candidates et déterminer leur possible repositionnement. Pour ce faire, ils mobilisent la puissance de calcul des super-ordinateurs du Texas Advanced Computing Center (TACC) à Austin et simulent la structure de molécules inhibitrices de protéases. Le Dr. Suman Sirimulla, à la tête de ce groupe de travail, a lancé un appel à candidats – encore ouvert [24] – afin d’étoffer les effectifs. Jusqu’ici, plus d’un milliard de composés ont été testés pour vérifier lesquels correspondent aux critères modélisés. Le Dr. Sirimulla espère obtenir un premier remède antiviral, voire un vaccin, sous un délai de 15 mois à 2 ans [25].
Approche par anticorps
L’université du Texas à Austin (UT Austin) dispose d’excellentes capacités informatique, incarnées notamment par le Texas Advanced Computer Center (TACC). Deux chercheurs de l’université sont parvenus à modéliser la structure en trois dimensions de la protéine dite « spike » qui permet au SARS-CoV-2 de se fixer sur la cellule hôte et d’y insérer du matériel génétique. Leur étude a été publiée au début de la crise et citée à près de 500 reprises depuis sa parution [26].
Un groupe de recherche international incluant l’université UT Austin a identifié et isolé chez un lama des anticorps spécifiques à cette protéine spike. Ceux-ci sont originaires d’un spécimen du zoo de Gand en Belgique, avec lequel travaille l’université texane. Plusieurs validations animales sont en cours et préparent le terrain pour un potentiel vaccin à destination de l’homme [27].
La question des anticorps est également suivie de près par le UT Health San Antonio et la Long School of Medicine, équipés de laboratoires de grades P3 et P4. Leur initiative consiste à mettre en contact le SARS-CoV-2 avec des souris dont le système immunitaire a été modifié, pour copier celui de l’homme, et extraire les variétés d’anticorps produits par l’organisme [28].
Le Dr. Guohua Yi, chercheur au Health Science Center de Tyler, a fait part dans les médias d’une association avec l’université université au Texas à El Paso pour synthétiser un vaccin contre le SARS-CoV-2 via des anticorps antiviraux qui activent l’immunité des cellules T [29]. De plus, le Dr. Yi travaille au déploiement d’un outil de dépistage de type ELISA en utilisant un fragment optimisé d’une protéine qui se lie au SARS-CoV-2. Il s’agit d’une technique dont le principe est similaire au test de dépistage du VIH.
Parmi les étapes de validation thérapeutique se pose la question du modèle animal à utiliser, commune aux approches citées ci-dessus. Le Texas Biomedical Research Institute de San Antonio a organisé une levée de fond de 3,5 millions de dollars au début du mois d’avril, auxquels se sont ajoutés 60 000 dollars du NIH pour sélectionner l’espèce animale la mieux adaptée pour tester les vaccins. Le directeur de l’institut, le Dr. Larry Schlesinger, expliquait pouvoir apporter une première proposition d’ici la première quinzaine de mai [30]. Depuis, les recherches menées par l’institut ont désigné les macaques Rhésus et les babouins comme modèles les plus appropriés pour l’expérimentation sur le système immunitaire[31].
Traitement par cellules souches
Un traitement expérimental à base de cellules souches a été initié au Memorial Hermann Hospital du Texas Medical Center (Houston), puis suivi par le UT Health Science Center du même complexe médical. Le traitement consiste à prélever des cellules souches de la moelle osseuse – non encore prédestinées à un rôle dans l’organisme – dont il a été montré qu’elles régulent la réponse immunitaire lors des cas de détresse respiratoire. Les chercheurs estiment qu’elles permettent de réduire sensiblement l’hyper-inflammation provoquée, par exemple, par le SARS-CoV-2. L’étude est menée en double aveugle avec placebo sur 120 patients. L’initiative fait partie d’un projet de recherche national orchestré par l’université de Californie à San Francisco [32]
Auteurs : Olivier TARDIEU, Renaud SEIGNEURIC (SST Houston)
Notes :
[1] https://www.bcm.edu/news/infectious-diseases/covid-19-vaccine-baylor-texas-childrens
https://www.preprints.org/manuscript/202003.0464/v1
[2] https://www.bcm.edu/news/baylor-texas-childrens-to-accelerate-covid-19-vaccine-testing
[3] https://www.bcm.edu/news/infectious-diseases/partnership-research-covid-19-vaccine
[4] https://www.bcm.edu/giving/covid-19
[7] https://ajp.amjpathol.org/article/S0002-9440(20)30257-1/fulltext#%20
[8] https://www.utsouthwestern.edu/covid-19/about-virus-donate-plasma/
[14] https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/26/6/20-0516_article
Preprint du projet 2 : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.04.02.022764v2
[15] https://www.utmb.edu/newsroom/article12413.aspx
https://marlin-prod.literatumonline.com/pb-assets/products/coronavirus/CHOM_2291_s50_preproof.pdf
[16] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)31025-4/fulltext
[17] https://vitalrecord.tamhsc.edu/texas-am-leads-nationwide-test-of-drug-to-fight-covid-19/
[19] http://www.utsa.edu/today/2020/04/story/SAPPT_covid_vaccine_project.html
[23] https://www.uthct.edu/article/147
[24] Appel à candidature BOINC@TACC : https://boinc.tacc.utexas.edu/create_account_form.php
https://science.sciencemag.org/content/367/6483/1260
[27] https://news.utexas.edu/2020/04/29/antibodies-from-llamas-could-help-in-fight-against-covid-19/
https://www.cell.com/pb-assets/products/coronavirus/CELL_CELL-D-20-00891.pdf
[28]https://news.uthscsa.edu/ut-health-san-antonio-researchers-study-antibodies-against-coronavirus/
[31] https://therivardreport.com/texas-biomed-larger-primates-best-model-in-covid-19-vaccine-study/