Le système universitaire US
Les établissements d’Enseignement supérieur et leur financement
Le système d’enseignement supérieur américain se caractérise par une grande diversité d’établissements d’enseignement supérieur avec 4 313 établissements recensés en 2017 (écoles privées, collèges, universités d’enseignement, universités de recherche… [1]) accueillant plus de 21,9 millions d’étudiants [2].
Parmi ces établissements, seules les « research universities », au nombre de 63 sur l’ensemble du territoire américain, allouent des moyens significatifs aux activités de recherche. Cependant, même si ces plus importantes universités (Harvard, UC San Diego, UC Berkeley, Texas A&M, MIT, Johns Hopkins, Princeton, Michigan, …) dominent largement le champ de la recherche, de nombreuses autres effectuent également des activités de recherche de premier rang.
Les établissements d’enseignement supérieur bénéficient de plusieurs sources de financement selon qu’ils sont publics, privés à but non lucratif ou privés à but lucratif : subventions fédérales, des états fédérés, municipales, dons abondant des fonds de dotation (« endowment funds ») etc… mais surtout frais de scolarités qui, selon le type d’établissement, sa taille, sa situation géographique et les programmes proposés, peuvent varier de 4 000 à 45 000 $ par an (certaines formations universitaires approchent même les 100 000 $ par an [3]). Il est également utile de noter que les frais d’inscription représentent entre 30 à 40% du budget total des universités. Ces montants recouvrent les droits d’inscription, les frais de pension et de logement, les livres et fournitures scolaires, l’assurance médicale de l’étudiant ainsi que les frais de dossier.
La répartition des financements par type d’établissement est présentée ci-dessous [4].
La gouvernance de l’Enseignement supérieur et la recherche
Le gouvernement fédéral américain ne bénéficie pas de pouvoir direct sur l’enseignement supérieur aux Etats-Unis. A la différence de la France, il n’y a pas de Ministre de l’Enseignement Supérieur ni de cadre légal portant sur ces questions. Le ministère de l’Éducation (Department of Education) a pour mission de promouvoir l’excellence académique et d’assurer l’égalité d’accès à l’enseignement. Il fournit une aide financière et technique aux étudiants, à leurs familles, aux enseignants et aux établissements.
Concernant la recherche, ce sont les départements et les agences qui se répartissent l’effort de recherche, coordonnés depuis le Congrès et la Maison Blanche (Office of Science and Technology Policy, OSTP). Les 2 grandes agences de moyens, la National Science Foundation (NSF) et les National Institutes of Health (NIH), occupent une place centrale dans la recherche fédérale américaine :
Avec un budget de 8,3 Mds $ en 2020, la NSF est une pure agence de moyens et contribue pour environ 25 % de l’apport fédéral versé aux institutions universitaires en recherche fondamentale.
Les 27 National Institutes of Health (NIH), dépendants de l’US Department Of Health and Human Services, sont quant à eux la principale source de financement de la recherche médicale et le premier poste du budget fédéral de R&D ; pas moins de 41,7 Mds $ sont ainsi investis annuellement (donnée 2020) dont 80% servent au financement de plus de 300 000 chercheurs et 50 000 bourses à travers 2 500 universités, écoles médicales et autres centres de recherche. Il ne s’agit pas exclusivement d’une agence de moyens : approximativement 10 % du budget des NIH est utilisé pour financer les projets dans leurs propres laboratoires (recherche intra-muros), projets conduits par quelques 6 000 scientifiques.
La recherche
Le budget total de la R&D des universités américaines s’élevait à 76,49 Mds $ en 2017 avec une répartition comme suit des sources de financement : 53,9 % Etat Fédéral, 5,9 % Etat et local, 25,1 % Fonds propres universités, 5,9 % entreprises et 9,8 % autres.
Ainsi les universités américaines dépensent plus de 19,22 Mds $ en fonds propres pour la recherche : 10 d’entre elles dépensent chacune plus d’un 1 Mds $ par an en R&D (UCLA, Standford, Duke, U Wisconsin, UC San Diego, UC SF, U Washington, U Michigan, John Hopkins U) et 143 autres universités dépensent plus de 100 millions par an dans ce domaine [5]. Par ailleurs, depuis le Bayh-Dohl Act [6] , les universités de recherche occupent une place croissante dans le transfert de technologie.
Impact du COVID-19 sur la situation financière des universités
Les universités américaines ont alerté les autorités sur leur situation financière alarmante. Même si la réaction des universités à la crise du COVID-19 se traduit avant tout par l’adaptabilité (l’adoption de mesures au fur et à mesure de l’évolution de la crise), la compréhension des difficultés des étudiants et des familles, la flexibilité, et la résolution des problèmes des étudiants au cas par cas, la crise liée au COVID-19 et la situation financière détériorée ont poussé beaucoup d’entre elles à prendre des décisions importantes concernant leurs étudiants, leurs personnels, les cours et examens et les activités de recherche.
Les raisons de l’état financier dégradé des universités
Les universités ont annoncé des réductions de budget en conséquence d’une baisse de leurs revenus (fonds de dotation, frais de scolarité, baisse des financements publics et privés).
La majeure partie des universités américaines détiennent une part importante de leur richesse dans les «endowment funds» (fonds de dotation). Les intérêts des placements sur ces fonds couvrent une part importante du budget de fonctionnement des universités (de 5 à 40%). L’état actuel de la bourse laisse présager des retours sur placements plus faibles que prévu. Par comparaison, après la crise boursière de 2008-2009, les revenus des fonds de dotation avaient baissé de 30%. Les universités s’attendent aujourd’hui à un niveau au moins similaire de baisse des revenus à la suite de la crise sanitaire actuelle.
Un grand nombre d’universités et de collèges se sont engagés à rembourser aux étudiants 50% à 100% des frais pour l’hébergement, les repas et autres frais auxiliaires pour la période de fin mars à mai. Les frais de scolarités (cours) ne seront à priori pas remboursés car des cours en lignes sont dispensés. Ceci représente cependant un manque à gagner considérable, non prévu dans les budgets, et qui va fragiliser les établissements. Dans l’Illinois par exemple, la plus importante université de l’état considère que cela va coûter plus de $37 millions pour rembourser les étudiants.
Les universités anticipent également que les revenus fédéraux et régionaux (venant des Etats ou des villes) ainsi que ceux d’origine privée risquent de baisser en lien avec leur mobilisation pour lutter contre le COVID-19.
Aujourd’hui les pertes liées à la baisse des revenus et les surcoûts sont estimés de plusieurs dizaines à des centaines millions de dollars dans de nombreuses universités. L’Université de Californie Berkeley, par exemple, a estimé à plus de $200 millions la perte de revenus de l’Université sur l’année et l’Université de Michigan a récemment annoncé des pertes estimées entre $500 millions et 1 Mds$.
Les conséquences sur les cours, les personnels et la recherche
En conséquence de la réduction des recettes, de nombreuses universités ont initié des mesures d’effort budgétaire. Ont ainsi été annoncés le gel des recrutements, le gel des salaires et des promotions salariales et même des baisses de salaires de 5 à 30% selon les revenus (U Bekerley, UT Austin,..). Dans certaines universités, la construction de nouveaux bâtiments a été stoppée comme à l’Université d’Arizona qui a décidé de reporter la construction de 3 nouveaux bâtiments.
Bien que les étudiants aient été renvoyés chez eux et que l’enseignement à distance se soit rapidement mis en place dans de nombreux établissements, la plupart des universités ont adopté des directives particulières concernant la recherche qui peut encore s’y dérouler. Ces directives s’appuient sur les recommandations émises par chacun des gouverneurs, et varient donc d’un Etat à un autre. Elles concernent naturellement en priorité toutes les recherches dans les domaines biologique et biomédical liés à l’étude du SRAS-CoV2 ou participant à la lutte contre le COVID-19. Ainsi, à UC Berkeley ou U Michigan, comme dans de nombreuses universités de recherche, toute recherche considérée comme non-essentielle (ne concernant pas le COVID-19 ou pour laquelle l’interruption ou le report aurait des conséquences financières ou de pertes de données cruciales) est interrompue depuis fin mars. La reprise d’accès aux laboratoires est en cours aujourd’hui mais cela se fait dans des conditions encore très restrictives dans la plupart des universités. Même si les Etats américains ont tous entamé leur phase de déconfinement, le retour à une activité « normal », notamment dans les universités, n’est pas prévu dans l’immédiat.
A noter que de nombreuses universités ont notamment cessé les activités en sciences humaines et sociales lorsque celles-ci nécessitaient des rencontres en tête à tête (interviews, enquêtes…). Par ailleurs de nombreuses recherches sur le terrain ont été reportées ou annulées car la mobilité était déconseillée [7].
Enfin, il est à préciser que de nombreuses associations étudiantes ont alerté sur les conséquences des interdictions d’accès aux laboratoires sur le déroulement de leur recherche et de leur scolarité [8].
Le document en annexe liste un certain nombre de mesures prises par les universités américaines de recherche dans ce contexte.
Le plan de relance et l’aide en faveur des établissements d’Enseignement supérieur
Malgré la réduction anticipée des budgets des universités avec la réduction des revenus des fonds de dotation, des frais de scolarités, et des financements publics (Etats et municipaux) et privés, le 1er plan de relance de $2,200 Mds du gouvernement américain, promulgué le 27 mars, prévoyait des financements à hauteur de $14.25 Mds pour soutenir l’enseignement supérieur. Au moins la moitié sera consacré à l’aide aux étudiants et le reste au soutien des institutions (universités, collèges). Par ailleurs, 1,25 Mds de dollars seront dédiés à des projets de recherche pour lutter contre le COVID-19 et à des financements pour aider les universités en difficultés financières à cause du COVID-19.
- Le National Institutes of Health (NIH) recevra $945 millions pour la recherche sur “vaccins, thérapie et diagnostic” et les “risques liés aux conditions cardiovasculaires et pulmonaires”
- La National Science Foundation (NSF) recevra $76 millions pour aider les chercheurs à travailler sur le terrain pour des études pilotes sur les désastres naturels.
- Le Department of Energy’s Office of Science (DOES) recevra $99.5 millions pour les surcoûts à opérer les infrastructures et laboratoires nationaux durant la pandémie.
- Le U.S. Forest Service recevra $3 millions pour rétablir des expériences qui ont été impactées par le COVID-19.
- 3 agences de recherche recevront un total de $86 millions pour aider à la continuité des opérations affectées par le COVID-19 : la NASA recevra $60 millions pour couvrir le coût de reprogrammation de certaines missions scientifiques, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) recevra $20 millions et la National Institute of Standards and Technology recevra $6 millions pour soutenir “la recherche et la science des mesures” et aider à développer de meilleurs diagnostics et tests pour le coronavirus.
Il est utile de noter que plusieurs organisations d’enseignement supérieur ont demandé au Congrès d’inclure les « perturbations à la recherche » dans les $14,24 Mds dédiés à l’enseignement supérieur. Ces institutions souhaitent utiliser ce financement pour couvrir le coût de fermeture des activités de recherche.
Commentaires
L’interruption des cours en présentiel, la réduction des revenus des placements de fonds de dotation, la réduction annoncée des financements fédéraux, locaux et privés à cause du COVID-19, sont en train de secouer les universités américaines et leur mode de financement. A cela s’ajoute aujourd’hui l’incertitude concernant le nombre d’étudiants étrangers qui seront autorisés à s’inscrire dans les universités pour l’année universitaire 2020-21 et les revendications croissantes d’étudiants qui considèrent que la qualité des enseignements n’a pas été assurée par les cours à distance et demandent un remboursement partiel des frais d’inscriptions [9].
Les réductions budgétaires auront des conséquences importantes sur les universités à court et moyen termes, et certains analystes vont jusqu’à prévoir la fermeture définitive de certains collèges et universités [10].
Auteurs : James DAT et Benjamin DOREILH (SST Chicago), Jean-Baptiste BORDES (SST San Francisco), Pascal LOUBIERES (SST Los Angeles).
Annexe – Exemples de dispositions prises par des universités américaines de recherche durant le COVID-19
University of California-Berkeley a décidé de geler tous les nouveaux recrutements sur l’ensemble des campus.
https://news.berkeley.edu/2020/04/17/an-update-on-uc-berkeleys-budget-situation/
UT Austin, tous les recrutements en cours seront honorés mais les nouvelles demandes de recrutement seront limitées, il n’y aura pas de promotion salariale (à quelques rares exceptions près), ni de dépenses non essentielles de plus de 100,000 dollars.
https://president.utexas.edu/messages-speeches-2020/mitigation-plans-during-covid-19-crisis
Havard University a annoncé le gel des recrutements et des salaires et le report des grands investissements.
https://www.harvard.edu/president/news/2020/economic-impact-covid-19
University of Washington at St Louis. Pas de recherche à moins qu’elle soit considérée comme essentielle. Interdiction de commencer de nouveaux programmes de recherche et réduire au minimum la recherche. Pour la recherche sur les animaux, il est conseillé de réduire les programmes de reproduction des animaux ou cryo-préserver les lignées de souris importantes. Encourager à finir les expériences à une date plus proche que prévue. Prioriser les expériences en fonction des personnels et matériels disponibles. https://medicine.wustl.edu/news/research-in-most-university-labs-moved-from-bench-to-internet/
University of Florida a coordonné ses efforts pour maintenir les services administratifs et les infrastructures de recherche essentielles pour les recherches considérées comme essentielles tout en réduisant au minimum les interactions entre individus.
La recherche avec les animaux a été suspendue depuis le 26 mars et les recherches humaines également sauf sur le COVID-19. https://research.ufl.edu/covid-19-updates.html
University Georges Washington les employés sont encouragés à travailler de chez eux. Les PI sont encouragés à trouver tous les moyens pour réduire la présence sur site et réduire au minimum les activités qui obligent à une présence sur site. https://sponsoredprojects.gwu.edu/covid-19
UT Southwestern a réduit ses personnels sur le campus au personnel critique pour la maintenance des laboratoires. Ces rôles se limitent à s’occuper des animaux et maintenir les réservoirs d’azote liquide. Tous les départements doivent désigner 1 personne qui recevra et traitera toutes les commandes.
Seuls quelques laboratoires qui ont reçu l’aval du Doyen de la recherche et qui effectuent de la recherche directement en lien avec le COVID-19 peuvent continuer à avoir des activités de recherche. https://www.utsouthwestern.edu/covid-19/clinical-trials/
Cornell University : le Président, le Provost, les Vice-présidents, doyens et vice Provost ont accepté une réduction de salaire pour les 6 prochains mois. Gel des recrutements à l’échelle de l’Université.
Pas d’augmentation de salaire pour l’ensemble du campus pour l’année 2021, commençant en juillet.
Tous les cours d’été, conférences et autres activités nécessitant des rencontres entre individus avant le 12 juillet sont annulés. https://www.cornell.edu/coronavirus/statements-news/20200330-financial-impact.cfm
University of de Virginia a décidé de gelé les recrutements et les salaires. https://news.virginia.edu/content/uva-outlines-initial-response-fiscal-impact-covid-19
University of Montana est passée au niveau 2 sur ses activités de recherche. Les différents niveaux donnent des indications sur les activités et les protocoles à suivre. Les mêmes standards sont utilisés à travers le pays. Le Research Level 2 indique que : pas de nouvelles expériences ; seules les expériences essentielles sont autorisées (celles pour lesquelles l’annulation ou le report induiraient des pertes financières ou de données importantes) ; tous les bâtiments de recherche seront fermés et seuls des personnes autorisées pourront avoir accès ; de nouvelles commandes d’animaux ou de protocoles sont suspendues. https://www.umt.edu/research/covid-19_research_impacts.php
University of Arizona projette une perte de $250 Millions. Ces pertes sont liées à des réductions de revenus prévues en inscription, parking et résidences (hébergement et restauration). Une réduction de 25% d’étudiants hors Etat est prévue. Les frais de scolarités représentent 30% du budget de l’Université
Des réductions de salaires sont prévues à partir du 11 mai : Toute personne gagnant plus de $150,001 devra réduire de 17% son salaire. Ceux ayant un revenu inférieur devront prendre des congés sans solde qui correspondront à une réduction de 5% de leur salaire. Ces réductions de salaires s’étendront jusqu’en juin 2021 minimum.
Les réductions de salaires devraient permettre à l’Université d’économiser environ $95 millions.
L’Université a gelé les recrutements, les primes au mérite, arrêt de la construction de 3 bâtiments et demandé à ses exécutifs de prendre une réduction de salaire de 20 %. https://www.insidehighered.com/news/2020/04/19/live-updates-latest-news-coronavirus-and-higher-education
University of Wisconsin System a décidé d’imposer une période de congés non-payés pour l’ensemble du personnel.
https://www.wisconsin.edu/coronavirus/download/Memo_Coronavirus-Update_04.16.20.pdf
University of Michigan a décidé de geler les salaires et les recrutements mais également les déplacements non-essentiels et l’organisation de conférences. Les pertes liées au COVID sont évaluées entre $500 millions et $1 Mds pour l’année 2020.
https://www.michiganradio.org/post/university-michigan-anticipating-losses-1-billion-due-covid-19
Northwestern University a décidé le 16 avril de stopper les projets de construction sauf ceux liés à des projets de mise en sécurité ou nécessitant d’être finalisés dans un délai court. Gel des recrutements et des salaires jusqu’en 2021 au minimum, et demande aux départements de réduire les dépenses.