La raison d’être économique des réseaux sociaux et la bulle web 2.0

Le ralentissement économique associé aux nombreuses incertitudes quant à la rentabilité des modèles économiques frappe de plein fouet le développement des sites de "réseautage social", mieux connu ici sous l’appellation social networking. Malgré l’extraordinaire engouement des internautes pour ces sites (près de 140 millions de visiteurs uniques se sont rendus sur Facebook en juin 2008), c’est l’ensemble de cette jeune industrie des réseaux sociaux qui pourrait s’écrouler.

Plusieurs de ces entreprises ont récemment du revoir leur ambitions de développement à la baisse. Ainsi, le troisième site de réseautage social au monde, HI5 (prononcez High Five) a annoncé en octobre dernier une réduction d’effectif de 10 à 15%. En novembre, c’était au tour des réseaux sociaux professionnels LinkedIn et Jive d’annoncer des diminutions d’effectifs de respectivement 10% et 40%, un indice que les remous de la crise économique atteignent désormais les acteurs de la bulle créée par le web 2.0 (l’ensemble des applications Internet permettant aux internautes d’interagir à la fois avec le contenu des pages mais aussi entre eux).

Bien entendu, les géants du social networking, MySpace et Facebook, avec respectivement 750 et 300 millions de dollars de chiffre d’affaires, semblent mieux armés pour résister à la tempête. LinkedIn au contraire, avec un chiffre d’affaires estimé entre 75 et 100 millions de dollars pour 2008, dispose d’une marge de manoeuvre plus limitée, et a donc été amené à réduire ses coûts.

Ces dernières semaines ont également vu la fin de l’histoire pour Pownce et Values of n, deux jeunes pousses du web 2.0 qui semblaient pourtant assez prometteuses. Pownce qui offrait une plateforme de microblogging (c’est-à-dire qui permet de publier des contenus textuels en format court) et de partage de documents, a été vendue à Six Apart, entreprise éditeur de logiciels de création de blogs. Values of n, qui fournissait des outils organisationnels basés sur le réseautage social, a elle été rachetée par Twitter. Les deux nouveaux propriétaires ont annoncé qu’ils n’allaient pas poursuivre les services à l’origine de ces entreprises, laissant ainsi penser que ces acquisitions visaient davantage à récupérer des talents et des technologies qu’à investir dans de nouveaux concepts. D’après Chris Alden, PDG de Six Apart, la raison est simple : "les fonds disponibles sur le marché actuel ne permettent tout simplement pas de soutenir autant d’entreprises de réseautage social."

Les jeunes pousses absorbées telles que Pownce ou Values of n, apportent certes des technologies et des concepts innovants mais sans véritable modèle économique. Si la conjoncture était plus favorable, ces projets auraient le temps de mûrir et de définir leurs modèles économiques tout en finançant leur développement par les marchés et les capitaux-risqueurs. Aujourd’hui les investisseurs n’accordent pas de répit à ces jeunes pousses, qui doivent rapidement devenir viables, se faire absorber ou bien disparaître.

Le risque majeur aujourd’hui est lié au fait que la valeur de ces sites de réseautage social est principalement fondée sur des spéculations boursières, chacun misant sur une augmentation exponentielle du nombre d’utilisateurs dans l’attente de l’émergence d’un modèle économique rentable. Les investisseurs étant plus que jamais prudent en cette période de fragilité des marchés [1], la croissance des réseaux sociaux est désormais compromise, érodant de ce fait la valeur de ces entreprises sur les marchés. A titre d’exemple, l’achat d’actions de Facebook par Microsoft l’année dernière avait valorisé le réseau social (qui ne générait encore aucun chiffre d’affaires) à plus de 15 milliards de dollars. En novembre dernier, Facebook a tenté de racheter Twitter [2], un site de réseautage social à la croissance fulgurante, pour seulement 500 millions de dollars. Twitter a rejeté cette offre.

Les investisseurs s’interrogent sérieusement sur le modèle économique de ces sites ainsi qu’à leur capacité à créer du chiffre d’affaires. Certaines sociétés ont bien tenté différentes approches et applications publicitaires, mais le retour sur investissement reste limité. Les modèles de financement par la publicité n’ont pas eu, à l’instar d’un Google, de réel succès sur les sites de réseaux sociaux. Il est vrai qu’un utilisateur de Google est plus susceptible de se laisser tenter par une publicité, qui plus est correspond à sa recherche, qu’un internaute se rendant sur Facebook pour communiquer avec ses amis.

Il est ainsi paradoxal de constater que moins de 1% du budget total de la publicité numérique converge vers les sites de réseautage social alors que 37% des internautes adultes et 70% des adolescents les utilisent régulièrement. Cependant, la viabilité économique du Web 2.0 pourrait bien se trouver dans sa capacité de générer du marketing direct ou du ciblage comportemental. Ces informations pourraient alors être monétisables par la publicité hors du seul circuit d’un site communautaire.

Il est difficile de ne pas faire l’analogie entre la bulle Internet de l’an 2000 et cette bulle web 2.0, créée autour des sites de réseautage social et autres blogs. Personne ne veut croire en l’éclatement de cette bulle, mais toutes les parties prenantes en parlent…. De l’avis général, seul l’émergence d’un modèle économique viable contribuera à faire en sorte que les risques d’éclatement soient plus faibles. Ainsi, le ralentissement économique, qui semble avoir calmé le gonflement prématuré de cette bulle, pourrait bien contre toutes attentes, avoir un avantage : laisser au web 2.0 le temps de trouver sa raison d’être économique.

Source :

– "Are Social Networks Sinking?" Michael Fitzgerald, 10/12/2008, MIT Technology Review, https://www.technologyreview.com/business/21791/page1/
– "Making Money from Social Ties", Erica Naone, 18/09/08, MIT Technology Review, https://www.technologyreview.com/business/21791/page1/

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] "Capitaux-risqueurs et Business Angels s’adaptent pour résister aux remous de la crise financière", BE Etats-Unis n°139, 24/10/2008, https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56415.htm
– "Le capital risque américain broie du noir", BE Etats-Unis n°141, 10/11/2008, https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56604.htm
– [2] Popularité ou chiffre d’affaires ? Deux modèles de jeunes pousses face à la récession, BE Etats-Unis n°140, 03/11/2008, https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56480.htm
Code brève
ADIT : 57070

Rédacteur :

Yann Le Beux, [email protected]

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