Nausica Arnoult, biologiste moléculaire, a monté en 2018 son laboratoire Arnoult Lab, au sein de l’Université du Colorado, Boulder. Avec son équipe en plein essor, elle s’intéresse d’une part à la réparation des cassures de l’ADN et d’autre part à la biologie des télomères. Elle explique : « Notre ADN subit constamment des dommages et cassures, heureusement réparés par différentes machineries cellulaires. Mon laboratoire étudie la manière dont ces cassures sont réparées ».
Ces recherches permettent notamment d’explorer les thématiques liées au cancer. En effet, avant de devenir cancéreuses, les cellules des tumeurs ont accumulé de nombreuses mutations. La chercheuse ajoute que « le plus souvent, les tumeurs s’accompagnent de mutations dans les voies de réparation de l’ADN. En manipulant les mécanismes de réparation de l’ADN, il est possible d’empêcher cette réparation dans les cellules cancéreuses, et ainsi d’entraîner leur destruction ».
Mieux comprendre les différentes voies de réparation de l’ADN permet d’optimiser les chimiothérapies qui visent ces mécanismes ou induisent des dommages ; cela permet également d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Les recherches dans ce domaine évoluent très rapidement et prennent de l’ampleur, notamment grâce à un ensemble de nouvelles techniques développées ces dernières années dans les laboratoires. Parmi elles, les techniques d’édition du génome.
En effet, « la manipulation de l’ADN par Crispr-Cas9 – technique de « ciseaux moléculaires » très médiatisée – implique d’induire une cassure d’ADN de manière contrôlée et d’utiliser les mécanismes cellulaires de réparation pour modifier un gène. Afin de mieux contrôler cette technique et la rendre plus efficace, il est essentiel de mieux comprendre et éventuellement de pouvoir influencer le type de réparation utilisé par la cellule ». Ainsi, les recherches fondamentales de son laboratoire participent à nourrir de nouveaux espoirs pour guérir certains cancers et maladies génétiques.
Par ailleurs, son laboratoire s’intéresse également aux télomères : « Ce sont des structures qui protègent les extrémités des chromosomes et maintiennent une balance cellulaire au cours du vieillissement : en forçant les cellules âgées à arrêter de se diviser, les télomères induisent le vieillissement cellulaire mais empêchent le développement des cancers ».
Le second rôle des télomères est d’empêcher la cellule de confondre les extrémités des chromosomes avec des cassures d’ADN, et ainsi de fusionner les différents chromosomes, ce qui entrainerait des dommages importants. Son laboratoire mène ainsi des projets de recherche visant à expliquer comment les télomères inhibent les mécanismes de réparation de l’ADN.
Ces recherches de pointe, dans des milieux scientifiques particulièrement compétitifs, gagnent à être mises en avant pour leur excellence, et pour la détermination démontrée par les chercheurs qui poursuivent une telle carrière.
Une participation au fantastique Human Genome Project comme déclencheur d’une vocation
En l’an 2000, alors que Nausica Arnoult était étudiante en DEUG (ex-Licence) à Évry (91), le consortium international Human Genome Project séquençait le premier génome humain. La France, et plus précisément le Centre National de Séquençage d’Évry, était en charge de la séquence du chromosome 14. Elle se souvient avec beaucoup d’enthousiasme : « Mon job d’étudiante était de lancer les runs (ou analyses) de séquençage du soir. J’ai donc fièrement participé au séquençage du premier génome humain ». Il s’agit sans nul doute d’une activité qui a ouvert des vocations. Plus tard, en 2009, Elizabeth Blackburn obtient le prix Nobel de médecine et physiologie pour la découverte de la télomérase. Nausica Arnoult commente : « C’est l’enzyme qui rallonge les télomères dans les cellules souches mais aussi dans la plupart des cellules cancéreuses. À l’époque, je faisais ma thèse à l’Institut Curie sur la réplication des télomères, et Elizabeth Blackburn était à Curie pour quelques mois. J’ai donc eu l’immense plaisir de discuter de mon projet de thèse avec cette scientifique exceptionnelle ».
Nausica Arnoult précise qu’elle n’a pas grandi avec des scientifiques, ni dans sa famille, ni dans son entourage. Elle précise néanmoins, et il semble que c’est une des clés principales : « J’ai toujours eu un esprit très cartésien et très curieux. C’est donc peu surprenant que j’aie décidé, lycéenne, de m’orienter vers la recherche scientifique. Par ailleurs, le milieu universitaire m’a toujours été familier, puisque mon père était technicien dans une université. J’y ai donc passé mes années de crèche, nombre de mercredis après-midi ainsi que mes premiers jobs d’été. Étudiante, je me sentais donc comme chez moi à l’université, et cela a certainement encouragé la poursuite d’une carrière académique ».
Quant à l’aventure américaine, celle-ci a commencé en fin de licence lors d’un stage d’été dans un laboratoire de l’université de Stanford, en Californie : « Je suis restée impressionnée par les laboratoires américains, et j’avais beaucoup aimé la vie californienne ». Elle ajoute qu’au cours de son doctorat, elle avait été fascinée par les travaux de recherche d’une équipe de San Diego, qui travaillait sur des sujets très proches des siens. Son envie d’expatriation a cependant pris un peu plus de temps : « J’avais très envie de rejoindre cette équipe pour un post-doctorat. Mais ayant eu un bébé en fin de thèse, l’expatriation à l’autre bout du monde avec un nouveau-né me faisait peur. J’ai donc d’abord passé quelques années en Belgique et attendu que mon fils ait 3 ans pour rejoindre le Salk Institute, à San Diego, en post-doctorat ».
Cette concrétisation est une belle démonstration que les mobilités sont possibles avec une bonne dose de curiosité, de volonté et détermination. Si elle projetait de revenir en Europe après cette expérience, elle souligne que ce retour était trop compliqué à organiser : « Il y avait très peu de postes ouverts, les conditions n’étaient pas aussi bonnes qu’aux États-Unis. Et au final, j’étais désormais plus familière avec le système américain. Plusieurs avantages m’ont séduite et ont déterminé ma décision d’y rester : d’une part les financements de projet sont pour 5 ans contrairement à 2-3 ans en France.
S’ils sont difficiles à obtenir, les chercheurs passent moins de temps à rédiger les longs dossiers de demandes de financement. D’autre part, il y a plus de postes « indépendants » pour les scientifiques terminant leur post-doctorat. Après 8 ans de post-doc (la durée des post-docs varie et peut s’étendre jusqu’à 10 ans), je voulais vraiment avoir ma propre équipe totalement autonome ». Lorsque sa décision de rester sur le continent américain fut prise, elle a postulé un peu partout aux États-Unis pour ouvrir son propre laboratoire (ces démarches prennent généralement un an), avant de se décider à rejoindre l’Université du Colorado, à Boulder, en 2018. Enfin, Nausica Arnoult encourage la mobilité, les collaborations et les échanges entre scientifiques car « la recherche est toujours meilleure lorsqu’ils s’unissent ».
Les role models et la présence de parité encouragent les plus jeunes
A propos de la diversité, « la question se pose, bien sûr », affirme Nausica Arnoult. Elle précise que celle-ci, qu’elle soit de genre, d’ethnie ou de culture, est génératrice de créativité. « La science est meilleure lorsqu’elle est faite par des scientifiques d’origines diverses. Et plus l’on est représentatif de cette diversité, plus on l’attire ». Par exemple, selon elle « il y a plus de chances qu’une femme se tourne vers une carrière scientifique et académique si elle voit de nombreuses femmes scientifiques dans son département, lors des conférences, etc. ». De son point de vue, « c’est aussi une question de justice. En biologie, la moitié des étudiants, thésards et post-doctorants sont des femmes, mais il y a un important plafond de verre dans les fonctions de direction : direction de laboratoire, d’unité ou d’institut.
Or il n’y a aucune raison à cela ». Elle indique avoir eu « la chance » de choisir un domaine de recherche particulièrement féminisé et remarque que dans son domaine en particulier, les plus grands noms de la recherche sur les télomères sont des femmes : Barbara McClintock (Prix Nobel 1983), Élizabeth Blackburn (Prix Nobel 2009), Titia de Lange (Breaktrhough Prize 2013). Ces femmes ont été pour elle des role models. Elle énonce également que, plus généralement, de nombreuses équipes travaillant sur les télomères sont dirigées par des femmes et, lors des conférences internationales, plus de la moitié des intervenants sont des femmes. D’un autre côté, à l’institut Curie, la plupart des unités de recherche étaient aussi dirigées par des femmes.
Ainsi, « la question d’être une femme ne s’est jamais posée. Poursuivre une carrière académique en tant que femme semblait totalement naturel. Ce n’est que plus tard que j’ai compris combien la situation était différente pour nombre de mes collègues féminines, pour qui s’imposer en tant que femme n’était pas toujours facile ». Les instituts de recherche et les départements universitaires ont un rôle à jouer à ce niveau. Aux États-Unis, ces derniers en ont d’ailleurs fait le bilan ces dernières années, et tous essayent désormais de recruter hommes et femmes à parité, et d’augmenter la diversité.
Aujourd’hui, elle remarque cependant : « Nombre de mes collèges femmes abandonnent la carrière académique car trouver un poste indépendant ? ce qui prend généralement une année et beaucoup d’énergie ? coïncide souvent avec la maternité. Or, faire face à cette recherche d’emploi, à la pression et aux nombreux déplacements que cela nécessite, est difficile à concilier avec des enfants en bas âge ». Elle poursuit : « Mon conseil pour les jeunes (filles) est donc de suivre leur instinct, leurs vraies passions, et ne pas se laisser influencer par les rôles pré-dictés et genrés qui sont encore à l’œuvre aujourd’hui. Enfin, plus tard dans leur carrière, les jeunes femmes doivent faire confiance en leurs capacités à devenir des scientifiques, incluant celle d’imposer une meilleure balance travail-vie privée ».
Pour en savoir plus :
Le profil de Nausica Arnoult : https://www.colorado.edu/mcdb/nausica-arnoult
Le laboratoire de Nausica Arnoult : https://www.arnoultlab.org/
Crédits Photo :
- Photo 1 ©Salk Institute : Nausica Arnoult
- Photo 2 ©Bruce Proctor : Nausica Arnoult
- Photo 3 ©Hubert Fleury : Nausica Arnoult
Interview réalisé par Maëlys Renaud – Attachée adjointe pour la science et la technologie, Los Angeles [email protected]
Cet article a été initialement publié sur le site du Consulat Général de France de Los Angeles