Utilisées depuis les années 1940, les substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) [1] sont présentes dans de nombreux produits du quotidien (ustensiles de cuisine, vêtements et tapisseries, cosmétiques, peintures, pesticides, lubrifiants, adhésifs, emballages alimentaires, équipements de chauffage et de réfrigération, mousses anti-incendie, etc.) ou professionnels (industrie électrique, électronique, automobile, pétrolière, etc.). L’Union européenne estime à 230 000 tonnes par an la quantité de PFAS actuellement introduite sur le marché.
Mais les propriétés même de résistance à la chaleur, à l’eau, aux huiles, etc. qui font leur intérêt – dues à la force de la liaison chimique carbone-fluor – ont pour contrecoup une difficulté extrême à les éliminer une fois qu’ils sont dans l’environnement : leur résistance à l’hydrolyse, à la photolyse, à la dégradation microbienne ou métabolique, etc. leur a valu le surnom de “polluants éternels”. Les PFAS se diffusent dans les sols, l’air, l’eau, et par là dans toute la chaîne alimentaire, et s’accumulent au cours des décennies dans l’environnement comme dans les organismes vivants.
Or certains PFAS sont désormais clairement identifiés comme facteurs de troubles cardiovasculaires, de cancers (foie, reins, testicules), et d’impacts négatifs sur l’immunité, la régulation hormonale, la fertilité, le développement foetal, la croissance des nourrissons en cas de contamination du lait maternel.
Les études sérologiques [2] régulièrement effectués par les Centers for Disease Control (CDC) conduisent à estimer à 98% le pourcentage de la population américaine présentant au moins quatre PFAS connus dans son sang (PFOS, PFOA, PFHxS, PFNA [3]), et l’eau potable de plus de 200 millions d’Américains serait contaminée. Certaines professions sont plus particulièrement exposées (pompiers, militaires, employés des industries chimiques produisant ou utilisant ces substances). Les PFAS (en particulier ceux dits “à chaîne courte”) peuvent par ailleurs être transportés dans l’environnement sur de longues distances – ils ont été détectés jusque dans les précipitations en Antarctique et sur le plateau tibétain.
La Maison Blanche a annoncé le 14 mars 2023 un projet de première réglementation nationale concernant les concentrations maximales de PFAS dans l’eau potable [4] (il existait déjà des réglementations contraignantes dans dix Etats, dont le Massachusetts, l’Etat de New York, le New Jersey). Une consultation publique sur le texte de ce projet de réglementation a été ouverte le même jour par la Environment Protection Agency (EPA) [5], en vue d’une entrée en vigueur à la fin de l’année 2023.
Six PFAS sont visés (ainsi que leurs isomères et sels) au vu des données scientifiques disponibles sur leur toxicité et leur probabilité d’être présents dans l’eau potable, ainsi que sur l’existence de technologies de détection et de décontamination éprouvées, efficaces et déployables à grande échelle à un coût raisonnable (une bonne partie du texte de la consultation est la revue de ces données technologiques et hypothèses économiques) :
- Pour deux d’entre eux (PFOA et PFOS), le seuil maximal réglementaire, dont le dépassement impose une action correctrice, est fixé par l’état de l’art des capacités de détection : 4 parties par trillion. Ceci revient à dire que l’objectif est une élimination totale.
- Quatre autres substances sont abordées « collectivement » (PFNA, PFHxS, PFBS [6], HFPO-DA [7], aussi connu sous le nom de GenX) : une somme pondérée de leurs concentrations ne doit pas dépasser le seuil fixé, de l’ordre de 10 parties par trillion.
Les acteurs de la distribution d’eau potable devront par ailleurs publier leurs données, à une fréquence elle-même fonction des résultats.
Un investissement sur 5 ans de 9 Md$ est prévu pour la mise à niveau des systèmes de distribution d’eau potable impactés par les PFAS (les systèmes conventionnels de traitement des eaux n’étant pas efficaces pour traiter les PFAS). Un budget additionnel de 370 M$ est prévu pour les pompiers qui ont été professionnellement exposés au PFAS. On peut noter qu’une lettre bipartisane a été adressée par 30 membres du Congrès au président Biden le 24 février 2023 pour l’inviter à consacrer un budget « robuste » aux PFAS dans l’année fiscale 2024 [8].
Le Safe Drinking Water Act (SDWA) impose à l’EPA de justifier du rapport coût-bénéfice des réglementations qu’elle introduit. La mise en place de cette réglementation est censée prévenir « des milliers de décès » et « des dizaines de milliers de maladies sérieuses ». Le projet de réglementation tente un chiffrage des coûts et des bénéfices.
L’Office of Science and Technology Policy (OSTP) de la Maison Blanche a publié le même jour un rapport [9] faisant le point sur les connaissances et les questions ouvertes sur les PFAS, en particulier concernant la compréhension et la réduction de leur impact environnemental et sanitaire. Il est le produit du travail d’une “PFAS strategy team” associant des experts de nombreux départements et agences fédérales [10]. Le rapport fournit une cartographie des recherches menées ou soutenues par les agences fédérales (le budget consacré à ces recherches, en croissance continue, est estimé à 250 M$ de dollars pour l’année fiscale 2023, et le montant cumulé depuis 2019 est estimé à 725 M$).
Quatre axes d’études y sont identifiés :
- L’élimination, la destruction ou la dégradation des PFAS dans les différents milieux (air, eau, sols, résidus solides).
- Les alternatives aux PFAS plus sûres et moins nocives pour l’environnement offrant des fonctionnalités comparables – en évitant les “substitutions regrettables” : il est déjà arrivé que l’industrie remplace certains PFAS par des substances s’avérant également toxiques.
- La compréhension des sources et voies d’exposition. Est rattachée à cet axe la compréhension du transport et du devenir des PFAS et des molécules issues de leur dégradation dans l’environnement. Des enjeux importants sont l’amélioration de la sensibilité des technologies de détection et la mise au point de méthodes permettant de mesurer des concentrations totales de mélanges de nombreux PFAS en petites quantités individuelles.
- La toxicité pour les humains et les animaux : l’enjeu principal est de comprendre et quantifier les niveaux de risques associés à la multiplicité d’effets sanitaires de milliers de composés PFAS et de leurs mélanges, et de garantir la cohérence entre simulations, mesures in vitro et mesures in vivo, en limitant autant que possible les tests sur les animaux.
Le sujet des méthodes d’évaluation de la toxicité des PFAS est politiquement sensible. En avril 2021, l’EPA avait été amené à retirer une évaluation de la toxicité du PFBS « marquée par des erreurs et des influences impropres non scientifiques » [11][12]: en 2020, des responsables nommés par l’administration Trump avaient corrigé à la baisse les évaluations de toxicité de ce composé, ce qui aurait limité les coûts des mesures à prendre par l’industrie. Une version révisée « soutenue par des scientifiques de carrière » a été publié (l’OSTP a émis depuis un document cadre pour le renforcement de l’intégrité scientifique dans les agences fédérales, visant à les mettre à l’abri des interférences politiques [13] – cf notre article dans la Newsletter de février 2023).
Des processus de réglementation des PFAS également engagés en Europe et au Canada
Au niveau de l’UE, un certain nombre de PFAS, notamment PFOA et PFOS, relèvent déjà de la réglementation européenne REACH sur les substances chimiques. Une directive adoptée par le Conseil en janvier 2021 limite, à compter du 1er janvier 2026, à 100 nanogrammes par litre la concentration totale d’un ensemble désigné de 20 PFAS dans l’eau potable, et à 500 nanogrammes par litre la concentration pour l’ensemble des PFAS.
Une volonté d’éliminer plus complètement les PFAS a été annoncée en 2021 dans le cadre du EU Green Deal. Une consultation publique en cours depuis le 22 mars et jusqu’au 21 septembre 2023, sur une proposition publiée le 7 février par l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA), à l’initiative du Danemark, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suède.
Il est proposé d’appliquer des restrictions à “plus de 10 000 substances” dans le cadre de REACH. L’approche retenue est l’interdiction générale, avec dérogations spécifiques limitées dans le temps pour certains usages, sur la base de l’analyse des alternatives et d’autres considérations socio-économiques, cette interdiction portant à la fois sur la fabrication, la distribution et l’utilisation. La décision par le comité REACH est envisagée pour 2025, la période de transition laissée à l’industrie sera de 18 mois, les restrictions prendront donc pleinement effet à compter de 2026-2027. Une diminution de 95% des émissions de PFAS dans l’environnement est espérée de ces mesures.
Une consultation publique est également en cours au Canada jusqu’au 12 avril 2023, avec une proposition de réduire la concentration totale des PFAS dans l’eau potable à moins de 30 nanogrammes par litre, sans attendre que des données complètes de toxicité soient disponibles pour toutes les molécules.
Rédacteur: Joaquim Nassar, Attaché pour la Science et la Technologie à l’Ambassade de France à Washington, [email protected].
[1] La définition des PFAS n’est pas universelle, et certaines agences l’ont fait évoluer dans le temps : La définition de l’OCDE inclut toute molécule ayant au moins un atome de carbone fluoré, ce qui conduit à des dizaines de milliers de substances ; la nouvelle “définition de travail” de l’EPA adoptée en 2022 (“molécules comprenant deux atomes de carbone adjacents dont l’un est complètement fluoré et l’autre au moins partiellement fluoré“) conduit à une base de données de 6500 substances.
[2] https://www.cdc.gov/biomonitoring/PFAS_FactSheet.html
[3] respectivement : acide perfluorooctanesulfonique, acide perfluorooctanoïque, acide perfluorohexanesulfonique, acide perfluorononanoïque
[4] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/03/14/fact-sheet-biden-harris-administration-takes-new-action-to-protect-communities-from-pfas-pollution/
[5] https://www.epa.gov/sdwa/and-polyfluoroalkyl-substances-pfas
[6] Acide perfluorobutane sulfonique
[7] Acide dimère d’oxyde d’hexafluoropropylène
[8] https://dankildee.house.gov/sites/dankildee.house.gov/files/Letter%20-%20Funding%20to%20Address%20PFAS%20in%20POTUS%27%20FY24%20Budget.pdf
[9] https://www.whitehouse.gov/ostp/news-updates/2023/03/14/nstc_pfas_report/
[10] USDA, SBA, EPA, HHS (CDC,FDA, NIEHS), DOE, DHS, NOAA, NASA, NSF, OMB, NIST, DoD, USGS, DOT
[11] https://www.epa.gov/system/files/documents/2023-03/_epaoig_20230307-23-E-0013.pdf
[12] https://www.epa.gov/newsreleases/epa-releases-updated-pfbs-toxicity-assessment-after-rigorous-scientific-review-0
[13] https://www.whitehouse.gov/ostp/news-updates/2023/01/12/ostp-releases-framework-for-strengthening-federal-scientific-integrity-policies-and-practices/