Azote et phosphore dans l’eau : la baie de Chesapeake fait son marché

On connaissait bien sûr le "Cap and Trade" (marché de permis d’émission), par ses versions très efficaces (SO2, NOX) ou encore en voie de perfectionnement (CO2). Mais ce mécanisme de marché se cantonnait jusqu’à présent aux émissions atmosphériques. Voilà que, dans la baie de Chesapeake, il pourrait être appliqué aux rejets aqueux diffus afin de réduire les teneurs en nitrates et en phosphates.

Un écosystème très fragile et dégradé

La Chesapeake Bay est le plus grand estuaire des Etats-Unis. Son bassin versant couvre plus de 165.000 km2, et inclut tout ou partie de 6 états plus le District de Columbia. Paradoxalement, quoique ausculté en profondeur depuis près de 3 décennies, ce plan d’eau reste très dégradé en termes écologiques, avec des pertes atteignant jusqu’à 99% pour certaines espèces comme les huitres. En 2008, la qualité des eaux avait été classée "très mauvaise" par l’Environmental Protection Agency (EPA). Les symptômes de la dégradation sont connus, mais nombreux: hypoxie, eutrophisation, surpêche, espèces invasives, contaminations bactériologiques ou chimiques, etc.

Par conséquent, le chantier de restauration à un état correct est herculéen: on estime qu’il faudrait réduire les apports d’azote et de phosphore dans la baie respectivement de 44% et 27% d’ici 2030 (base 2000), alors même que l’activité humaine est appelée à s’y développer. Le Président Obama en avait pris la mesure très rapidement, puisqu’il avait signé le 12 mai 2009 un Décret Présidentiel (Executive Order 13508) visant à protéger ce "trésor national […], ressource écologique, économique et culturelle unique". Son administration avait déjà prévu un financement de 92,8 millions dans le plan de relance, destinés à améliorer les contrôles et la maitrise des pollutions. Par ailleurs, l’EPA travaille depuis plusieurs mois avec les Etats concernés afin de fixer un seuil d’émission – la charge totale maximale journalière admissible ("total maximum daily load").

Proposition d’un marché de quotas d’émission

Dans le même temps est intervenu un fait nouveau. Le Sénateur Ben Cardin (Démocrate du Maryland) a dévoilé le 18 octobre un projet de loi visant à atteindre d’ambitieux objectifs par le biais notamment d’un marché de permis d’émissions applicable à l’azote et au phosphore. Le texte prévoit une nouvelle subvention de $1.5 milliard pour la maitrise des eaux de pluie, d’ici à 2025. Et il exigerait de l’EPA qu’elle développe un cap-and-trade afin d’améliorer l’incitation à la réduction. Ce projet de loi a reçu l’assentiment de la principale ONG militant en faveur depuis plus de 25 ans, la Chesapeake Bay Foundation (CBF). Son président, Will Baker, dont l’organisation avait attaqué l’EPA en justice en raison de la lenteur du processus de réhabilitation, s’est dit satisfait des avancées proposées.

Mais la CBF, comme ses consoeurs, reste vigilante sur les modalités de mise en oeuvre du mécanisme. Celui ci n’atteint l’objectif poursuivi -la réduction du niveau global de pollution- que si le Cap (plafond de rejet) est suffisamment bas pour inciter les comportements (ou investissements) vertueux et créer, par là-même, un vrai marché d’échanges. A priori, la principale difficulté consiste à pouvoir mesurer de manière fiable les progrès enregistrés, ce qui, dans un système de pollution diffuse est nettement plus complexe que dans un système comportant peu d’émetteurs (comme ce fut le cas pour le SO2 dans les années 1990).

L’annonce par le Sénateur Cardin vise vraisemblablement à contrer, en l’anticipant, la mainmise de l’état fédéral sur des problématiques que les états fédérés estiment leur appartenir. Mais elle montre que le dossier avance, comme l’avait souhaité le Président Obama. Le groupe de travail des agences fédérales, coordonné par l’EPA, a déjà présenté son dossier pour revue et commentaire auprès du public et devrait publier sa stratégie définitive en mai 2010. Dans les 6 mois à venir, on verra donc se dessiner les contours exacts de ce mécanisme de marché d’un genre nouveau, révélateur de la propension américaine à préférer la loi du marché à la réglementation.

Source :

– "Cardin Unveils Federal Chesapeake Restoration bill" – Philadelphia Inquirer du 19/09/09 – https://www.philly.com/philly/wires/ap/news/state/pennsylvania/20091019_ap_cardinunveilsfederalchesapeakerestorationbill.html
– Site internet de la Chesapeake Bay Foundation (ONG environnementale): https://www.cbf.org/Page.aspx?pid=1000

Pour en savoir plus, contacts :

– Auditions de la commission Infrastructure et Transport de la Chambre des Représentants (22/09/09): https://transportation.house.gov/News/PRArticle.aspx?NewsID=1008
– Site internet du Program de la Chesapeake (co-piloté par les Etats fédérés du Maryland, de la Pennsylvanie, de la Virginie, et par le District de Columbia avec l’EPA): https://www.chesapeakebay.net
– Plan de restauration de la Chesapeake proposé par le Natural Resources Defense Council (NRDC, ONG environnementale) – "Seizing a Watershed Opportunity": https://www.nrdc.org/water/oceans/ttw/files/chesapeakebay.pdf
Code brève
ADIT : 60900

Rédacteur :

Marc Magaud, [email protected]

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