Tendances de l’IA 2024 : paysage et acteurs de l’IA générative (1/4)

A l’occasion de cette rentrée 2024 et 6 mois avant le sommet pour l’action sur l’IA [1] qui se tiendra à Paris les 10 et 11 février 2025, le Service pour la Science et la Technologie (SST) vous propose une petite mise à jour des tendances et avancées de l’IA générative. Ce premier article d’une série de quatre s’intéresse au paysage des acteurs de la GenAI et à leur stratégies de développement, à mettre en regard des avancées en termes de régulation et de gouvernance à l’échelle mondiale.
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Crédit photo : Analytics India Magazine – August 2024  

 

Au rythme effréné auquel progresse cette technologie, communément appelée GenAI, il est parfois difficile d’assimiler les informations et d’avoir un panorama global et à jour des opportunités offertes par l’intelligence artificielle (IA) générative. A travers cette série de 4 articles, l’équipe du service scientifique de San Francisco vous propose un petit tour d’horizon – parfois technique et parfois moins – de ce qui tient en ce moment en haleine les experts de l’IA en Silicon Valley. Petit aperçu de quelques tendances et évolutions de la GenAI qui nous attendent dans un futur proche.

 

1. Après l’adoption par le grand public, l’adoption par les entreprises

 

C’est une avancée technologique, les transformers, qui est à l’origine de la démocratisation de l’IA, autrefois réservée aux experts. Grâce à eux, il est désormais aisé de déployer des modèles de langage sophistiqués, accélérant ainsi l’innovation dans ce domaine. Aujourd’hui, l’évolution du paysage de l’IA générative n’est plus annuelle mais bien journalière, et il est difficile d’établir des tendances à l’échelle d’une année, ou même de quelques mois. Voici tout de même un petit agenda des développements récents et de ce à quoi nous pourrions nous attendre dans un futur proche en matière d’adoption de la GenAI [2].

 

L’année 2023 a marqué un tournant avec l’explosion de l’IA conversationnelle, offrant au grand public un premier aperçu concret des capacités de cette technologie. Les entreprises, quant à elles, se sont lancées dans une phase d’expérimentation, confrontées à des attentes parfois démesurées et à la nécessité de maîtriser de nouvelles compétences, telles que le « prompting ». Cette année a également été marquée par les premières tentatives de régulation de l’IA au niveau européen.

 

En 2024, l’adoption de l’IA générative s’est accélérée de manière exponentielle. Les entreprises ont intégré cette technologie au cœur de leurs processus, transformant en profondeur leurs organisations et parfois jusqu’à la culture de l’entreprise. Les États-Unis ont pris une longueur d’avance, démontrant des gains significatifs en productivité, créativité et efficacité. Cependant, des défis persistent, notamment liés à la maturité des modèles. Début 2024 au sommet de Davos, la majorité des exécutifs étaient dans une position d’attente vis-à-vis de ce que l’IA avait à leur promettre [3], et la tendance n’était pas de plonger dans la vague sans réfléchir. Des questions importantes se posent relatives à la différenciation technologique et la compétitivité, ainsi qu’à l’accessibilité et au coût des ressources (de calcul notamment, mais également la disponibilité des composants, de l’énergie… et des talents !). Sur le plan géopolitique, l’IA en matière de défense, de cybersécurité et d’ingérence (dans une année électorale particulièrement intense dans plus de 50 pays), explose en 2024. Nous vivons une vague d’innovations sans précédent et le besoin de régulation se concrétise en Europe, aux Etats-Unis et en Chine. Les Etats-Unis adoptent une position particulièrement protectionniste avec des décrets tels que Invent it here, Make it here [4] et les CHIPS Act et Science Act [5] qui s’accompagnent de mesures protectionnistes en matière de recherche. La Californie est particulièrement active dans le domaine de la régulation également (voir notre article sur la loi SB1047 et la controverse qui l’accompagne [6]).

 

D’ici à 2025, il est probable que GPT-4* soit considéré comme un simple prototype. Les algorithmes vont démontrer ce qui s’apparente à des capacités de raisonnement, ce qui devrait consolider l’adoption de l’IA par les entreprises. La GenIA est vouée à devenir le système d’exploitation des entreprises et des individus, et il est probable qu’à la révolution technologique succède une révolution des civilisations, dont parlent déjà les experts de l’IA, à l’image de Sam Altman, Sundar Pichai ou Yann Le Cun. La définition même du monde du travail tel que nous le connaissons – centré sur l’humain, outil de performance individuelle – risque de changer radicalement et rapidement. Plusieurs visions s’opposent sur la manière dont l’humain va re-mobiliser ses compétences pour se désigner de futures fonctions. Les secteurs intellectuels, créatifs et administratifs devraient le plus rapidement se transformer (ressources humaines, jeux vidéos, R&D, juristes, etc.). L’IA multi-agents, qui est en train de voir le jour, va devenir l’outil pour automatiser des entreprises entières, qui choisiront probablement de se recentrer sur la relation humaine (client, employé) et l’accompagnement stratégique. Toutes les tâches cognitives, répétitives et qualifiées réalisées par des agents IA serviront de base à cette recentralisation. Ces tâches sont définies en décomposant finement les processus métier, dont l’IA va acquérir une connaissance de plus en plus fine, requérant une supervision humaine de moins en moins importante.

 

Dans ce paysage qui ne relève plus de la science-fiction, les grands acteurs de l’IA ont été forcés d’adopter des positionnements forts et complémentaires, et d’établir des orientations et des partenariats stratégiques. 

 

* GPT signifie Generative Pre-trained Transformer, une technologie utilisée depuis 2018 par la société OpenAI pour développer ses grands modèles de fondation basés sur le langage, par exemple GPT 3.5 qui alimente les réponses du robot conversationnel ChatGPT. GPT-4 est la quatrième version du modèle d’OpenAI, qui est actuellement accessible au grand public.

 

2. Etat des lieux, mi-2024, des stratégies pour l’IA générative des grands acteurs de la Tech

 

Les deux modèles prédominants aujourd’hui, GPT et Claude, sont pour ainsi dire équivalents, chacun ayant la capacité d’améliorer l’autre. Ces modèles sont des systèmes généralistes et très vastes, appelés grands modèles de langage (Large Language Model, LLM) nécessitant des ressources colossales pour leur fonctionnement, et sont développés de manière centralisée par les sociétés OpenAI et Anthropic, toutes deux implantées à San Francisco. Les abonnés de ces plateformes bénéficient de l’accès à ces puissants outils de calcul directement sur les serveurs de ces sociétés.

 

En parallèle, Meta développe Llama 3 en open source, dont la version la plus robuste pourrait surpasser GPT-4. Ce modèle présente l’avantage d’être accessible à tous : chacun peut l’installer, le modifier, l’améliorer et le faire fonctionner sur son propre serveur. Cette approche open source polarise l’écosystème des entreprises entre celles qui choisissent d’acheter leurs ressources de calcul et celles qui préférerent utiliser les grands modèles d’OpenAI et d’Anthropic.

 

Google, de son côté, adopte une stratégie distincte. Bien que l’entreprise accuse un certain retard dans la course aux modèles de langage avec ses Gemini 1 et 1.5 (multimodaux, capables d’accepter un grand nombre de données en entrée), elle n’en reste pas moins un acteur incontournable grâce à la puissance de DeepMind dans le domaine scientifique. Les algorithmes de DeepMind, qui explorent divers domaines de la science, découvrent des connaissances encore inaccessibles à l’homme. Par exemple, Gnome, lancé en novembre 2023, a pour mission de découvrir de nouveaux matériaux. Là où l’humanité a mis 600 ans pour identifier 40 000 matériaux, Gnome – entraîné sur ces derniers et sur les lois de la physique – a déjà généré plus de 2 millions de nouveaux matériaux, dont 300 000 potentiellement stables. Un partenariat avec Stanford vise à synthétiser, tester et trouver des applications pour ces derniers. De la même manière, AlphaFold, avec sa base de repliement de protéines la plus vaste au monde, a permis une avancée spectaculaire en biologie et en médecine. Ainsi, DeepMind s’affirme comme un acteur majeur de la science de demain, avec une évolution probable de Google vers le secteur de la santé et de la médecine.

 

À l’inverse, Microsoft s’est orienté vers le monde du travail et de la productivité avec son initiative Copilot, et son partenariat précoce et coûteux (11 milliards de dollars) avec OpenAI, dès début 2023.

 

Amazon, quant à lui, a misé sur Anthropic et domine, sans surprise, l’innovation pour la logistique. Amazon se concentre également sur l’interface homme-machine dans le monde numérique avec des avancées  dans le domaine des assistants. Misant sur le canal commercial autour de l’IA, l’entreprise est également en position de force dans le domaine des serveurs et de la vente de ressources cloud pour le calcul, l’IA étant un levier pour augmenter ces ressources et les rendre accessibles à tous.

 

Enfin, Apple, longtemps réticent à communiquer sur l’IA et historiquement focalisé sur l’expérience utilisateur (assistant vocal Siri, reconnaissance faciale, réalité augmentée, etc.), a changé de cap ces six derniers mois, reconnaissant que l’utilisateur a besoin de comprendre l’IA qui le sert. Fait surprenant, la société a récemment publié ses premiers résultats en open source et l’iPhone 16 intégrera son propre modèle de langage compact (dit SLM, Small Language Model), pouvant tenir sur un smartphone. Le système d’exploitation de l’appareil se veut un agent intelligent, remplaçant les systèmes d’exploitation classiques, et gérant l’ensemble de l’environnement du smartphone via la voix et l’image. Les écrans pourraient ainsi céder la place à une intelligence « ambiante », répercutée par le biais de dispositifs portés sur soi ou avec soi. En effet, la stratégie d’Apple a toujours reposé sur les appareils grand public. On peut également imaginer que les interfaces initialement conçues pour l’humain évolueront vers des interfaces destinées aux IA.

 

3. Profil des nouveaux acteurs en GenAI, notamment français

 

L’open source et l’open science figurent parmi les tendances clés de l’IA générative. Depuis plusieurs années, le porte-étendard de cette pratique – qui consiste à mettre à disposition de tous, des modèles, algorithmes et bibliothèques, de manière ouverte et gratuite – est bien entendu l’entreprise américaine Hugging Face, fondée par le français Clément Delangue. Parmi les fervents défenseurs de cette pratique, Meta – par la voix de son directeur de l’IA Yann Lecun – défend le bénéfice-risque favorable offert par la science ouverte, et continue de rendre publiques les versions succesives de son LLM Llama. La plateforme de codage entièrement ouverte Github (détenue par Microsoft) est également plébiscitée par les développeurs d’IA. 

 

Côté français, 2023 a vu émerger le challenger français MistralAI et son LLM compact et performant, Mixtral. MistralAI s’est démarqué par des levées de fonds significatives en 2022 et 2023 et par les performances de son modèle, pourtant relativement petit face à celui de ses concurrents. Aujourd’hui, MistralAI a commencé son expansion aux Etats-Unis en recrutant une équipe dans la Baie de San Francisco.

 

Moins connue mais en forte visibilité ces derniers mois, l’entreprise H a rapidement séduit les investisseurs, avec une levée de fonds de 220 millions de dollars en early stage [7] un record absolu en Europe – loin des 110 millions d’euros levés par MistralAI à ses débuts. Si H ne fait pas ou peu d’annonces, ses ambitions n’en sont pas moins grandes. H veut créer des modèles de fondation (tels que Mixtral, ChatGPT, Claude ou Gemini) mais dont la particularité sera qu’ils seront dédiés à l’agentivité. Au-delà de comprendre et générer des données d’une manière simulant l’intelligence, les agents IA ont des capacités de planification pour réaliser des ensembles de tâches complexes et prendre les actions qui s’ensuivent, comme par exemple élaborer un programme d’entraînement sportif sur la base des capacités, disponibilités et préférences de l’utilisateur. L’agent présente donc un dégré d’autonomie supérieur aux systèmes d’IA actuels. L’émergence de l’agentivité devrait accélérer les transformations dans le monde du travail, de l’industrie, de l’économie. Sur le plan technique, on peut parler de modèles de fondation agentiques, entraînés pour prendre des actions pour le compte de l’utilisateur. A l’image de plusieurs autres acteurs émergents du domaine, les fondateurs et ingénieurs d’H sont issus des grandes entreprises et laboratoires de la Silicon Valley, notamment Stanford et DeepMind.

 

4. Gouvernance de l’IA : point sur les dernières avancées et propositions

 

Sur le plan des institutions, la priorité absolue est à la régulation et la réglementation de l’IA, à tous les niveaux. Les initiatives sont extrêmement nombreuses et variées, dans le sillage de l’AI Act européen [8], qui est entré en vigueur le 1er août 2024. Cette entrée en vigueur est perçue comme un jalon très symbolique et important pour la communauté de l’IA de part et d’autre de l’Atlantique. Le sujet de la gouvernance de l’IA est vaste et n’est pas l’objet du présent article : nous proposons ici en guise de conclusion un rapide point sur les propositions récentes en la matière, aux Etats-Unis et plus spécifiquement en Silicon Valley.

 

Le Stanford Cyber Policy Center a publié en juillet 2024 un rapport de référence [9] sur la question de la gouvernance de l’IA générative. Rédigé par la chercheuse française Florence GSell – de l’université de Lorraine – ce rapport dresse un état des lieux exhaustif des initiatives de régulation de l’IA et de l’IA générative à l’échelle mondiale, à l’aune de l’été 2024. 

 

Sur le plan des financements publics, un projet du Sénat américain [10] datant de Mai 2024 propose une augmentation du financement fédéral de la recherche et du développement en IA non militaire à au moins 32 milliards de dollars par an, grâce à des crédits « d’urgence ». Le plan met l’accent sur un effort intergouvernemental, y compris des agences comme le ministère de l’Énergie, la NSF et la NASA, et met en avant des initiatives comme les données de qualité pour l’IA et les Grands Défis de l’IA. La proposition appelle également à une collaboration accrue avec les pays alliés et suggère de créer un système de classification pour l’IA similaire à la sécurité des données nucléaires. Ce projet fait écho aux CHIPS Act et Science Act de 2022 concernant l’investissement fédéral dans les technologies critiques, et plaide pour un financement fédéral substantiel afin de maintenir le leadership dans les technologies de l’IA. 

 

De manière plus locale, la Californie étudie actuellement plusieurs projets de lois afin d’avancer sur la régulation des IA avancées et des modèles de fondation [6]. Parmi ces propositions, la loi SB1047 fait en ce moment débat du fait des contraintes et responsabilités imposées aux créateurs d’IA et aux entreprises. Bien que les entreprises s’accordent sur la nécessité de telles mesures, elles redoutent que ce texte précis puisse freiner l’innovation et menacer la position de San Francisco comme hub technologique de tout premier plan à l’échelle mondiale.

 

En conclusion, le paysage de l’IA générative en 2024 se caractérise par une diversité croissante des acteurs et des stratégies, reflétant l’accélération sans précédent de cette technologie. Alors que des entreprises à très forte croissance, comme OpenAI et Anthropic, continuent de dominer avec leurs grands modèles centralisés, d’autres comme Meta avec Llama 3 ou Google DeepMind, explorent des voies alternatives – respectivement les modèles open source et les modèles spécialisés pour la recherche scientifique. Les entreprises adoptent ces technologies à un rythme soutenu, transformant profondément leurs pratiques, et cela devrait s’accélérer à mesure que les modèles gagnent en capacités de raisonnement et en agentivité – la capacité à planifier et réaliser des ensembles de tâches complexes. Parallèlement, la régulation reste une priorité mondiale, dans le sillage de l’AI Act européen, et des propositions ambitieuses continuent d’apparaître aux États-Unis et en particulier en Californie. Cette dynamique, couplée aux innovations en cours, préfigure une redéfinition radicale des secteurs économiques et des fonctions professionnelles, dans laquelle de plus en plus d’experts voient se dessiner l’émergence d’une nouvelle ère technologique, puis civilisationnelle.

 

Lire le prochain article de notre série : “Evolution des applicatifs de l’IA générative (2/4)

 

Rédactrice : 

Emmanuelle Pauliac Vaujour, attachée pour la Science et la Technologie au Consulat général de France à San Francisco, [email protected] 

 

Références : 

[1] Sommet pour l’action sur l’IA. | Élysée (elysee.fr)

[2] Planète Sales | S1 – EP4 : IA : entre mythe et réalité, quels usages en 2024 | Ausha

[3] 90% of execs waiting for AI hype to pass: BCG survey | Fortune

[4] «Invent it Here, Make it Here», le nouveau mot d’ordre du président Biden – France-Science 

[5] Un an après le CHIPS and Science Act – France-Science 

[6] SB-1047 : Enjeux et réactions autour de la régulation des modèles d’IA en Californie – France Science 

[7] The “H” Company (hcompany.ai) réalise une levée de fonds de 220 millions de dollars pour sa vision de l’intelligence artificielle générale (AGI). – Bpifrance 2024 | Presse

[8] Regulation of the European Parliament and of the Council of 13 June 2024 laying down harmonised rules on artificial intelligence and amending Regulations (Artificial Intelligence Act) (europa.eu)

[9] An Overview of the European Union Framework Governing Generative AI Models and Systems by Florence G’sell :: SSRN

[10] Senate AI Blueprint Proposes ‘Emergency’ R&D Surge – AIP.ORG

 

Accéder à nos séries précédentes (2023) sur l’IA générative et l’IA frugale:

 “La Saga A(G)I”, épisode 1: le séisme ChatGPT secoue la planète Tech – France-Science

“La Saga A(G)I”, épisode 2: éthique et responsabilité en matière d’IA – France-Science

« La Saga A(G)I”, épisode 3: “Transformation sociétale majeure” par l’IA – à quoi devons-nous nous attendre et pourquoi est-ce perçu comme une menace ? – France-Science

“La Saga A(G)I”, épisode 4 ; Exploration des synergies entre l’intelligence artificielle générative et la santé – France-Science

Adopter l’IA frugale : concepts, leviers et initiatives – France-Science

Adopter l’IA frugale : les motivations – France-Science

Adopter l’IA frugale : 3 – la réglementation et les défis – France-Science

L’IA Frugale bouleverse les codes technologiques : décryptage des solutions techniques innovantes depuis la Silicon Valley – France-Science

 

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