Comme nous l’indiquions la semaine dernière [1], les autorités fédérales américaines ne vont probablement pas s’engager dans des réformes profondes de l’innovation au cours des prochains mois. Même si ce thème est très présent dans les discours de l’exécutif américain, le scénario le plus probable est celui du moyen terme entre l’inaction et la mobilisation au moindre coût politique. Outre des moyens renforcés pour la recherche, l’enseignement supérieur et quelques agences (voir BE 163 [1]), d’autres types d’actions seront sans doute conduites au cours des prochains mois pour favoriser ou accélérer l’innovation.
Une législation et un état d’esprit plus favorables à la recherche et l’innovation
Puissant aux Etats-Unis, le levier de la législation est aussi susceptible d’être actionné dans plusieurs domaines relatifs à la recherche et l’innovation. Voici les principaux.
Le "Bayh Dole Act" – dans la pratique une loi dont l’élaboration a eu lieu sur plus d’une décennie [2] -, a contribué de façon décisive à déclencher de nombreux ressorts et vocations au sein des établissements bénéficiaires de crédits fédéraux de recherche. La loi "Bayh Dole", qui rend les récipiendaires détenteurs des droits, a brutalement accéléré la création de bureaux de transferts de technologies et la création d’entreprises. La nouvelle Administration pourrait être tentée d’aller plus loin dans la décentralisation en accordant davantage de prérogatives aux établissements recevant des fonds fédéraux.
Une autre voie, celle-là plus avancée, consisterait pour l’Administration Obama à accélérer la réforme des brevets. Sur le métier de l’Administration depuis de nombreuses années [3], le dossier de la réforme du système national des brevets touche à des intérêts majeurs aux Etats-Unis. Cette situation est en partie liée à l’émergence des "trolls" qui sont des sociétés intermédiaires entre les producteurs de connaissances et leurs utilisateurs. L’absence de consensus entre les tenants d’un solide système de brevets et les détracteurs des "trolls" retarde la mise en oeuvre du "Patent Reform Act" de 2008 qui, pour faire court et simple, tend à limiter les recours des intermédiaires tout en introduisant davantage de souplesse dans l’exploitation des brevets. La mise en oeuvre de cette loi est de nature à favoriser l’exploitation d’un plus grand nombre de brevets, donc de développer l’innovation.
Plus proche de nous, il est intéressant de noter que la nouvelle Administration vient de clairement prendre position en matière de recherche sur les cellules souches [4] en autorisant des fonds fédéraux à se diriger vers des travaux portant sur des lignées cellulaires isolées après le 9 août 2001. On comprend que la prochaine étape de cette décision est la conception d’une loi encadrant la recherche sur les cellules souches. Le NIH, sous la houlette de Département américain de la santé, s’y emploie. Une autre piste, qui irait dans le sens des intérêts des sociétés pharmaceutiques, est celle de "l’interopérabilité" internationale des essais cliniques.
Plus symptomatique d’un changement d’approche des réalités scientifiques et technologiques est la volonté du nouveau Président de limiter les interventions et les obstructions de l’exécutif dans la conduite des réformes sur ces sujets. La nouvelle Administration prend résolument le contre-pied de la précédente qui était intervenue sur plusieurs questions [5].
Réformer des institutions, véritables goulots d’étranglement de l’innovation
Deux institutions publiques fédérales jouent un rôle très important en matière d’innovation aux Etats-Unis. Il s’agit tout d’abord du bureau fédéral des brevets et des marques (USPTO) qui compte 5 500 experts traitant quelque 400.000 demandes de brevets déposés annuellement Le reproche fait à l’USPTO porte autant sur le retard accumulé dans l’examen des demandes (800.000 en 2008) que sur l’absence de prise en considération des besoins des inventeurs et des industries de haute technologie. Actuellement le temps moyen d’examen d’un brevet s’établit à 32,6 mois, et à plus de 44 mois dans le domaine des technologies de l’information et de la communication.
Il s’agit ensuite de l’Agence nationale des aliments et médicaments, la FDA [6]. L’actualité est émaillée de scandales sur le fonctionnement de la FDA qui a le mérite de faire l’unanimité des industriels et du public contre elle, tant dans le domaine pharmaceutique qu’alimentaire. Dans la pratique, la FDA constitue un puissant acteur en matière de recherche et d’innovation. L’absence de mise sur le marché de nouveaux médicaments est parfois imputée à la FDA qui remonte désormais très en amont des processus de recherche pharmaceutique, jusqu’aux phases chimiques exploratoires. Les délais et les coûts de la recherche continuent de dramatiquement augmenter au point de réduire le volume de recherche que les sociétés pharmaceutiques consacrent aux petites molécules.
La volonté de totalement réformer la FDA, promesse de campagne du nouveau Président, peut changer la donne de la recherche pharmaceutique et relancer la recherche sur les pathologies de santé publique. Certes, il ne faut pas s’attendre à ce que les procédures et les mécanismes d’approbation soient assouplis mais à ce que le fonctionnement et les moyens de la FDA soient revus et améliorés [7].
Les visas
Un autre levier d’intervention commode pour l’administration est celui des visas. On sait que leur nombre a été dramatiquement réduit à la suite des restrictions fédérales, notamment pour les étudiants [8]. Sur ce sujet, les choses sont en train de changer, la perception des pouvoirs publics américains étant que les restrictions en matière de visas ont en fait freiné l’innovation [9], au moins dans certaines zones, et favorisé les pays mettant en place des politiques d’attractivité, privant du même coup les Etats-Unis d’une main d’oeuvre de haut niveau dont ils avaient besoin.
Il existe déjà un grand nombre de type de visas et la capacité d’en créer de nouveaux est assez commode pour l’Administration. Surtout que la majorité de l’immigration actuelle est déjà le fait soit d’entrepreneurs ou d’investisseurs, soit de regroupements familiaux. Accorder davantage de visas ciblés est un moyen aisé et efficace d’accélérer la création d’entreprises innovantes tout en attirant les meilleurs talents étrangers qui trouveront aux Etats-Unis non seulement un vaste marché mais aussi les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de leur projet (universités, accompagnement, capital risque, etc.).
[2] Bien que de nature totalement différente, les experts du transfert de technologies comparent le "Bayh Dole Act" à la loi française de l’innovation de 1999. Le contenu des lois est différent mais les effets sont très similaires.
[5] Dans le domaine de la recherche sur les cellules souches ainsi que sur un contraceptif en phase finale d’approbation par la FDA, le Président Bush a été soupçonné d’interférer dans les processus de décision.
[7] Le 16 mars 2009, le Président a nommé le Dr Margaret Hamburg à la direction de la FDA, en remplacement d’Andrew von Eschenbach et le Dr. Joshua Sharfstein dans les fonctions de directeur adjoint.
[8] 30.000 visas pour études sont accordés actuellement, contre 120.000 avant 2001.
[9] A la fin des années 90, 30% des jeunes entreprises de la "Silicon Valley" étaient le fait de ressortissants indiens et chinois. In "the world is spiky", Atlantic Monthly (2005).
Source :
– "The patent transaction market at a crossroads", IAM, n°34 (mars-avril 2009).
– "Science’s Troubled Legacy", Scienceprogress, édition automne/été 2008/2009 – https://www.scienceprogress.org
– "Meeting the Challenge of Globalization: Strengths & Weaknesses in the French and U.S. Innovation Systems", conference du Prof. Charles W. Wessner (National Research Council) le 5 février 2007.
– "Special Reports, Global Heroes", The Economist and Kauffman foundation, 14/03/09 – https://www.kauffman.org/uploadedFiles/Enterpreneurship/The_Economist_Global_Heroes_Reprint.pdf
Pour en savoir plus, contacts :
– [1] "Quelles sont les probables évolutions de l’action fédérale américaine en matière d’innovation ? (1ère partie)" – BE Etats-Unis 163 (23/04/2009) : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58780.htm
– Documents réalisés par l’ambassade: BEs (N°144, 150, 155, 156, 157 et 158), note de synthèse "Les brevets aux Etats-Unis : situation de l’USPTO, rôle des "trolls" et projets de réforme" (février 2009), documents internes de février et mars 2009 sur le plan de relance de l’administration Obama dans les secteurs de l’innovation, de l’éducation et du spatial.
– Documents internes de l’AUTM (association des responsables du transfert de technologies aux Etats-Unis) sur le Bayh Dole Act. https://www.autm.net/
– Business Week, numéro du 10 novembre 2008
– [3] Voir à ce sujet "Les brevets aux Etats-Unis : situation de l’USPTO, rôle des "trolls" et projets de réforme". Note de synthèse (février 2009) – https://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm09_019.htm
– [4] Document interne du 12 mars 2009.
– [6] Voir à ce sujet précis le BE n°158 "Le Président Obama procède à une "réforme complète" de la FDA" – https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58300.htm
Code brève
ADIT : 58873
Rédacteur :
Aline Charpentier, [email protected]