L’expérimentation, nouveau visage de l’innovation

Grâce à l’essor des technologies de l’information et de la communication, les processus d’innovation, centrés désormais sur de multiples expérimentations plutôt que sur la mise en place de plans de développement d’envergure, tendent à devenir plus rapides et économiques.

Un récent article de la faculté de gestion du MIT ("Sloan School of Management"), publié en partenariat avec le Wall Street Journal, s’en fait l’écho : les nouvelles technologies de l’Internet sont en train de changer le coeur des procédés d’innovation. Elles permettent en effet aux entreprises de tester et de simuler l’adoption de leurs nouveaux produits par le marché à une vitesse et à des prix qui étaient encore inimaginables il y a une dizaine d’années. En exposant en ligne les attributs de leurs dernières créations, elles peuvent en effet analyser en quelques heures la réaction des consommateurs. La conséquence est simple : les plans de développement de produits nouveaux, qui s’étalaient auparavant sur plusieurs mois et exigeaient des investissements en milliers, voire en millions de dollars, peuvent désormais être réalisés en quelques jours à bien moindres coûts.

Grâce à cette baisse de coûts qui réduit d’autant l’impact financier d’un échec de lancement ou de développement commercial, les sociétés prennent davantage de risques et soumettent toujours plus de nouveaux produits et services aux consommateurs de la toile. Ce système augmente naturellement les chances de succès des produits nouveaux tout en renforçant la réactivité et la compétitivité des marchés.

Plus que les entreprises, les grands gagnants de cette évolution sont sans aucun doute les consommateurs. Leurs avis, critiques et réactions sont mieux pris en compte et leurs attentes satisfaites de façon plus rapide. Au total, dans les nouveaux marchés devenus mondiaux et ultra compétitifs, les consommateurs obtiennent des produits et services taillés sur mesure pour répondre à leurs besoins et les entreprises en tirent un avantage concurrentiel.

Mais à quoi ressemblent ces expérimentations en pratique ? Le cas de "Procter and Gamble" constitue un bon exemple. La filiale américaine du groupe teste désormais la majeure partie de ses nouveaux concepts en ligne. En allant sur leur site, vous pouvez visualiser les nouveaux produits avec leurs caractéristiques et, en quelques clics, donner votre opinion en évaluant ces dernières. Les informations recueillies sont une mine d’or pour les chefs de produits et les responsables de la mercatique de l’entreprise.

Un autre exemple nous vient sans surprise de "Google Inc.". Le Groupe, porte drapeau de l’économie digitale et des nouveaux modèles de gestion, exécute en permanence entre 50 et 200 expériences, sur des durées allant de quelques heures à plusieurs jours. Dans l’un de ces tests en temps réel, Google a par exemple demandé à un échantillon d’utilisateurs le nombre de résultats qu’ils voudraient voir s’afficher dans une page de recherche. Réponse des utilisateurs : "davantage, bien davantage". Fort de ce retour, Google a donc conduit une nouvelle expérience où l’on demandait l’avis des internautes après que 30 résultats (au lieu de 10) se soient affichés à la suite d’une recherche. En quelques heures, Google a constaté que la fréquentation de son moteur de recherche diminuait de façon significative. L’explication est simple : 30 résultats tendent à ralentir l’affichage et à compliquer la recherche pour les utilisateurs.

L’article poursuit son raisonnement. Dans ce nouvel environnement ou l’expérimentation est rapide et efficace, les processus d’innovation traditionnels perdent de leur sens d’un point de vue économique. Aujourd’hui, les méthodes de recherche et développement habituelles restent guidées par des considérations liées à la motivation des chefs de produits. Les utilisateurs s’en moquent. Les fabricants de téléphone portable sont passés maîtres à ce jeu, proposant toujours plus de fonctionnalités qui participent à la complexité et au coût de l’appareil mais qui n’ajoutent pas de valeur d’usage pour le consommateur. Mais, dans tous les cas, l’ère de l’expérimentation modifie les méthodes traditionnelles de R&D et de commercialisation car elle accélère la remontée d’information quant aux nouveaux produits lancés sur le marché.

Plus profondément, ces évolutions des processus d’innovation entraînent d’importants changements dans la culture d’entreprise, remettant en cause les modèles hiérarchiques traditionnels et modifient la manière dont les cadres sollicitent leurs équipes pour produire de nouveaux concepts et lancer des idées de produits. Les managers doivent désormais offrir à leurs employés plus de liberté et d’implication dans le processus d’innovation. Les coûts et les temps d’expérimentation devenant de plus en plus faibles, davantage de propositions peuvent en effet être soumises au marché et testées en grande échelle.

L’article conclut que les procédés d’innovation continueront d’évoluer dans les années à venir. L’expérimentation s’affirmera comme le processus incontournable de création et de commercialisation de produits et services ne nécessitant pas un long développement au niveau technologique. Autres conséquences : les marchés tendront à devenir encore plus compétitifs, les méthodes de gestion seront amenées à encore évoluer et le marché suivra encore de plus près les attentes des consommateurs.

Source :

"The New, Faster Face of Innovation", Erik Brynjolfsson and Michael Schrage, MIT Sloan Management Review, 17/08/2009 – https://sloanreview.mit.edu/business-insight/articles/2009/3/5131/the-new-faster-face-of-innovation

Rédacteur :

Yann Le Beux, [email protected]

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