Les universités américaines face au processus de Bologne : l’heure des choix

Le processus de Bologne lancé en 1999 par 29 pays européens, à présent au nombre de 46, vise à "améliorer la transparence entre les divers systèmes d’enseignement supérieurs européens" [1] grâce à quatre composantes principales : un premier cycle (trois ans [2]) préparant à l’intégration d’un deuxième cycle (deux ans), l’adoption du système européen de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS), la mise en place d’un supplément au diplôme et d’un système performant d’évaluation des institutions.

La rapide diffusion de ce processus (dans 82% des 900 universités européennes), combinée avec la disparition programmée à la rentrée 2010 des cursus et diplômes antérieurs aux réformes induites par le processus de Bologne, transforme profondément les termes de la relation de coopération/compétition entre les systèmes universitaires nord-américain et européen. Elle devrait, toutes choses égales par ailleurs, accroître l’attractivité des pays de l’Espace Européen de l’Enseignement Supérieur (EEES) vis-à-vis des étudiants étrangers y compris américains, tout en obligeant les universités nord américaines à choisir une politique d’équivalence claire et le plus souvent favorable aux étudiants européens souhaitant faire des études graduées aux Etats-Unis. L’Europe devrait donc voir augmenter le nombre d’étudiants étrangers en mobilité entrante, en concurrence accrue avec les Etats-Unis, alors que la majorité des étudiants en mobilité internationale au sein de l’Europe vient pour l’instant du vieux continent.

Le processus de Bologne est de plus un vecteur de réforme, d’émulation et de coopération (double diplômes, recherche en commun, etc.) au sein de l’espace universitaire européen. En assurant une plus grande comparabilité des diplômes, il élargit également les perspectives professionnelles de ses nouveaux diplômés à l’échelle européenne.

Les institutions américaines, qui avaient su attirer une proportion remarquable d’étudiants étrangers, tout particulièrement aux niveaux gradués, sont pour leur part restées trop passives -selon la théorie du "retarding lead"- en réaction au processus de Bologne, en partie du fait de la complexité et du degré extrême de décentralisation du système americain. Les contrecoups des événements du 11 septembre 2001 ont également eu un impact négatif sur l’accueil des étudiants internationaux aux Etats-Unis, que les années passées n’ont pas entièrement permis de rattraper. Avec l’approfondissement du processus de Bologne, les universités américaines craignent aujourd’hui de souffrir d’une réorientation des étudiants, en particulier chinois et indiens, au bénéfice des systèmes européens ou australiens (tous deux en trois ans). Après avoir été la référence du système universitaire international les universités américaines craignent aujourd’hui que le modèle européen ne devienne la norme, avec sa possible adoption par la Chine [3].

A l’inverse, le processus de Bologne, en harmonisant les structures de diplômes en Europe, a le potentiel de renforcer non seulement la mobilité horizontale (mobilite internationale au sein d’un cycle) mais aussi verticale (mobilité internationale entre deux cycles) notamment entre l’Europe et les Etats-Unis. Mobilité "horizontale" tout d’abord dans le cadre d’accords de coopération, rendus plus faciles par la claire identification et comparabilité des niveaux d’études ; mobilité "verticale" individuellle ensuite de la part d’individus désireux de compléter leurs études graduées aux Etats-Unis apres un premier diplôme en Europe, en bénéficiant d’une politique d’equivalence plus systématique de leur diplôme européen. Une étude effectuée par le Council of Graduate Studies [4] montre ainsi que 56% des institutions américaines en 2006, contre 41% en 2005, ne considèrent plus comme problématique cette différence de durée des premiers cycles.

La multiplication des diplômes communs ou doubles-diplômes entre universités européennes et américaines témoigne de cette adaptation des institutions américaines [5]. Citons le programme Atlantis, développé par le US Department of Education’s Fund for the Improvement of Postsecondary Education (FIPSE) et le European Commission’s Directorate General for Education and Culture permettant de créer un cadre organisationnel à la mobilité étudiante transatlantique. Une étude publiée par l’Institute of International Education et la Freie Universitat de Berlin en janvier 2009 confirme la vitalité de ces diplômes spécifiques : parmi les cinq partenaires principaux des institutions américaines dans l’instauration de ces diplômes figurent trois pays européens (Allemagne, France et Espagne) [6].

Après le défi représenté par la reconnaissance des diplômes européens, les établissements d’enseignement supérieur américains devront sûrement résoudre certaines questions d’équité : Est-il juste d’accepter un étudiant ayant suivi un premier cursus en trois ans dans un pays signataire du processus de Bologne et de refuser le même étudiant issu d’un pays non-signataire (Inde) ? Les universités s’étant adaptées plus rapidement ne risquent-elles pas de monopoliser les meilleurs étudiants en mobilité internationale ? On risque en effet d’assister à une perte de vitesse des universités n’ayant pas reconnu les diplômes européens qui pourraient donc déboucher sur une reconnaissance globalisée de ceux-ci.

[1] Supplément au diplôme : document non-normatif attaché au diplôme de chaque étudiant européen pour expliciter son parcours

Source :

– The Diploma Supplement : https://ec.europa.eu/education/lifelong-learning-policy/doc1239_en.htm
– Bologna US perspectives – International educator Supplement- 2006 : https://www.nafsa.org/

Pour en savoir plus, contacts :

A propos des doubles-diplômes et diplômes communs : Joint and Double Degree Programsin the Transatlantic Context – janvier 2009 – Institute of International Education & Freie Universitat de Berlin : https://www.iienetwork.org/page/TDP/
Code brève
ADIT : 60703

Rédacteur :

Marion Bruley, [email protected] ; Pascal Delisle, [email protected]

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