C’est la fin d’un marathon législatif comme le Congrès en connaît régulièrement. Après plus de deux ans de tractations – et d’innombrables changements de nom, la loi CHIPS and Science Act a finalement été approuvée par les deux chambres du Congrès en juillet dernier. A quelques mois des élections de mi-mandat, Joe Biden enregistre une victoire de taille, lui qui avait enchaîné les revers au Congrès, le plus notable étant l’abandon du projet de loi Build Back Better Act faute d’un soutien suffisant dans le camp démocrate.
La mesure phare de ce projet de loi, une subvention de 52 milliards de dollars à destination des fabricants de semiconducteurs, vise à redynamiser une filière en perte de vitesse face à la concurrence internationale, et en particulier asiatique (Taïwan et la Corée du Sud sont leaders du marché, et la Chine prépare ses capacités pour devenir un acteur majeur du marché). Ce soutien financier s’est vite imposé comme la priorité absolue du camp républicain dans ce projet de loi, et l’un des rares, sinon le seul, point d’accord entre les deux partis au Congrès. Il devrait permettre le développement des capacités de production et d’une main-d’œuvre qualifiée sur le territoire américain, qui ne représente actuellement plus que 12% de la production mondiale de puces à semiconducteurs.
Bien qu’elle ait été votée avec le soutien partiel des républicains, le projet de loi était décrié par le leadership républicain, mais aussi par l’aile gauche du Sénat, notamment le sénateur Bernie Sanders (I-Vermont), qui a fait valoir l’argument selon lequel les entreprises productrices de semi-conducteurs n’avaient pas besoin de subventions publiques ou de nouvelles mesures incitatives pour investir davantage dans le pays.
La loi prévoit également 170 milliards d’investissements dans la recherche et l’innovation, dont environ 82 milliards de lignes budgétaires nouvelles. La plupart des augmentations représentent des autorisations de dépenser un certain montant – et non des crédits, qui fournissent le financement. Ainsi, chaque année, le Congrès devra décider de verser les montants promis lorsqu’il approuvera les projets de loi de finances qui fixent les dépenses annuelles des agences fédérales.
L’ensemble de la communauté scientifique avait appelé au vote de cette loi, qu’elle jugeait indispensable au maintien du leadership américain sur le terrain des sciences et technologies.
Sudip Parikh, le PDG de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) s’est félicité du passage de cette loi, qu’il considère comme “l’une des politiques scientifiques et technologiques les plus importantes depuis des décennies”.
Le directeur de la NSF, Sethuraman Panchanathan, s’est quant à lui félicité d’une loi qui “permettra des investissements cruciaux dans les missions de la NSF, à un moment où la concurrence mondiale est plus féroce que jamais”.
La National Science Foundation (NSF), le département de l’Energie (DOE) et le National Institute of Standards and Technology (NIST), tous trois parmi les plus importantes institutions de recherche aux Etats-Unis, recevront la majeure partie des financements autorisés et verront leurs budgets augmentés tout au long des cinq prochaines années.
- Le texte autorise la NSF à dépenser 81 Md$ jusqu’à l’année fiscale 2027, ce qui correspond à un doublement de son budget actuel. Un quart de ce budget doit servir à financer le nouveau département de la NSF, la direction de la technologie, de l’innovation et des partenariats, qui doit permettre de soutenir la recherche translationnelle au sein de l’agence et d’accompagner la création de hubs d’innovation régionaux à travers le pays. Le reste des financements permettra de soutenir les activités historiques de la NSF, le soutien à la recherche fondamentale, l’enseignement des sciences et le développement des capacités de recherche, avec un accent particulier sur l’égalité d’accès aux métiers de la science et la promotion des populations et territoires sous-représentés.
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- Le département du Commerce devrait recevoir une augmentation nette de 11 Md$ sur cinq ans pour superviser la création de 20 hubs de technologie régionale, qui fonctionneront sur le même modèle que les hubs d’innovation régionale de la NSF.
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- Le National Institute of Standards and Technology (NIST) recevra 9 Md$ pour intensifier la recherche et l’élaboration de normes pour les industries du futur, notamment le quantique, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, les technologies de communication avancées et les semi-conducteurs. Une aide spécifique de 2 Md$ sera apportée aux petites et moyennes entreprises dans le domaine de la cybersécurité, la formation de la main-d’œuvre et la résilience de la chaîne d’approvisionnement.
- La loi ne prévoit pas de financement spécifique pour la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Elle valide cependant certaines des grandes orientations de l’agence, autorisant notamment le programme d’exploration lunaire et martienne Artemis, encourageant le retour des Etats-Unis sur la Lune, et de la première femme et personne de couleur.
- Le département de l’Energie devrait recevoir 68 Md$, fléchés en majorité vers son Office of Science, en charge de la politique de recherche du DOE, pour accélérer la recherche en sciences physiques (fusion et physique nucléaire en tête), par l’intermédiaire de ses laboratoires nationaux, des universités et du secteur privé. Le DOE devra, tout comme la NSF, garantir une répartition équitable des fonds alloués.
Dans la continuité des efforts déployés par l’administration pour faire face aux risques d’ingérence étrangère dans la recherche scientifique, le texte prévoit enfin un renforcement des capacités de la NSF, qui devra mettre en place un Research Security and Policy Office chargé d’identifier les risques potentiels associés à chaque projet de recherche et de mener des actions de sensibilisation auprès de la communauté scientifique. Les chercheurs bénéficiant de fonds fédéraux devront recevoir une formation annuelle sur la sécurité de la recherche et une plateforme unique en ligne pour s’informer sur les bonnes pratiques et faire des signalements le cas échéant. L’Office of Science and Technology Policy de la Maison-Blanche (OSTP) sera chargé d’interdire la participation des employés fédéraux à des programmes étrangers de recrutement de talents et de vérifier que les porteurs de projet déclarent leur participation passée ou actuelle à ces programme. Enfin, la loi appelle à une plus grande transparence concernant les financements étrangers de la part des institutions de recherche financées par la NSF. Ces entités seront tenues de déclarer tout financement étranger.
Rédacteur : Julian Muller – [email protected]