La Maison-Blanche a publié début mars la requête budgétaire du président pour l’année fiscale 2024. Ce document marque la première étape d’un processus de plusieurs mois pour aboutir à un budget fédéral voté par le Congrès et promulgué par le président. Le budget prévoit des investissements importants dans des domaines clés, notamment en faveur des enfants, de l’aide aux travailleurs, de l’accessibilité au logement, de l’éducation et des fonctions gouvernementales essentielles, et finance ces investissements en augmentant les impôts sur les hauts revenus et les entreprises ayant réalisé les profits les plus importants.
Des budgets en nette hausse dans les domaines prioritaires
Les budgets scientifiques reflètent les priorités politiques de cette administration en s’inscrivant dans la lignée des budgets prévus par la loi CHIPS and Science Act votée en août dernier. La requête présidentielle prévoit 210 Md$ de financement total pour les programmes de R&D.
La plupart des agences scientifiques voient leurs budgets augmenter, avec un effort particulier en direction des technologies émergentes et de la recherche sur le changement climatique. Certaines directions et agences nouvellement créées bénéficient d’un supplément de budget important par rapport à 2023, notamment l’Advanced Research Projects Agency for Health (ARPA-H) et le Directorate for Technology, Innovation and Partnerships (TIP) de la National Science Foundation (NSF).
La NSF, qui finance environ un quart de la recherche universitaire, verrait son budget augmenter de 18% pour atteindre 11,3 Md$, incluant 2 Md$ pour la R&D dans les secteurs stratégiques tels que l’intelligence artificielle, le quantique ou les biotechnologies, et 1,8 Md$ pour financer des programmes destinés à diversifier la main-d’oeuvre en STEM. La jeune direction de la technologie, de l’innovation et des partenariats (TIP) atteindrait un budget de 1,2 Md$ (+33%).
Le budget de l’Office of Science du département de l’Energie (DOE), un autre acteur clé de la recherche fondamentale aux Etats-Unis, passerait à 8,8 Md$, soit une augmentation de 9%. Plus largement, les dépenses liées aux sciences du climat et à l’innovation dans le domaine de l’énergie atteindraient 16,5 Md$, répartis dans plusieurs agences. Elles permettront, entre autres, de développer des technologies visant à réduire l’impact carbone de secteurs polluants tels que la construction ou l’aviation. Le développement de l’énergie de fusion nucléaire devrait bénéficier d’une enveloppe de 1 Md$. En parallèle, les mesures d’adaptation au changement climatique devraient être financées à hauteur de 24 Md$.
A de nombreux égards, néanmoins, les ambitions du budget restent en-deçà des objectifs du CHIPS and Science Act. Celui-ci est en effet inférieur de 4,3 Md$ à l’objectif de financement fixé par la loi pour la NSF et de près de 750 M$ pour l’Office Of Science du DOE. La proposition prévoit également le financement du programme de pôles technologiques régionaux que la loi a autorisé pour le département du Commerce par le biais d’un crédit spécial pluriannuel de 4 Md$, bien inférieur à l’objectif de 10 Md$ fixé par la loi.
Dans la droite ligne de la loi CHIPS and Science Act, la compétition avec la Chine motive une grande partie des investissements en sciences, technologies et innovation, mais aussi les budgets de politique étrangère du département d’Etat ou du département de la Défense, qui sont tous regroupés sous l’intitulé “Outcompete China Initiative” (“Initiative pour surpasser la Chine”). L’agriculture est également un terrain d’affrontement entre les deux superpuissances, depuis que la Chine est devenue le plus important financeur de la recherche agronomique mondiale. Pour réduire l’écart, le président propose une enveloppe de 4 Md$ (300 M$ de plus par rapport à 2023) auxquels s’ajoutent 7 Md$ pour les dépenses liées au climat, qui bénéficieront également au système de production agricole.
Des négociations incertaines dans un Congrès fragmenté
La procédure budgétaire va à présent poursuivre son cours avec l’examen du budget par les commissions parlementaires, puis la publication par le Congrès d’une proposition budgétaire concurrente. Au terme d’une série de procédures de réconciliation des différents textes, le Congrès soumettra une proposition finale pour promulgation par le président. Cette procédure de réconciliation devrait être compliquée cette année par le redécoupage politique du Congrès suite aux élections de mi-mandat en novembre 2022, qui ont fait basculer la Chambre des représentants dans l’escarcelle des républicains tandis que les démocrates ont conservé le contrôle du Sénat. Bien que les précédentes procédures budgétaires aient nécessité l’appui des républicains pour écarter la menace d’une obstruction au Sénat, les républicains de la Chambre des représentants disposeront de nouveaux leviers pour promouvoir leur programme de réduction des dépenses non militaires.
Dans un communiqué, Frank Lucas, le président républiain de la Commission pour la science, l’espace et la technologie à la Chambre des représentants déplore une “proposition faite de taxes et de dépenses”. Il ajoute : “La proposition de budget se vante de dépenser l’argent des contribuables dans des caisses internationales occultes pour le climat et dans des programmes de justice environnementale vaguement définis, tout en négligeant la recherche fondamentale qui s’est avérée capable de faire progresser notre économie, de faire baisser les prix de l’énergie et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.” A l’image des deux dernières années, l’enjeu de la compétition avec la Chine pourrait faciliter un consensus entre les deux camps.
Récapitulatif
Les grands axes du budget de chaque agence scientifique sont rappelés ici :
- National Science Foundation (NSF) : une proposition d’augmentation de 15% à 11,3 Md$ pour la National Science Foundation, qui comprend 1,2 Md$ pour la nouvelle direction de la technologie, de l’innovation et des partenariats (TIP), une augmentation de près de 30% (mais seulement un tiers du budget prévu dans le CHIPS and Science Act).
- Department of Energy (DOE) : une proposition d’augmentation de 9% à 8,8 Md$ pour l’Office of Science, qui comprend une augmentation de 32% pour le programme sur l’énergie de fusion, ce qui porterait son financement à un peu plus de 1 Md$, conformément à l’objectif fixé par le Congrès pour le programme.
- National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) : Une augmentation de 10% du budget de base, qui passerait à 6,8 Md$ et serait en grande partie consacrée au développement de la prochaine génération de satellites d’observation météorologique.
- National Institutes of Health (NIH) : Les NIH, premier financeur mondial de la recherche biomédicale, n’enregistrent qu’une faible augmentation de 1,9% (pour atteindre 48,6 Md$) par rapport à 2023. L’Advanced Research Projects Agency for Health (ARPA-H), la nouvelle agence d’innovation de rupture en santé, enregistre à elle seule une hausse nette supérieure (+1 Md$).
- National Institute for Standards and Technology (NIST) : L’augmentation de 32% proposée pour le budget de base du National Institute of Standards and Technology, qui passerait à 1,6 Md$, impliquerait de doubler le financement de la construction, qui passerait à 262 M$. Cette somme doit aider l’agence à faire face aux graves problèmes de dégradation des installations, bien qu’elle demeure inférieure aux montants recommandés dans une récente étude sur la situation.
- Department of Defense (DOD) : Afin de freiner la croissance rapide des dépenses de recherche, de développement, de test et d’évaluation du département de la défense, l’administration demande des coupes importantes dans les activités de R&D fondamentale, y compris une réduction de 15 % pour la recherche fondamentale, qui passerait à 2,5 milliards de dollars.
- Regional Technology Hubs : L’administration demande au Congrès de financer le programme de pôles technologiques mis en place par le CHIPS and Science Act au sein du département du Commerce par le biais d’un crédit spécial pluriannuel de 4 milliards de dollars, ce qui est inférieur à l’objectif de 10 Md$ fixé par la loi.
- National Aeronautics and Space Administration : L’augmentation de 6% proposée pour le Science Mission Directorate, qui atteindrait près de 8,3 Md$, entraînerait une réduction de 7 % du budget de la division de l’héliophysique, qui passerait à 751 M$. La NASA demande 949 M$ pour la mission de retour d’échantillons de Mars et signale que celle-ci est confrontée à des estimations de coûts croissantes.
Source : FYI Science Policy
Rédacteur : Julian Muller, chargé de mission scientifique, Ambassade de France à Washington, DC, [email protected]