La recherche dans les universités américaines : quels chiffres pour quelle vérité ?

Quelle est réellement l’implication des industries dans le secteur académique américain ? Les universités les mieux classées sont-elles celles qui dépensent le plus en matière de R&D ? Quels domaines de recherche sont privilégiés dans les universités ? Nous vous proposons un bref descriptif analytique basé essentiellement sur des informations de terrain.

Le gouvernement fédéral, pilier du financement de la R&D dans les universités

En 2008, le gouvernement fédéral demeurait de loin la première source de financement de la R&D dans les universités américaines avec 31,2 milliards de dollars sur un total de 51,908 milliards de dollars [1]. On note que les fonds d’origine fédérale ne représentent que 55% du financement de la R&D des établissements publics, contre bien plus de 60% pour les établissements privés. Selon des experts locaux, il s’agirait d’une substitution du gouvernement fédéral aux états fédérés, qui prouve qu’aucune "discrimination statutaire" n’est présente aux Etats-Unis.


Par ailleurs, l’autofinancement des universités arrive en deuxième position des financeurs avec 10,435 milliards de dollars en 2008 [2]. Ainsi, contrairement à l’idée souvent répandue, le secteur privé contribue très peu à la recherche menée dans les universités américaines (5,5% en 2008), il est placé en quatrième et dernière position derrière les gouvernements locaux !

La manne fédérale est attribuée sous forme de fonds ("grants") obtenues dans le cadre d’appels à projets et ou dans le cadre de conventions financières. Selon Ronda Britt, chargé d’études "R&D académique" au sein de la fondation nationale pour la recherche ("National Science Foundation", NSF), "on peut raisonnablement penser que 80% des sommes sont engagées par l’intermédiaire d’un processus d’évaluation par des pairs -peer review process-, le reste se basant sur des contrats plus contraignants pour les universités". En fait, deux agences fédérales pratiquent exclusivement un système d’appels : les "National Institutes of Health" (NIH) et la NSF tandis que le Département de la Défense ou le Département de l’Agriculture combinent renouvellements contractuels, conventions et appels à projets. Or le NIH et la NSF sont justement les deux premiers financeurs de la R&D des universités avec respectivement 17,5 et 3,8 milliards de dollars (voir ventilation par domaines ci-dessous).


Cette prépondérance des sciences médicales a un fort impact sur le classement des universités américaines par montant de dépenses de R&D.

Les universités américaines les plus dynamiques en matière de R&D: décryptage

Sur plus de 4 200 établissements d’enseignement supérieur, seuls 690 d’entre eux conduisent des projets de recherche. Pour les identifier, la NSF se fonde sur la nomenclature de Carnegie [3]. A la lecture de ce tableau, on peut s’interroger sur le bas classement de nombre des plus fameuses universités américaines. Par exemple, Harvard est en 33ème position, hors du peloton de tête des 20 premiers établissements, le MIT n’est que 14ème , Berkeley 18ème !


En fait, selon notre analyse, il y trois variables ayant une incidence sur les données recueillies et publiées par la NSF:

(i) la surreprésentation des sciences médicales. Les universités pratiquant de la recherche dans ce domaine sont souvent les mieux dotées financièrement en R&D et se retrouvent mécaniquement dans le haut du classement : université de John Hopkins (1ère), université de San Francisco (2ème) et l’université de Duke (7ème).

(ii) les distorsions générées par la propriété ou la non-propriété des laboratoires de R&D implantés sur les campus. Les universités ne sont autorisées à déclarer que les dépenses de R&D des établissements qu’elles détiennent et dont elles conduisent les activités ("own and operate").
L’Université John Hopkins administre un laboratoire fédéral de physique appliquée doté d’un financement de 850 millions de dollars soit la moitié de son enveloppe. Par opposition, le campus du MIT héberge deux laboratoires, le Lincoln Laboratory et le Whitehead Institute dont les dépenses de R&D ne sont pas déclarées par le MIT bien que nombre de ses étudiants et chercheurs les utilisent. De même Stanford possède sur son campus un laboratoire fédéral dont les dépenses ne sont pas comptabilisées.

(iii) les dépenses de R&D non déclarées par certains établissements privés.
Harvard, par exemple ne déclare pas ses dépenses internes de R&D, arguant qu’elle n’a pas les moyens d’en assurer une traçabilité comptable. Cette position tranche avec sa colossale capacité d’autofinancement puisque l’établissement gère un fonds d’investissement et de réserve de plus de 20 milliards de dollars (les produits du fonds ont néanmoins chuté de 30% en 2009).

Ainsi, les chiffres publiés doivent être interprétés avec beaucoup de précaution, en s’appuyant sur des informations glanées sur le terrain américain. Analyser la recherche menée par une université doit nécessairement s’accompagner de connaissances sur l’organisation et le fonctionnement de l’appareil de recherche américain.

Source :

– Les enquêtes de la NSF en ligne sur : https://www.nsf.gov/statistics/rdexpenditures/
National Science Foundation :
– John E. Jankowski, Director, R&D Statistics Progra, Division of Science Resources Statistics
– Ronda Britt, Survey Manager, Survey of R&D Expenditures at Universities and Colleges, Division of Science Resources Statistics

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] Après consultation des experts de la NSF, il semblerait que ces chiffres soient surévalués. Certains doubles comptes ne sont pas retraités: les "pass through funds". En effet, les universités ont la possibilité de se transférer entre elles une partie de leurs subventions obtenues, dans le cadre de collaborations par exemple. Néanmoins, lors de l’enquête statistique la première université initialement bénéficiaire va déclarer la totalité de la somme reçue tandis que la seconde université ne se privera pas de déclarer également le transfert financier dont elle a bénéficié.
– [2] Cette catégorie inclut les coûts indirects non remboursés des projets (" overheads ", sorte de préciput), les fondations, l’utilisation de ressources propres (fonds d’investissement et de réserve "endowment", dons des alumni, droits d’inscription) ainsi que les subventions d’ordre général.
-[ 3] Le site de la fondation Carnegie : https://classifications.carnegiefoundation.org/
– [4] En termes simplifiés, cette coopération bénéficie potentiellement 25 fois plus à l’Union Européenne qu’aux Etats-Unis ; les engagements annuels financiers réciproques en matière médicale étant de 21 milliards d’euros (30 milliards de dollars) côté américain contre 860 millions d’euros côté européen.
Code brève
ADIT : 61660

Rédacteur :

Johan Delory [email protected]

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