Jeunes pousses universitaires : les financeurs réunis en conférence à Washington

Une conférence internationale a réuni du 2 au 4 décembre près de 500 participants autour de la thématique de la création d’entreprises issues des universités et du système de recherche. Organisée pour sa deuxième édition par le Conseil américain de la valorisation et de l’entreprenariat (NCET2 : "National Council of Entrepreneurial Tech Transfer"), la manifestation s’internationalise. Après la Grèce en 2008, c’était cette année au tour de l’ambassade de Grande Bretagne d’accueillir la cérémonie d’ouverture. Dans son discours d’introduction l’ambassadeur n’a pas hésité à glisser une citation amusée du Président Bush "le mot Entrepreneur est le seul mot que les Français ne savent pas traduire". Plusieurs pays européens étaient associés à l’événement.

Au total, ce sont quelque trente-neuf contributeurs qui ont participé au financement de l’événement. S’y trouvaient des universités (16 établissements dont ceux du Texas (UTS), du Maryland, de Boston etc.), des institutions de recherche (NIH, "National Institutes of Health" et NSF, "National Science Foundation"), des représentations étrangères présentes aux Etats-Unis (Pays-Bas, Italie, etc.) et des cabinets d’avocat. A noter également l’implication de l’association américaine des investisseurs en capital et une société de capital risque.

Au centre des débats était la question de "la création d’emplois et la capacité d’innovation des jeunes pousses universitaires [1]" . Cette conférence est aux Etats-Unis l’une des rares occasions de rencontrer dans un même lieu autant de professionnels de la valorisation, de l’entrepreneuriat universitaire et du financement de l’innovation.

Sur les 391 participants on comptait plus de 50% de représentants d’universités et de laboratoires fédéraux ainsi que 35% d’investisseurs (sociétés de capital risque et investisseurs providentiels) et d’entreprises des "Fortune 500" (Philips, Dassault Systèmes, Nestlé, Dow Chemical, Honda, Siemens, etc., en plus grand nombre par rapport aux années antérieures), le reste étant essentiellement composé de représentants gouvernementaux, tous intéressés par la création et le financement de jeunes pousses compétitives, à fort potentiel de croissance et ayant des capacités à l’international.

Majoritairement américains, une part importante de participants était également venue des quatre coins du monde (Grande Bretagne, Inde, Japon, France, Espagne, Italie, Brésil…). Les sept ambassades présentes ont présenté leurs politiques de soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat, avec notamment la mise en avant de leurs programmes de "soft landing" [2] .

La forme assez "expéditive" (5 minutes de présentation modérée avec la plus grande précision, puis 10 minutes de questions/réponses) avait pour objectif de privilégier les échanges individuels et les prises de contact. Cent huit panelistes sont venus tour à tour présenter les nouvelles tendances de la valorisation, dont 3 représentants français :
– Eric Harlé, Directeur Général du fonds I-Source
– Yannick Wittner, Directeur marketing stratégique chez Dassault Systèmes
– Yvan Baumann, Délégué à l’essaimage du CEA

Comme souvent dans ce type de manifestation, les débats n’étaient pas théoriques. Ils visaient davantage à relater des expériences, des bonnes pratiques et des observations issues du terrain. C’est ainsi qu’une responsable de valorisation n’a pas hésité à parler ouvertement à ses confrères de la nécessité de réviser le système actuel qui veut que les universités surfacturent leurs jeunes pousses, en prenant souvent un trop gros pourcentage du capital tout en réclamant d’elles des rapports et autres " reporting ". Selon l’intervenante, ce schéma conduit au fait qu’environ 30% de la propriété intellectuelle des universités se retrouve déposée à l’extérieur car les jeunes pousses manquent cruellement de temps ingénieur pour développer leurs affaires au quotidien.

Le vice-président chargé du transfert de technologies à Caltech a, quant à lui, parlé de 2009 comme d’une année de transition, avec 18 nouvelles startups créées (traditionnellement 8-10 par an), dont 9 avaient levé plus de 1 million de dollars (parmi des dernières, 3 avaient levé des fonds hors des Etats-Unis), la plupart via des fonds industriels. Une seule levée de fonds a été effectuée auprès d’une société de capital risque traditionnelle. Ceci confirme la double tendance déjà évoquée depuis plusieurs mois de globalisation des investissements et de reflux du marché du capital risque.

Pragmatiques, les Pays Bas ont fait un appel en direction des startups américaines pour qu’elles viennent y développer des activités et tirer avantage des programmes de soutien. De son côté, le CEA a mis en avant son programme de soutien non seulement aux spin-offs issues de sa recherche interne mais également aux jeunes pousses extérieures qui peuvent désormais bénéficier des compétences technologiques et d’un accompagnement, grâce à une équipe de plus de 100 personnes affectées à la valorisation.

Le MIT a, quant à lui, affirmé ne pas avoir besoin d’incubateur. La principale raison de cette politique semble liée à l’application très stricte et très attentive de dispositions relatives à de possibles conflits d’intérêt. L’autre raison invoquée peut prêter à sourire surtout quand on sait la concurrence que se livrent les établissements d’enseignement supérieur sur le grand Boston : " nous n’avons pas besoin d’incubateur en ville, la ville de Cambridge est un incubateur en elle-même ".

Autres enseignements de la réunion:
– De plus en plus de centres d’entreprenariat accueillent en leur sein des "entrepreneurs in residence", entrepreneurs à succès offrant gracieusement de leur temps, des conseils et leur carnet d’adresse à des jeunes pousses, en attendant d’être séduits par une nouvelle opportunité ;
– Le NIH a mis en place un fonds qui intervient après la phase II du SBIR pour partager le risque avec les capitaux risqueurs, formant ainsi un pont capable de franchir l’étape "vallée de la mort" des startups (ce fonds a permis un effet de levier de plus de 2,8). De plus en plus averses au risque, les VC tendent en effet à intervenir de plus en plus tard dans la vie et la croissance de l’entreprise ;
– De plus en plus de petits fonds (moins de 10 millions de dollars) sont levés sur la base de la philanthropie notamment au sein des universités (i.e. "Venture Philanthropy Pharma ) ;
– De plus en plus de partenariats public-privé au sein des laboratoires fédéraux : à l’inverse de la France, les universités étaient plus actives que les laboratoires fédéraux en matière de valorisation de leurs travaux, aujourd’hui les laboratoires fédéraux se tournent à leur tour de plus en plus vers le monde industriel ;
– Le Ministère de la Défense américain (DoD) se tourne davantage vers des activités de valorisation dans le civil ;
– Les laboratoires de recherche adoptent de plus en plus une organisation tournée vers la pluridisciplinarité, tel que la bio-ingénierie par exemple ;
– Le Président de la NVCA ("National VC Association") a souligné la baisse des investissements en valeur et en volume, avec en parallèle une meilleure qualité des dossiers avec des entrepreneurs plus réalistes, ayant une vision plus globale et plus pragmatique de leur développement. Avec 11 introductions en bourse cette année (le double de 2008), des fusions-acquisitions sont attendues avec impatience pour 2010. Par ailleurs, les énergies propres prennent le pas sur les TIC, notamment en raison des coûts d’entrée sur les marchés TIC, qui du même coup attirent plus de capital développement que de capital risque. Alors que les sociétés de capital risque soulignent le manque de sélectivité des incubateurs, les industriels insistent sur la nécessité pour les personnes chargées de la valorisation d’avoir de vraies compétences en matière de gestion de produits.

Conclusion : le financement, s’il continue de susciter de nombreux débats, n’en reste pas moins une question de fond. Le modèle américain de l’innovation, essentiellement privé, est en fait en pleine mutation en raison de la crise économique et financière. Pour les acteurs de l’innovation américaine, la réponse à cette dernière se situe dans la création d’entreprises, l’entrepreneuriat et les initiatives locales dans le cadre d’un modèle renouvelé d’intervention dont on ne connaît pas encore la forme exacte. A suivre.

[1] La maison blanche tenait en parallèle une journée de travail sur la création d’emplois

[2] Programmes d’accompagnement d’implantation de startups étrangères sur leur territoire

Source :

Conférence des jeunes pousses universitaires : "Creating Jobs and Powering Innovation With University Startups", du 2 au 4 décembre 2009 à Washington, D.C.

Rédacteur :

Géraldine Quetin ([email protected]), Antoine Mynard ([email protected])

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