Industrie pharmaceutique américaine : les grandes manoeuvres ont vraiment commencé

Nous n’allons pas revenir sur le contexte de l’industrie pharmaceutique [1] qui a été largement décrit dans nos précédentes livraisons (voir notamment BE Etats-Unis 143, 156 et 157). Mais, une fois de plus, force est de constater que les spectaculaires mouvements de concentration du début 2009 sont moins guidés par des logiques financières ou capitalistes que par des considérations liées au portefeuille de produits et de savoir-faire acquis ou développés par ces sociétés. En clair, les options scientifiques et technologiques qu’ont prises les entreprises dans les 10 dernières années influent sur les rapprochements actuels qui résultent d’une incapacité de l’industrie dans son ensemble à produire des composés viables à un rythme comparable à celui des années 90.

Ainsi Pfizer a acheté Wyeth non seulement pour son portefeuille de produits en développement mais surtout parce que cette dernière société avait acquis un bon savoir-faire dans les biotechnologies en plus d’être diversifiée. De son côté l’acquisition pure et simple de Schering-Plough par Merck en mars 2009 n’a pas manqué de surprendre les experts par sa rapidité, sa forme et ses implications, surtout que l’événement a coïncidé avec la confirmation d’une autre opération en cours, celle de la prise de contrôle totale de Roche dans Genentech.

Dans la pratique, si elles ont été rendues publiques en janvier et mars 2009, ces acquisitions n’en étaient pas moins suspendues au feu vert des autorités fédérales (FCC). Nous étions donc sans nouvelles depuis des semaines. Pour Wyeth et Pfizer, l’information est finalement tombée le 15 octobre 2009. Depuis ce jour les événements se sont enchaînés avec une rare célérité. Le soir même de l’approbation fédérale, sur les deux principaux sites de Wyeth au Mass [2], les enseignes de la marque rouge ont été déposées pour être remplacées par celles de "deep blue" [3]. Ce n’est qu’un début.

En janvier 2009, les analystes ainsi que Pfizer prévoyaient quelque 20.000 suppressions d’emplois, essentiellement dans la force de vente et la recherche. Alors que l’effort cumulé des deux sociétés en matière de R&D se montait à environ 10,36 milliards de dollars (respectivement 7,5 et 2,86 milliards de dollars), les estimations laissaient aussi entendre que la nouvelle société Pfizer allait réduire ses dépenses de R&D d’un montant compris entre deux et quatre milliards.

De son côté, face aux actionnaires, le patron de Pfizer se voulait rassurant. M. Kindler, reconnaissait que son entreprise "avait beaucoup appris des précédentes acquisitions" (…), concédant qu’elles "avaient cassé le moral (des personnels, ndlr) et avaient fait baisser la productivité". A l’époque, selon lui, l’absorption de Wyeth était dictée par la prudence : tout devait être mis en oeuvre pour "conserver les atouts fondamentaux des deux sociétés" et faire en sorte qu’elles continuent à être prospères.

Las ! Ces propos lénifiants ne sont plus de mise. En annonçant pudiquement la réorganisation de sa recherche début novembre 2009, Pfizer procède ni plus ni moins au dépeçage de la recherche de Wyeth, au moins dans les petites molécules. Six centres de recherche vont fermer. Quatre des cinq sites de recherche de Wyeth sont appelés à fermer aux Etats-Unis. Pfizer, comme on s’y attendait, a seulement souhaité maintenir les deux principales activités de recherche où Wyeth dispose d’une bonne position : les médicaments biologiques (sites de Pearl River, San Francisco et Cambridge) ainsi que la recherche sur l’inflammation. Pour cette activité, Pfizer a choisi de drastiquement réduire son site de Saint Louis (600 chercheurs) pour désormais centraliser ce domaine de recherche au sein du nouveau groupe à Cambridge (Mass.). Ce site de Wyeth est susceptible de prendre de l’importance dans les prochaines années, dans le domaine de l’inflammation mais aussi dans le domaine des médicaments biologiques.

Certes, la direction ne parle pas encore de licenciements. Mais, ce n’est qu’une étape, tous les personnels de recherche l’ont compris. En fermant des sites et en "rationalisant la surface immobilière" des activités de recherche du nouveau groupe, des suppressions massives d’emplois vont avoir lieu prochainement. On parle de 2 à 3.000 ! Surtout que les ressources humaines sont faiblement mobiles en raison des coûts qui y sont associés : relocaliser un cadre de recherche coûte très cher.

Les prochaines étapes de la réorganisation vont avoir lieu dans les prochains jours. Le rythme et la précision des mouvements en cours sont spectaculaires à l’échelle d’un groupe qui possède la quatrième capitalisation boursière américaine. Il faut s’attendre à ce que le nouveau groupe Pfizer s’appuie prochainement sur une R&D réduite de 15% à 20% et des effectifs de recherche qui passeront sans doute de 15.000 à 12.000.

Sans doute moins encore si le groupe adopte de nouvelles formes d’organisation de ses activités de R&D. Comme AstraZeneca qui prévoit des économies d’un milliard de dollars en matière de recherche [4]. A l’instar aussi de Johnson & Johnson qui vient d’annoncer une importante réduction de ses effectifs de recherche dans le cadre d’une réorganisation qui consiste à délocaliser en Asie une recherche pilotée depuis les Etats-Unis par des chefs de projets…

Pour terminer sur une note encourageante, et même si l’attention n’est plus du tout sur lui, confirmons à nos lecteurs que l’ancien PDG de Wyeth, le français Poussot est désormais en mesure d’actionner son parachute doré de… 53 millions de dollars [5]. Alors que la fusion a abouti, personne ne doute maintenant de son impatience d’obtenir ce pactole, voici presque deux ans que les pourparlers entre Wyeth et Pfizer ont débuté !

(A suivre…)

[2] Ceux de Cambridge et d’Andover (Mass.).

[3] Surnom de Pfizer.

[4] Cette décision alimente des rumeurs d’une fusion avec Novartis.

[5]Le nouveau conseil de Wyeth, installé en début d’année 2009, venait, au moment de l’acquisition de réduire les indemnités de départ du PDG ("cash severance"), les faisant passer de 38 à 18,3 millions. Sans doute moins en raison de la conjoncture et des pressions fédérales sur la rémunération des dirigeants qu’en raison des discussions en cours avec Pfizer. Depuis l’approbation de la fusion par la FCC et la méthode employée pour l’absorption de Wyeth par Pfizer qui semble satisfaire les acquéreurs, les choses semblent à nouveau avoir changé en faveur de l’ancien PDG de Wyeth…

Source :

– "Wyeth Deal May Slow Pfizer Biotech Acquisitions", Andrew Pollack, 26/01/2009
– "For Pfizer, a Big Deal and a Test", Duff Wilson, 26/01/2009
– "In Wyeth, Pfizer Sees a Drug Pipeline", Natasha Singer, 26/01/2009
– "Banks Put Up for Pfizer-Wyeth Deal", Lauren Tara LaCapra, 28/01/09
– "Pfizer’s Bid For Wyeth Sends Ripples Through Trubion Pharmaceuticals, Seattle Biotechs.", Luke Timmerman, 27/01/09
– "Pfizer-Wyeth Combo’s Impact on San Diego Biotech: Bad for Dealmaking, Good for Shareholders", Luke Timmerman, 27/01/09
– "Pfizer Bid for Wyeth Will Stall Mass. Biotech Deals, CEO Says, State Official Still Sees Growth.", Ryan McBride, 27/01/09
– "En rachetant Wyeth, Pfizer conforte son rang de leader mondial de la pharmacie", Yves Mamou et Jérôme Porier, Le Monde, 28/01/2009
– "Le groupe pharmaceutique Pfizer réorganise sa R&D mondiale et ferme six centres de recherche", AEF.info (12/11/09).
– "Wyeth CEO to get $53 million under Pfizer deal : Platinum parachute: Wyeth CEO to get $53 million in severance under $68 billion" – https://www.dealookup.com/news/2009/03/Wyeth-CEO-to-get-53-million.asp
– BE Etats-Unis 143, 145, 156, 157, 158 et 159.

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] Voir à ce sujet "Les mutations de la recherche pharmaceutique sur fond de concentration du secteur" du 17 novembre 2008 dans laquelle nous anticipions l’acquisition de Wyeth – BE Etats-Unis 143 : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56728.htm
– Site de Pfizer, https://www.pfizer.com
– Site de Wyeth, https://www.wyeth.com/
Code brève
ADIT : 61374

Rédacteur :

Antoine Mynard, [email protected]

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