FAID Villes de demain – Webinaire #3.2 – Vers des quartiers de gare mieux connectés et plus équitables

[Accéder au replay complet du webinaire ici.]

Ce quatrième épisode a été organisé conjointement avec Nacima Baron, professeure à l’Ecole d’Urbanisme de Paris et chercheuse au Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT) de l’Université Gustave Eiffel, et avec Isabelle Gournay, une française professeure retraitée de l’Université du Maryland. Elles ont invité deux intervenants pour ce webinaire : Alain l’Hostis, de l’Université Gustave Eiffel, et Gerrit Knaap, du National Center for Smart Growth Initiative de l’Université du Maryland. Ils ont chacun donné leur point de vue au sujet des défis associés à la construction d’infrastructures de transport et notamment au développement des quartiers entourant les stations et gares.

Le LVMT est un laboratoire commun à l’Ecole des Ponts ParisTech et à l’Université Gustave Eiffel, qui a pour objectif d’étudier les interactions entre une ville et son système de transport. Tous les types de mouvements urbains sont considérés, des trajets domicile-travail aux déplacements plus libres (pour le tourisme ou la pratique de loisirs par exemple). Les axes de recherche du LVMT sont variés : mobilité urbaine, dynamiques territoriales, interactions ville-transports, étude physique du trafic urbain. Les programmes de recherche du LVMT s’inscrivent dans les travaux plus larges du LABEX Futurs Urbains.

Paris et Washington : deux capitales qui apprennent mutuellement de leurs expériences dans le développement d’infrastructures de transport

Nacima Baron et Isabelle Gournay ont tout d’abord présenté le partenariat existant entre l’Université du Maryland dont le campus principal se trouve à proximité de Washington, DC et l’Université Gustave Eiffel. Cette collaboration qui dure depuis maintenant plus de 10 ans, a permis la tenue de plusieurs séminaires à Washington et à Paris, à la publication de nombreux articles  conjoints de recherche, et à la rédaction commune d’un livre au sujet du concept américain de développement ou aménagement axé sur le transport en commun (parfois raccourci en AATC ou DATC).

Dans le précédent webinaire 3.1, il était question des possibilités permises par le développement de l’électromobilité en contexte urbain pour la réduction de l’empreinte carbone des villes mais aussi des défis qui étaient associés à ce développement. La collaboration franco-américaine ici présentée propose une autre approche consistant en la réduction de l’utilisation des voitures individuelles et en la promotion d’un urbanisme plus durable autour des quartiers de gare.

Le développement de nouvelles infrastructures de transport en commun soulèvent de nombreuses questions et défis qui sont liés notamment à la notion de « dépendance historique » aussi appelée « dépendance de parcours » (en anglais, path dependency). En effet, outre le fait d’étudier les structures de réseaux de voies ferrées en tant que telles, il faut également prendre en compte les implications sociales et économiques des interventions urbaines. On peut penser, par exemple, au phénomène de gentrification autour des nouvelles gares qui peuvent se traduire par l’augmentation des prix immobiliers, et peuvent conduire à l’intégration ou à l’exclusion des centres urbains de certaines communautés ou populations. Dans le même temps, l’émergence de nouveaux modes de transport peut conduire à une transformation des nœuds de transport existants, soit en leur insufflant une nouvelle dynamique ou à l’inverse en les faisant disparaître.

Dans ce contexte, la comparaison entre Paris et Washington est particulièrement pertinente du fait que les deux métropoles ont entamé la construction de nouvelles lignes de métro dont le trajet fera le tour de la ville : en France, la nouvelle ligne 15 de métro qui fait partie du projet Grand Paris Express et aux Etats-Unis, la Purple Line. C’est une nouveauté pour les deux capitales, dont le réseau ferroviaire est principalement organisé avec une structure dite “en étoile”. 

Les trottinettes électriques : un nouveau moyen de transport prometteur pour l’intermodalité ?

Dans la première présentation, Alain l’Hostis s’est concentré en particulier sur l’étude des trottinettes électriques comme nouveau moyen de transport pour l’accès au train régional. Il a notamment présenté un ensemble d’études qu’il supervise, et sur lequel il travaille avec plusieurs collègues autour des relations existantes entre les gares comme nœuds de transport et les nouvelles mobilités au sein de la région PACA. La présentation concernait, en particulier, les comportements de transport et l’utilisation de trottinettes électriques en lien avec le réseau de trains régionaux qui relient Marseille à Cannes. Ce travail tire parti des études réalisés par la SNCF en préparation de la construction d’une ligne à grande vitesse entre Marseille et Nice. 

 

Figure 1 : Profil socio-démographique des utilisateurs de trottinettes électriques, méta-analyse de la littérature

L’utilisation des trottinettes électriques est un sujet d’étude assez récent. Ce mode de transport pourrait être une composante importante du développement des transports en commun dans les villes dans l’optique d’une mobilité bas carbone. Pour autant, si l’on regarde la littérature existante sur le sujet, on peut noter que l’utilisation des trottinettes électriques en France est principalement intermodale, c’est-à-dire couplée à d’autres moyens de transport public. On observe également des inégalités dans les profils des utilisateurs : 70% des utilisateurs sont des hommes, plutôt jeunes (tranche 25-35 ans). Les trottinettes électriques semblent être un moyen de transport dit « complet », au sens où la trottinette électrique est aussi bien utilisée pour les trajets vers le bureau que pour les trajets de loisir et de shopping. Les premières données collectées en lien avec la COVID-19 et pendant les grèves montrent que le nombre d’utilisateurs reste stable voire augmente de manière significative, notamment quand les autres modes de transport sont indisponibles, ce qui fait dire que c’est un moyen de transport « résilient ».

Figure 2 : Proportion d’utilisateurs qui utilisent le même mode de transport pour arriver et repartir d’une gare

L’enquête réalisée par la SNCF dans la région PACA a permis de mettre en lumière des comportements de déplacement similaires entre les différents utilisateurs, mais également certaines différences, quand on compare aux autres moyens de transport. Il y a également des points communs entre les déplacements en vélo et en trottinettes quand ils sont couplés avec d’autres moyens (trains, bus) mais, en moyenne, les utilisateurs de trottinettes électriques effectuent des déplacements plus longs que les piétons et plus courts que les cyclistes. Le fait que les utilisateurs de trottinettes électriques les utilisent au départ et à l’arrivée de leurs trajets est l’une des principales différences par rapport au bike-and-ride. Dans la région PACA, ces engins pourraient devenir un moyen utile d’effectuer le premier et le dernier kilomètre, facilitant ainsi les trajets entre la gare et son domicile.

Dans la dernière partie de son intervention, Alain l’Hostis a souligné les problèmes d’aménagement urbain existant dans l’environnement immédiat des gares en prenant l’exemple de la gare de Mouans-Sartoux. A l’aide d’images de Google Earth, il a mis en lumière le décalage existant entre l’espace alloué aux voitures (66%) et l’utilisation de ces véhicules pour accéder à la gare (seulement 33%). La majorité des voyageurs se rendent à pied à la gare, puis viennent les conducteurs de voitures et ensuite les utilisateurs de vélos (3%) et de trottinettes (2%). Par conséquent, il est suggéré de revoir l’aménagement urbain à proximité des gares pour permettre aux cyclistes et aux utilisateurs de trottinettes de pouvoir y accéder plus facilement.

Figure 3 : organisation spatiale autour de la gare de Mouans-Sartoux

 

Les débats qui ont suivi cette première présentation ont permis de pointer du doigt d’autres facteurs à prendre en compte pour expliquer les différences qui existent entre les cyclistes et les utilisateurs de trottinettes électriques, en particulier dans les zones périurbaines autour des gares. En premier lieu, il conviendrait d’étudier plus en détail les relations entre densité de population et mode de transport. Pour aller encore plus loin, d’autres facteurs comme la topographie (la présence de pentes sur le trajet, notamment) mais aussi des facteurs socioéconomiques comme les  niveaux de revenu des utilisateurs pourraient être pris en compte.

Gerrit Jan Knaap et son équipe ont réalisé des travaux similaires aux États-Unis et ils en ont tiré les mêmes conclusions. Ils ont de plus mis en évidence deux autres paramètres d’influence : le tourisme, qui expliquerait l’utilisation plus forte des trottinettes, et la nécessité de payer par carte pour utiliser les infrastructures de transport partagé, qui permet d’affiner le profil des utilisateurs.

La Purple Line Corridor Coalition (PLCC) : un exemple unique d’organisation ayant pour objectif de développer des couloirs de transit plus durables et plus équitables

À la suite de la présentation d’Alain l’Hostis, Gerrit Jan-Knaap a détaillé l’implication de l’Université du Maryland dans le projet de la “Purple Line” à Washington.

Cette nouvelle ligne de métro est actuellement en construction dans la région Nord-Est de la capitale des États-Unis. Première ligne qui ne passerait pas par le centre-ville, la Purple Line permettra de connecter des zones de moyenne densité et de compléter le réseau existant, structuré en étoile. Il est estimé que 69.000 voyageurs utiliseraient cette ligne en 2030, ce qui permettrait de désengorger les routes de la capitale d’environ 17.000 voitures par jour.

Figure 4 : La Purple Line à Washington, DC

Figure 5 : Le couloir autour de la Purple Line en construction

Afin de maximiser les bénéfices de ce nouveau projet d’investissement, l’Université du Maryland a créé une coalition regroupant les principaux acteurs locaux. Cette coalition est particulièrement utile du fait d’importantes problématiques de coordination autour de cette nouvelle ligne qui passe par deux comtés différents (Montgomery county et Prince George’s county) et devra être rattachée aux réseaux de métros, bus et trains déjà existants.

La PLCC a été créée en 2013 en tant que coalition multi-secteur. Elle rassemble, entre autres, l’Université du Maryland, les gouvernements locaux, ainsi que des associations de défense des immigrants et de promotion du logement public. Ces organisations ont signé un accord de développement communautaire (Community Development Agreement, ou CDA) afin de construire un corridor plus durable le long de la ligne, et en visant quatre principaux objectifs :

  • L’un des plus ambitieux est d’assurer l’accès au logement pour tous, et notamment aux catégories socioéconomiques les plus défavorisées. La PLCC souhaite ainsi que les 17.000 appartements à loyer modéré (accessibles aux foyers qui gagnent moins de 60% du salaire médian de la zone) soient préservés. Pour cela une équipe dédiée Housing Accelerator Action Team a travaillé sur un plan d’action pour le logement publié en décembre 2019 et dans lequel des étapes concrètes sont détaillées pour pouvoir maintenir l’accès au logement à des prix abordables.
  • Un autre aspect important consiste à soutenir les petites et moyennes entreprises locales à la fois pendant la construction et après pour s’assurer de la pérennité de ces commerces une fois la ligne construite. C’est un défi important car les travaux peuvent engendrer des pertes pour les commerces, ce qui n’est pas arrangé par la situation de COVID-19.
  • La PLCC vise également à établir un marché du travail florissant, composé de travailleurs qualifiés aux compétences et à la localisation bien répartie en fonction des besoins des entreprises de la région. Une certaine partie de la population locale est issue de l’immigration et/ou ont des revenus modestes. La CDA veut s’assurer que ces communautés puissent avoir accès aux retombées économiques liées à la construction de cette ligne et pas uniquement attirer de nouveaux habitants.
  • Enfin, un dernier objectif est de créer des communautés durables et animées le long de la ligne et autour des gares, ce qui permettra d’améliorer le bien-être et la santé des habitants de ces quartiers, et permettra également de développer une culture locale et un sentiment d’appartenance qui contribuent à la qualité de vie générale des habitants. Là encore, une équipe  dédiée travaille pour rendre comptes des différentes formes urbaines autour des gares existantes tout en cartographiant les espaces publics propices au développement de communautés dynamiques, comme peuvent l’être les espaces verts et autres places de marché.

Afin de soutenir et faire avancer les différents points dans l’agenda du CDA, la PLCC s’est doté d’un Equity Leadership Council, une structure qui permet de faire le lien entre décideurs publics et législateurs au niveau fédéral, de l’état fédéré et du local, pour créer un environnement favorable au niveau politique permettant le développement de communautés plus justes.

La PLCC a déjà connu des succès majeurs : elle a en effet reçu $5 millions du fonds d’investissement de JP Morgan Chase pour les quartiers, $2 millions de l’administration fédérale du transport en commun pour l’élaboration d’un plan de transport pour l’ensemble du couloir, et plus de $5 millions qui ont été investis dans des habitats durables par l’assureur santé Kaiser Permanente, qui reconnaît l’impact du logement sur la santé publique.

L’Université du Maryland semble être un acteur clé de cette coalition. En plus de son support indispensable dans les travaux de coordination entre les différents membres, l’université met à disposition divers outils qui permettent de superviser la construction de la ligne et mesurer les conséquences pour ce couloir de transit. Les données disponibles sont rassemblées dans un tableau de bord qui fournit un aperçu du quartier et de son évolution, en ce qui concerne le marché du travail, les entreprises locales, l’identité du quartier et les choix en matière de logements. La collecte de données a commencé avant la construction du projet, ce qui permet aux autorités locales de surveiller et mesurer les impacts du développement de la Purple Line. Les données du GIS concernant les logements sont également très utiles pour suivre les évolutions des loyers. Ces données ont déjà permis d’observer l’augmentation des loyers à proximité des nouvelles gares. À l’aide du logiciel Sugar Access (désormais CUBE Access), les chercheurs peuvent prévoir différents scénarios d’évolution de l’accessibilité, en mesurant les modifications d’accès au travail, d’accès aux soins, etc. Enfin, l’outil Mapcraft de cartographie aide les urbanistes à identifier les projets immobiliers qui deviendront financièrement possibles grâce aux développements économiques induits par la Purple Line.

Malgré ces nombreuses avancées beaucoup de travail reste à faire pour la PLCC. Parmi les priorités identifiées, il reste encore à formaliser et étendre la coalition davantage, réaliser une analyse  de type développement, axée sur les transports en commun à l’échelle du corridor, établir un plan de développement économique et commercial complet pour le secteur, et préparer une stratégie de financement et d’implémentation détaillée. 

Tous ces sujets seront autant d’axes de travail pour la PLCC dans les années à venir, pour s’assurer que la Purple Line puisse bénéficier aux habitants de la zone autour de Washington, indépendamment de leur milieu social.

Placer le bien public au cœur de l’aménagement urbain et l’importance du partage d’expériences 

Nacima Baron a conclu le séminaire en synthétisant les défis importants associés à l’aménagement urbain autour des infrastructures de transport, nouvelles ou rénovées, et souligné l’importance de la collaboration transatlantique dans le domaine. La technologie évolue de façon rapide : de nouveaux moyens de déplacement voient le jour. Ils ont un impact sur les comportements utilisateurs et transforment notre rapport au transport. Dans le même temps, de nouveaux outils numériques sont développés afin de cartographier, modéliser et visualiser ces nouvelles réalités. Au-delà d’un continuel rattrapage technologique à effectuer, il est très important de pouvoir réaliser des analyses qui soient à la fois prospectives et rétrospectives. Il est notamment nécessaire de prendre en compte l’impact que peuvent avoir la structure et la morphologie des villes sur leurs propres capacités à être transformées. Ceci ajoute une couche de complexité supplémentaire au travail de planification des transitions urbaines. Implémenter une nouvelle infrastructure qui s’adapte à l’existant ou essayer de changer les comportements utilisateurs par le biais d’intervention urbaine sont des tâches complexes.

Pourtant, que l’on adopte une approche structuraliste ou bien une approche portée par la technologie dans la conception des nouvelles infrastructures de transport, il est fondamental de garder en tête l’objectif général qui est de contribuer positivement au bien public par la planification. Tout au long du processus, il est important d’adopter une approche centrée sur l’utilisateur et de concevoir la planification en collaboration avec les citoyens. C’est pourquoi, les expériences partagées durant ce webinaire ont été utiles, car elles servent non seulement comme nouveaux éléments de recherche mais aussi comme matière à réflexion, un terreau fertile pour susciter des changements auprès des décideurs politiques et des divers acteurs, en France comme aux États-Unis.

Rédacteurs : 

Cassandre REY-THIBAULT, doctorante au laboratoire LATTS, Université Paris-Est Sup, [email protected]

Valentin DESCAMPS, Analyste, [email protected]

Kévin KOK HEANG, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie, [email protected] 

 

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