De nombreuses initiatives sont actuellement prises pour relancer l’économie aux Etats-Unis en prenant comme appui les secteurs des hautes technologies, de l’innovation et de l’entreprenariat.
L’engouement suscité autour de ces initiatives semble dissimuler les difficultés auxquelles devront faire face l’industrie américaine dans ce secteur. Dans un article publié dans la "Harvard Business review", les auteurs [1] font le constat de l’érosion des "industrial commons", c’est-à-dire de la capacité collective d’un ensemble d’entreprises (généralement regroupées géographiquement) qui s’organisent autour d’un savoir-faire en R&D, de productions d’équipement, de développements de processus et de compétences en ingénierie, etc. Ce regroupement, également appelé "cluster" dans certains types d’industries, est la source de l’avantage concurrentiel, un concept qui appartient à l’économiste Michael Porter (Université Harvard).
Comme l’expliquent les auteurs, la difficulté de maintenir ces "clusters" est liée à l’externalisation des productions de l’industrie des hautes technologies plus précisément des activités manufacturières, des Etats-Unis vers les pays émergents. Les activités à forte valeur ajoutée telles que la R&D étant en général maintenues aux Etats-Unis. Cette sous-traitance a un impact non seulement sur l’entreprise mais également sur la coopération industrielle au niveau local. Le résultat de cette situation est que, depuis 2002, la balance commerciale dans le secteur des hautes technologies (biotechnologies, NTIC, électronique, aérospatial…) affiche un déficit croissant : de 17,5 milliards de dollars en 2002, il est passé à 53,6 milliards en 2007. En effet, la stratégie initiale des entreprises de ces secteurs a été de se concentrer sur leur coeur de métier, en s’allégeant des coûts liés aux activités peu rémunératrices, peu stratégiques et ainsi en investissant ces économies réalisées dans l’innovation.
Les Etats-Unis seraient-ils sur le point de perdre leur capacité à élaborer de nouveaux produits et ainsi de perdre leur avantage concurrentiel ? Selon les chefs d’entreprises, la situation est loin d’être inquiétante. Ils la relativisent en affirmant notamment que le processus d’externalisation serait à tout moment réversible. En outre, ils soulignent qu’ils détiennent en main les atouts majeurs : la propriété intellectuelle et les compétences.
Pour autant, et selon les auteurs, l’innovation dans l’industrie des hautes technologies nécessite une interaction entre deux activités : le processus d’innovation (de l’idée au brevet en passant pas l’étape de R&D) et la production (de la production manufacturière à la commercialisation). Des interactions régulières doivent être favorisées afin de répondre au mieux au besoin du marché. Sur le long terme, une économie qui manquerait d’infrastructures de production et de processus d’ingénierie perdrait sa capacité à innover.
Les auteurs prennent l’exemple de l’entreprise indienne "Moser Baer" qui est la deuxième plus grande entreprise dans le secteur des médias de stockage optique (CD, DVD, etc.) et qui distribue sous la marque HP certains de ces médias. Elle a su utiliser son savoir faire pour produire une technologie d’enduction, le "thin-film coating" en la transférant dans le secteur très prisé des nouvelles énergies, en particulier dans l’industrie des panneaux solaires avec la technologie "thin-film solar". Certains des acteurs américains du secteur (First solar en partenariat avec Sempra) ont tenté, dès lors, de rattraper leur retard en orientant leurs efforts vers cette nouvelle technologie. La construction d’une usine de production est en cours à Tempe en Arizona.
Dans le secteur informatique, le livre électronique d’Amazon, le "Kindle 2 e-reader", a été conçu certes dans leur laboratoire en Californie mais la majorité de ses composants est fabriquée en Chine, Taïwan, et en Corée du Sud tout en étant assemblé en Chine.
Face à cette situation qu’est-ce que les autorités publiques peuvent entreprendre pour contrer un tel phénomène ?
Faut-il laisser s’effondrer les grandes entreprises actuellement en difficultés ou les soutenir ? Les auteurs prennent l’exemple de Général Motors. Le gouvernement fédéral a fortement soutenu GM suite à la crise des surprimes. Ce soutien a permis, entre autres, de conserver les usines américaines du Groupe. GM opte désormais pour un retour de sa production aux Etats-Unis. Le nouveau moteur électrique (ion-lithim) de la Chevrolet Volt de GM sera par exemple fabriqué aux Etats-Unis.
Faut-il rééquilibrer la balance entre les financements fédéraux de la recherche fondamentale et la recherche appliquée ? Certes le financement fédéral de la recherche fondamentale a continué de croître (11,5 milliards en 1980, 31,2 milliards en 2006) tandis que celui de la recherche appliquée évolue moindrement (11,4 milliards en 1980, 21,48 milliards en 2006). Un meilleur soutien de la recherche appliquée susciterait davantage l’innovation sur un plus court laps de temps.
Ce débat illustre un courant de pensée parmi beaucoup d’autres quant au rôle de la R&D et de l’externalisation des activités de production. Celui décrit ici alerte sur les conséquences de l’externalisation manufacturière sur l’innovation. Les solutions apportées restent encore vagues car très délicates à mettre en oeuvre (en terme de coût de relocalisation, de production et de main-d’oeuvre, déstructuration des partenariats mis en place, etc.).
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[1] Gary P. Pisano et Willy C. Shih
Source :
"The U.S. Is Outsourcing Away Its Competitive Edge" Gary P. Pisano et Harry E. Figgie, Jr., 01/10/2009 : https://blogs.harvardbusiness.org/hbr/restoring-american-competitiveness/2009/10/the-us-is-outsourcing-away-its.html
Pour en savoir plus, contacts :
"Restoring American Competitiveness", Gary P. Pisano et Willy C. Shih, Harvard Bussiness reviews de juillet-août 2009 – https://hbr.harvardbusiness.org/2009/07/restoring-american-competitiveness/ar/1
Code brève
ADIT : 60835
Rédacteur :
Lynda Inséqué, [email protected]; Antoine Mynard, [email protected]