A Tokyo, le 24 mai dernier, les chefs d’Etat des quatre pays du Quad (Etats-Unis, Inde, Japon et Australie) se sont réunis en personne pour la deuxième fois seulement pour tracer les contours d’une coopération renforcée autour des technologies stratégiques que sont les semiconducteurs, le quantique, les télécommunications et le spatial. Autant de sujets dont s’emparent toutes les arènes multilatérales, dont l’Union européenne, qui a adopté début juillet son nouveau programme d’innovation, dans lequel ceux-ci sont également désignés comme prioritaires.
D’après le compte-rendu officiel, les quatre puissances s’engagent à utiliser leurs “forces complémentaires” au service d’un marché des puces électroniques “diversifié et compétitif”. Les pays du Quad ont également “approfondi les discussions” sur les biotechnologies et ont déclaré qu’elles se concentreraient également sur les technologies quantiques.
Dans le domaine de l’espace, les quatre pays se sont fixé comme objectif d’améliorer l’accès du public aux données et aux applications des satellites terrestres et de mettre en place un portail de données unifié regroupant des liens vers les ressources satellitaires nationales. Ils se consulteront prochainement sur les « règles, normes, lignes directrices et principes relatifs à l’utilisation durable de l’espace ».
Un nouveau programme de bourses de mobilité
Les quatre dirigeants ont également annoncé la création d’un programme de mobilité étudiante qui permettra chaque année à 100 étudiants venus d’Inde, du Japon et d’Australie de poursuivre une formation d’études supérieures aux Etats-Unis.
Le Quad Fellowship sera financé en partie par la société philanthropique de l’ancien PDG de Google Eric Schmidt. Ce programme, qui débutera en 2023, vise à attirer les talents de l’Indo-Pacifique, convoités par les autres grandes puissances de la région.
L’espace Indo-Pacifique est aussi devenu une priorité européenne. Fin avril, l’Union européenne et l’Inde ont annoncé la création d’un Conseil du commerce et de la technologie et ont convenu d’intensifier leur coopération dans le domaine de la fabrication de panneaux solaires, suite aux inquiétudes des Européens concernant leur dépendance vis-à-vis de la Chine.
Au début du mois, l’UE et les États-Unis ont achevé la deuxième réunion de leur Conseil du commerce et de la technologie et ont convenu de renforcer leur coopération sur les sujets d’intelligence artificielle, des normes technologiques et des aimants aux terres rares.
La coopération scientifique au cœur de la stratégie politique du bloc occidental
Lors de la réunion du G7 des ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche qui s’est tenue à Francfort le 13 juin dernier, la question des valeurs promues par la science était au cœur des déclarations. “Nous devons non seulement maintenir mais renforcer la coopération avec les pays qui partagent nos valeurs : la démocratie, les droits de l’homme et la confiance dans la science”, ont déclaré les ministres. Ils ont également appelé le corps scientifique à la plus grande prudence dans le cas où des collaborations devaient perdurer avec des pays ne partageant pas ces valeurs, citant nommément la Chine.
Les ministres du G7 ont annoncé la création d’une académie virtuelle destinée à promouvoir la liberté de recherche et l’intégrité scientifique au sein des pays du G7, avec pour objectif la définition d’un cadre commun fondé sur des valeurs partagées entre pays “like-minded”.
Parmi les domaines d’intérêt commun, les sept ont également annoncé leur intention de renforcer leurs collaborations dans les technologies de captage et de stockage du carbone. L’observation des océans et la collecte de données, priorités du G7, devraient être encouragées par la création d’un programme de bourses de recherche.
L’expérience de la crise sanitaire avait déjà rappelé l’importance de la coopération internationale dans la recherche de solutions scientifiques. La guerre en Ukraine est venue ressouder encore davantage le bloc occidental autour de ses valeurs communes et a de fait accéléré l’association de pays tiers aux programmes de l’Union Européenne. Le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud ont été invités par l’UE à prendre part au programme de financement de la recherche Horizon Europe.
L’intégration au programme de ces grandes puissances scientifiques pourrait poser un certain nombre de défis de gouvernance, à l’image des bourses d’excellence du Conseil européen de la recherche (ERC), censées attirer les chercheurs en Europe, et qui pourraient ainsi être utilisées pour des mobilités de chercheurs entre pays tiers. La proposition d’une association partielle est ainsi discutée. Dans le même temps, les négociations avec les plus proches voisins de l’UE, à savoir le Royaume-Uni et la Suisse, sont au point mort.
Les Etats-Unis amenés à cesser toute collaboration scientifique avec la Russie
Dans un communiqué daté du 11 juin, la Maison-Blanche a annoncé l’arrêt graduel des collaborations scientifiques avec la Russie en réponse à l’invasion de l’Ukraine. La décision s’applique aux projets financés par le gouvernement fédéral et impliquant des institutions de recherche et des chercheurs affiliés au gouvernement russe ou ayant publiquement exprimé leur soutien à la guerre. Elle concerne les agences fédérales mais aussi les entités que celles-ci financent, tels que les laboratoires nationaux (Argonne, Lincoln, Fermi, etc.). Elle permet toutefois aux institutions américaines privées ou non-gouvernementales, y compris les universités, de décider elles-mêmes de la poursuite ou de l’arrêt des collaborations avec la Russie.
Bien que les États-Unis aient rapidement décrété des sanctions économiques et le contrôle des exportations technologiques vers la Russie, la Maison-Blanche n’avait jusqu’à présent pas précisé si elle mettrait fin aux relations scientifiques entre les deux pays. Au contraire de nombreux pays européens qui avaient rapidement imposé des restrictions officielles aux collaborations scientifiques.
Il est néanmoins précisé que les États-Unis limiteraient leurs engagements avec la Russie dans « divers projets et initiatives internationaux liés à la science et à la technologie », mais que les partenariats se poursuivraient dans les domaines où le « droit international » l’exige, citant par exemple le projet international ITER, dont la construction est actuellement en cours en France, et dont la Russie est partie prenante, où encore l’opération de la station spatiale internationale.
Le CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, où travaillent plus de 1 000 scientifiques affiliés à des institutions russes, est une autre enceinte où les Etats-Unis entretiennent des liens scientifiques avec la Russie.
Le CERN a commencé à suspendre ses relations avec le gouvernement russe en mars, tout en permettant aux scientifiques affiliés à des institutions russes de continuer à y travailler. Cependant, le CERN a annoncé aujourd’hui son intention de ne pas renouveler son accord de coopération avec la Russie, qui expire en décembre 2024. Les détails de l’accès des chercheurs russes aux équipements américains doivent encore être précisés.