Un fait plutôt anecdotique, révélé par la MIT Technology Review en décembre 2022 [1], a récemment attiré l’attention des médias – y compris en France [2] – sur l’une des réponses les plus controversées à l’urgence climatique, la « modification du rayonnement solaire » (Solar Radiation Modification, SRM) : une start-up américaine, Make Sunsets [3], a conduit sans aucune autorisation, au Mexique, une expérience d’injection de quelques grammes de dioxyde de soufre dans la haute atmosphère à partir de ballons. Après avoir été interdite au Mexique, cette start-up a reproduit l’expérience en février 2023 dans le Nevada [4]. Son modèle d’affaires consiste à vendre des « crédits de refroidissement », à raison de 10$ pour chaque gramme injecté dans la stratosphère ; malgré l’absence totale de références scientifiques de son créateur, elle a trouvé ses premiers clients, et levé des fonds à hauteur de 750 000$.
Autre fait récent médiatisé, le milliardaire George Soros a défendu le 16 février 2023, à l’occasion de la Conférence de Munich sur la sécurité, une proposition
(s’appuyant sur les travaux de Sir David King, du Center for Climate Repair Center de l’Université de Cambridge) d’injection de gouttelettes d’eau de mer dans l’atmosphère par une flotte de 500 navires pour créer des nuages artificiels salés, ralentir le réchauffement de l’Arctique et éviter de redoutables « points de basculement » climatiques dans cette région (fonte des glaciers, dégel du permafrost..) [5]
Un nombre croissant d’acteurs considèrent que l’indispensable réduction des émissions de gaz à effet de serre ne suffira plus à protéger la Terre des effets déjà enclenchés du réchauffement climatique. Les stratégies d’élimination de carbone de l’atmosphère relèvent de ce constat [voir article]. L’objectif commun des diverses méthodes regroupées sous le vocable de SRM est d’augmenter la part du rayonnement solaire renvoyée vers l’espace (albedo) pour refroidir « rapidement » (à savoir en quelques années) la Terre, notamment en cas de constat d’emballement du réchauffement. Un état des recherches menées aux Etats-Unis sur ces méthodes « non conventionnelles » a été dressé dans un rapport produit par le Service pour la Science et la Technologie de l’ambassade en octobre 2021 [6]. Y était mentionnée la recommandation des National Academies de soutenir ces recherches à hauteur de 20 à 40 millions de dollars par an [7]. Les principales agences fédérales concernées sont la NASA, la National Oceanic and Atmopsheric Administration (NOAA) et le Department of Energy (DOE).
Les recherches les plus futuristes envisagent d’empêcher quelques pourcents du rayonnement solaire d’atteindre la Terre en installant des réflecteurs dans l’espace – si possible au « point de Lagrange L1 », une position orbitale distante d’1,5 million de km offrant l’avantage d’un alignement permanent entre Soleil et Terre. Une publication conjointe du 8 février 2023 du Center for Astrophysics | Harvard & Smithsonian et de l’Université d’Utah [8] propose ainsi d’utiliser de la poussière lunaire, qui posséderait les propriétés optiques idéales. Les auteurs estiment à 10 millions de tonnes par an la masse de poussière lunaire à transporter jusqu’au point L1, et reconnaissent que le projet présuppose la disponibilité d’une infrastructure de lancement sur la Lune… Si ces méthodes offrent l’avantage de ne pas contaminer l’atmosphère terrestre, il est probable que l’inventivité et les investissements qu’elles supposent bénéficieront plutôt à d’autres approches.
L’approche de SRM la plus étudiée est l’injection d’aérosols stratosphériques soufrés dans la haute atmosphère par des avions ou des ballons (Stratospheric Aerosol Injection, SAI). Elle bénéficie des connaissances acquises sur les effets climatiques des injections « naturelles » massives de soufre consécutives aux éruptions volcaniques, en particulier celle du Pinatubo (Philippines) en 1991, à laquelle a été attribué un refroidissement planétaire de l’ordre de 0.5°C pendant une année.
De nombreux risques ont toutefois été identifiés, en particulier du fait des différences régionales d’impact, et des conséquences possibles pour la couche d’ozone d’une injection pendant plusieurs décennies (durée minimale nécessaire estimée). Cette approche « palliative » ne résout pas les autres conséquences des émissions de CO2, telles que l’acidification des océans. La question de la gouvernance multilatérale à mettre en place est également difficile.
Toutes ces interrogations ont amené, en janvier 2022, un collectif de 16 chercheurs à publier une lettre ouverte aux gouvernements et aux Nations-Unies, appelant à un accord international sur le non-recours à la « géo-ingénierie solaire » [9], avec cinq exigences : pas de financement public de la recherche dans ce domaine, pas d’expériences en extérieur, pas de délivrance de brevets, pas de déploiement de technologies, pas de soutien de la part d’institutions internationales. Plusieurs centaines de signataires ont rejoint depuis cet appel, parmi lesquels 73 affiliés à des institutions américaines et 21 à des institutions françaises (dont les climatologues Jean Jouzel et Hervé Le Treut).
Mais le 27 février 2023, un autre collectif a publié, à l’initiative de chercheurs de l’université de Washington (Seattle), une lettre ouverte appelant au contraire à soutenir une recherche « responsable » (incluant des simulations, mais aussi des expériences de terrain « à petite échelle ») pour évaluer « objectivement » le potentiel de la SRM [10]. Les auteurs ne préconisent pas à ce stade le déploiement de la SRM (ils se distancient expressément des expérimentations commerciales irresponsables évoquées en introduction de cet article) : l’éventuel déploiement doit être précédé par la mise en place d’un cadre international pour l’évaluation globale et locale des risques, et pour la prise de décision – envisagée d’ici une à deux décennies. Parmi les premiers signataires figurent une majorité de membres d’institutions américaines (on note l’absence de membres d’institutions françaises). Le nom le plus remarqué est celui de James Hansen : en 1988 – il était alors en poste à la NASA – il avait été le premier à alerter le Congrès américain sur le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique et la nécessité de réduire le recours aux énergies fossiles [11].
Le Programme pour l’Environnement des Nations Unies (UNEP) a publié le 28 février un rapport « One Atmosphere » [12] sur le SRM, préparé par un groupe interdisciplinaire d’experts (incluant le directeur du laboratoire de Sciences Chimiques de la NOAA). Il confirme le constat de l’insuffisance des connaissances pour envisager un déploiement à grande échelle, et recommande d’instaurer un cadre international pour la « gouvernance de la stratosphère ». La question des expériences de SRM en extérieur « à petite échelle » est signalée comme difficile et non-consensuelle, cette « petite échelle » étant mal définie, et aucune expérience conduite dans la stratosphère ne restant véritablement « locale ». Une gouvernance internationale devrait donc aussi s’appliquer aux expériences à petite échelle. Les tensions géopolitiques actuelles ne présagent pas d’une mise en œuvre aisée de ces recommandations.
C’est dans ce contexte riche en annonces, événements et controverses qu’un plan fédéral à cinq ans pour la recherche sur le SRM doit être publié prochainement par l’Office of Science and Technology Policy (OSTP) de la Maison Blanche [13], pour donner suite à une commande du président Biden en 2022.
Rédacteur : Joaquim Nassar, Attaché pour la Science et la Technologie, Washington, DC