L’annonce a été précédée, quelques jours plus tôt, de la réunion du comité mixte américano-japonais sur les priorités de collaborations scientifiques et technologiques entre les deux pays. Une délégation conduite par Arati Prabhakar, directeur de l’Office for Science and Technology Policy, et composée de dirigeants des principales institutions scientifiques fédérales, s’est rendue à Tokyo le 16 mai. L’information quantique a été définie comme priorité de coopération entre le Japon et les Etats-Unis. [1]
C’est dans ce contexte que les deux accords ont été annoncés. Le premier a été passé entre l’Université de Chicago, l’Université de Tokyo et IBM, et comprend une enveloppe de 100 M$ sur 10 ans. L’objectif est de développer des superordinateurs centrés sur le quantique (c’est-à-dire incluant à la fois des processeurs et des réseaux de communication quantiques et classiques) de plus en plus puissants, avec, à terme, l’objectif ambitieux de concevoir un ordinateur de 100 000 qubits d’ici 2033. [2] L’université de Tokyo apportera son expertise en algorithmique, tandis que celle de Chicago apportera la sienne en communication et réseaux quantiques. L’université de Tokyo avait d’ailleurs déjà signé un MoU en 2019 avec IBM pour renforcer l’innovation en informatique quantique, ce qui avait conduit à la fondation de l’IBM-UTokyo lab. [3]
Les qubits sont les unités de base de l’information dans l’informatique quantique, à l’instar des bits en informatique classique. Augmenter leur quantité serait un des moyens de limiter les erreurs de traitement et accélérerait la vitesse de calcul ; les applications de ces superordinateurs seraient alors nombreuses : médecine, énergie, etc. A l’heure actuelle, l’ordinateur quantique le plus puissant conçu par IBM est Osprey, avec 433 qubits. [4]
Le deuxième accord a été passé entre les deux universités et Google, pour un budget de 50 M$ sur 10 ans. Cet accord a plusieurs objectifs : concevoir un système informatique insensible aux défaillances, encourager la recherche et l’innovation dans le quantique, et former la future main-d’œuvre dans le domaine. Pour cela, Google mettra à disposition des chercheurs et étudiants des deux universités ses équipements, y compris des processeurs quantiques. [5]
Le Department of Energy (DoE) a déjà apporté son soutien à l’annonce des accords, qu’il juge en adéquation avec la loi fédérale Chips and Science Act. Cette loi fait du quantique un domaine prioritaire, avec un budget alloué sur cinq ans de 1,3 Md$. Le DoE espère maintenant associer à ces accords ses deux laboratoires nationaux d’Illinois, Argonne et Fermilab, sous tutelle de l’université de Chicago. [6]
Début juin, un autre partenariat américano-japonais, entre l’université de Chicago et l’université Tohoku, a été annoncé [7] : il vise à développer la recherche en détection et communication quantique, ainsi qu’en nouveaux matériaux. L’université de Tohoku propose, en effet, un des cursus d’ingénierie les plus importants du Japon, ainsi qu’une expertise de pointe en science des matériaux. L’accord va réunir à la fois ces partenaires académiques et des partenaires industriels et gouvernementaux, sur un modèle inspiré du Chicago Quantum Exchange (CQE). Le CQE est un regroupement d’universités, de laboratoires nationaux et de partenaires privés, basé à l’université de Chicago, pour faire avancer la recherche et l’innovation dans le quantique. L’accord prévoit également le développement d’un incubateur quantique sur le modèle de Duality, l’incubateur quantique co-dirigé par le CQE et le Polsky Center de l’Université de Chicago.
Pourquoi ce rapprochement avec le Japon ?
Plusieurs éléments peuvent expliquer ce rapprochement fort entre Chicago et le Japon en quantique. D’après David Awschalom, directeur du CQE, le Japon est un partenaire stratégique et ces accords permettront également à l’écosystème de Chicago de se rapprocher des compagnies de tech japonaises, notamment celles de télécom. [8] Le CQE travaille d’ailleurs déjà avec Toshiba sur le développement de clés de cryptage post-quantiques via le réseau quantique développé par l’université de Chicago et ses partenaires [9].
Les accords annoncés lors du G7 ont été forgés en partie sous l’impulsion de Rahm Emanuel, actuel ambassadeur des Etats-Unis au Japon et maire de Chicago de 2011 à 2019. L’objectif est de concurrencer l’avancée de la Chine, qui a massivement investi dans le développement du quantique ces dernières années, avec des applications militaires potentielles. [10] (Voir aussi l’article de cette newsletter : Bilan au Congrès de 5 ans de stratégie quantique nationale).
Enfin, au niveau fédéral, les deux pays ont fait du quantique une de leurs priorités : depuis 2020, le Japon l’a placé dans les domaines de technologie et d’innovation prioritaires dans sa stratégie nationale. De plus, le Japon et les Etats-Unis ont établi des partenariats autour du quantique dès 2019, avec la signature de la Déclaration de Tokyo sur la coopération quantique (Tokyo Statement on quantum cooperation), [11] ainsi que la signature d’un accord lors d’un comité mixte de coopération scientifique et technologique en 2021 [12].
Références:
- Readout of U.S.-Japan Joint High Level Committee Meeting │The White House
- University of Chicago joins global partnerships to advance quantum computing │UChicago News
- IBM-UTokyo lab
- Charting the course to 100,000 qubits │IBM
- A quantum computing partnership with the University of Chicago and the University of Tokyo│The Keyword – Google
- Statement on University of Chicago/IBM Collaboration│Department of Energy
- UChicago Forges ‘Quantum Alliance’ with Japan’s Tohoku University as the Transformational Technology Quickly Progresses │WTTW
- A Deeper Look at the “Quantum Alliance” Between the University of Chicago and Japan’s Tohoku University │Inside Quantum Technology News
- Toshiba, Chicago Quantum Exchange Partner to Activate Quantum Network between University of Chicago, Argonne National Laboratory │Toshiba
- IBM, Google Give $150 Million for U.S.-Japan Quantum-Computing Push as China Looms│The Wall Street Journal
- U.S. And Japan Sign Landmark International Quantum Statement │US Embassy & Consulate in Japan
- The 16th Japan-U.S. Joint Working-Level Committee Meeting │US Department of State
Rédactrice : Marie Poirot, Chargée de mission scientifique au Consulat Général de France à Chicago, [email protected]