Le 17 février 2009, le Congrès vota l’American Recovery and Reinvestment Act (ARRA) afin de "préserver et créer des emplois, (favoriser) l’investissement dans les infrastructures, l’efficience énergétique et scientifique, l’assistance aux chômeurs, et la stabilisation des Etats et gouvernements locaux". Pour ce faire, la puissance publique fut dotée de moyens considérables: 787 milliards de dollars -soit 50% de plus que le fameux New Deal de FD Roosevelt [1]- dont 18.4 pour la R&D. Le Président Barack Obama a déclaré qu’il s’agissait de "l’augmentation la plus importante du financement de la recherche fondamentale de toute l’histoire du noble effort des Etats-Unis d’Amérique dans l’amélioration de sa compréhension du monde". La somme est immédiatement disponible et ne nécessite pas de lois d’engagements. En outre, ces fonds sont utilisables en 2009 et 2010. Enfin, les agences ont pour obligation de tracer les créations et préservations d’emplois en reportant des statistiques régulières.
Quel sera l’impact de ce colossal plan de relance ? La revue Nature a interrogé plusieurs scientifiques qui pointent les risques d’effets pervers ou d’utilisation sous optimale.
Un risque de dysfonctionnement du marché académique dans la période post-relance
Richard Freeman, économiste à Harvard, et Johan Van Reener de la London Scools of Economics ont publié des analyses d’impact d’augmentations soudaines des financements de la R&D sur le marché américain de la recherche [2]. Ils ont conclu que les augmentations doivent être progressives pour éviter des phases post-traumatiques. En effet, selon eux, le risque est double:
(i) un déclin de la productivité scientifique par unité monétaire dépensée,
(ii) un dysfonctionnement généralisé du marché de la recherche comme celui qui caractérisa la fin de la période faste des NIH [3].
Cette fois, le futur semble moins opaque : nous savons que le stimulus prendra fin en 2011. Ainsi, pour mitiger les dommages de l’assèchement prévisible, Richard Freeman préconise des mesures de précaution tels qu’étaler les dépenses ou flécher les financements du stimulus et les utiliser pour les éléments courants (overhead).
L’injection d’argent public semble relever du dilemme cornélien puisque d’une part, trop de relance tue la relance mais de l’autre, comme le souligne, Michael S Teitelbaum de la Alfred P. Sloan Foundation, l’augmentation dans le domaine de la recherche biomédicale doit être tendancielle. Selon lui, sa stabilité est mise en cause dès que l’on descend en dessous du sentier de croissance annuel de 6%.
Un risque d’utilisation sous-optimale
Selon Daniel Greenberg, Journaliste spécialiste des questions de politique scientifique, le stimulus a été transféré à la hâte, reproduisant les erreurs du passé : sous représentation des jeunes chercheurs et aversion au risque. Les experts -peer reviewers- favorisent les réseaux déjà établis parfois au détriment du renouvellement d’idées. Ainsi, selon un rapport interne de 2008, l’âge médian des premiers bénéficiaires de bourses du NIH était de 41 ans.
Pour Michael Crow, Président de l’université de l’Etat d’Arizona, le stimulus s’inscrit dans cette tendance fédérale poussant à privilégier le quantitatif par rapport au qualitatif, utilisant comme indicateur de suivi le montant de l’aide plutôt que les résultats de la recherche.
Les faits: une consommation progressive qui bénéficie en premier lieu au secteur de l’éducation
Selon une conférence de la Brookings Institution intitulée "Stimulus at Sixth Months: Boom or Bust" (13 août 2009); il n’y pas de quoi s’alarmer quant aux risques d’inondation financière, le rythme d’absorption étant suffisamment lent. En effet, d’après le site de suivi de l’utilisation du plan de relance [3], le taux de versement moyen de la composante "subvention" du plan de relance serait de 20%.
Néanmoins, sur les 640.239 emplois prétendument créés ou sauvés grâce au plan de relance, plus de la moitié -325.000- le furent dans le secteur de l’éducation contre 80.000 dans le secteur de la construction ! En effet, dans ce dernier, l’élaboration de plans et de prévisionnels financiers ralentissent considérablement la cadence. En Californie par exemple, où le taux de chômage a atteint 12,2% de la population active, sur les 110.000 emplois crées, 62.000 l’ont été dans le secteur de l’éducation. Il s’agit aussi d’un corollaire du phénomène de reprise et prolongation d’études qui touche la population estudiantine, en réaction à la crise et au chômage.
Finalement, doit-on écouter les voix de Cassandre et croire au dérèglement post-relance ? Rien n’est moins sûr. Rendez vous fin 2011.
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[1] L’administration américaine dépensa lors de sa politique du New Deal environ 500 milliards de dollars exprimés en termes constants dont la moitié pour construire des parcs, établissements publics, écoles et ponts.
[3] De 1998 à 2003, le budget des NIH a doublé avec un rythme de progression annuel de l’ordre de 12%. Par la suite, les chercheurs dans le domaine de la santé ont été confrontés à une brusque raréfaction de leurs financements qui avait touché en premier lieu les plus jeunes, et entraîné une montée du chômage.
Source :
– [2] Richard Freeman, John Van Reenen, What if Congress Doubled R&D Spending on the Physical Sciences?, https://ideas.repec.org/p/cep/cepdps/dp0931.html
– Nature, vol 461, 15 octobre 2009
– America Needs a New New Deal, Katrina Vanden Heuvel & Eric Schlosser, September 27, 2008 – https://www.thenation.com/doc/20081013/kvh_schlosser
– Schools are where stimulus saved jobs, new data show, Michael Cooper, Ron Nixon, 31 Octobre 2009, The New York Times
Pour en savoir plus, contacts :
– Site de la Brookings Institution : https://www.brookings.edu/metro/implementing_ARRA.aspx
– [3] site permettant de suivre les dépenses et créations d’emplois dans chaque Etat pour la composante "subventions": https://www.recovery.gov/Pages/home.aspx,
– Site du suivi des impôts pour la dimension "crédits d’impôts": https://www.irs.gov/newsroom/article/0,,id=204335,00.html
Code brève
ADIT : 61143
Rédacteur :
Johan Delory, [email protected]