Nous vous en faisons part régulièrement, le capital risque américain est dans une phase importante de remise en question. Les imperfections du modèle VC, exacerbées par la crise financière, font l’objet de corrections tout en explorant des modes alternatifs de financement de l’innovation. Un concept originaire de la région de Boston prend en ce moment de l’importance aux quatre coins du pays : il consiste en une rémunération de l’investisseur basée sur un pourcentage du chiffre d’affaires.
Le concept est simple : au lieu d’acheter des parts de l’entreprise qu’il souhaite soutenir, l’investisseur accepte de recevoir un pourcentage du chiffre d’affaires mensuel de l’entreprise, dans la limite d’un total de 3 à 5 fois son investissement. Ainsi, théoriquement, l’investisseur n’a plus à attendre entre cinq à dix ans avant de voir un retour sur son investissement qui prend la forme d’une introduction en bourse ou d’une acquisition. Mais s’agit-il véritablement d’une activité de capital risque ? Le système est-il vraiment différent d’un simple prêt bancaire ?
Ce modèle permet en tous cas aux investisseurs d’accompagner un éventail de jeunes pousses plus large que celui généralement couvert par les VC, surtout que ces derniers se focalisent essentiellement, en raison de la conjoncture, sur l’accompagnement des entreprises plus matures et sur une introduction rapide sur les marchés financiers. Le but étant en effet d’apporter aux investisseurs un retour significatif le plus rapidement possible, les gestionnaires de fonds cherchent en général des jeunes pousses (pas si jeunes au final) ayant un important potentiel de croissance. Cependant, moins de 5% des jeunes entreprises américaines rentreraient dans le cadre classique d’investissements des VC.
L’inconvénient de cette nouvelle approche est que les retours sur investissement sont plafonnés. De ce fait, si l’investisseur est amené à financer un nouveau Google ou Amazon, il ne va percevoir "que" cinq fois son investissement. Mais le modèle d’intervention tend à séduire les entrepreneurs car ils n’ont pas à céder de parts (et le contrôle) de leur entreprise.
Le concept n’est pas nouveau : Arthur Fox, le fondateur de "Royalty Capital Management", basée dans le Massachusetts, a été le premier à utiliser le modèle pour financer de jeunes pousses au début des années 90. A cette époque, Fox, un ancien du MIT, intervenait comme "mentor" pour le compte de plusieurs start-ups locales. Il a dans un premier temps introduit le système des royautés afin de trouver un moyen rapide d’être rémunéré par les entreprises qu’il accompagnait. Il a ensuite adapté sa stratégie en tant qu’investisseur. Le premier investissement de Fox fut de 100.000 dollars. En deux ans, les royautés sur le chiffre d’affaires de l’entreprise lui avaient rapporté un total de 125.000 dollars. Fox a ensuite investi une somme plus importante selon un modèle traditionnel d’achat d’actions. Quatre ans après, à la faveur d’une fusion-acquisition, l’investissement de Fox lui rapportait 15 millions de dollars !
Ce qu’il convient de retenir, c’est que ce modèle de financement par les royautés n’a pas nécessairement vocation à se substituer à l’investissement à risque traditionnel ; il est en fait parfaitement complémentaire. Dans la pratique, il permet de pouvoir apprécier sans trop de risque le potentiel réel de l’entreprise avant d’investir ultérieurement de façon plus importante dans son développement.
Selon Fox, la différence avec le capital risque traditionnel, c’est le mode de sélection et l’accompagnement des entreprises. Pour lui, le défaut du modèle d’intervention des VC est lié au fait que ce ne sont pas nécessairement les entreprises plus viables ou celles qui sont les plus prometteuses sur le très long terme qui sont accompagnées ; ce sont celles qui peuvent espérer une sortie rapide. Le modèle de financement par royautés permet aux investisseurs d’accompagner les entreprises en adoptant une vision à long terme. Dans ce modèle, l’investisseur ne siège en général pas au conseil d’administration de l’entreprise, laissant une liberté accrue à l’entrepreneur. Mais là encore, ce point reste tout à fait contractuel et propre à chaque investisseur.
A priori, ce serait les "Business Angels" qui seraient les plus enthousiastes à explorer cette approche. A la différence des VC, la pression des investisseurs ("limited partners") qui participent à la constitution d’un fonds d’intervention des VC, est plus faible.
L’investissement par royautés devrait pouvoir être en mesure de pallier la quasi-absence de financement dans les phases précoces ("early stage") et de fournir du capital d’amorçage pour les jeunes entreprises. Mais dans certains secteurs seulement, notamment celui des logiciels. En effet, en accompagnant des entreprises informatiques en général proches de leurs premiers revenus, le modèle soutient de jeunes pousses encore peu attractives aux yeux des VC. Le système n’est en revanche que difficilement transposable à l’industrie pharmaceutique, où le développement long et coûteux des produits nécessite plusieurs séries d’investissements.
Par ailleurs, le modèle semble particulièrement adapté aux entreprises ayant des besoins de financement plus faibles et aux entreprises familiales… ces deux catégories de sociétés souhaitant en général limiter au maximum l’ouverture de leur capital à des investisseurs tiers.
Le concept est donc tout à fait intéressant. Il offre un bon complément aux modèles d’investissement à risque classique, qui trouve ses limites dans la période actuelle de ralentissement, et qui ne réalise au final que peu d’investissements "à risque". Mais l’investissement à risque rémunéré par les royautés ne devrait pas pour autant se substituer au capitaux-risqueurs traditionnels et il n’ira probablement pas à l’encontre de la stratégie "à forte croissance" de ces derniers.
Source :
– Royalty-Based Venture Financing, Born in Boston, Could Shake Up VCs and Startups from New England to the Northwest, Gregory T. Huang, 10/7/09, – https://www.xconomy.com/seattle/2009/10/07/royalty-based-venture-financing-born-in-boston-could-shake-up-vcs-and-startups-from-new-england-to-the-northwest/
– Class R (Revenue) Stock: A New Class of Investment? Brian McConnell, 18/06/09 – https://gigaom.com/2009/06/18/class-r-revenue-stock-a-new-class-of-investment/
Rédacteur :
Yann Le Beux, [email protected]