Lutter contre l’échec à l’université : une prise de conscience américaine dans un contexte de crise économique

Le rapport "Measuring up" de décembre 2008 avait souligné la perte de vitesse relative des Etats-Unis par rapport à d’autres nations avancées pour ce qui concerne l’accès des lycéens à l’université et leur capacité à en sortir diplômés, avec des conséquences à terme pour le dynamisme économique et scientifique américain [1].

Face à cette situation, le rapport commandé par l’IES (Institute of Education Sciences), et intitulé "Helping Students Navigate the Path to College: What High Schools Can Do" soulignait l’importance d’améliorer au sein des lycées la préparation académique et personnelle à l’entrée dans l’enseignement supérieur, notamment pour les populations les moins favorisées [2].

Une fois entrés à l’université il s’agit ensuite de s’assurer que les étudiants seront en mesure de continuer leurs études et d’obtenir leur diplôme. Or, si l’on regarde la population des étudiants entrant dans un programme de Bachelor, seulement 50% d’entre eux parviennent à obtenir leur diplôme au bout de six années d’études, selon le Center of Educational Statistics du Département Américain d’Education, avec de grandes disparités entre universités, classes sociales et origines ethniques [3]. Le débat sur les causes et réponses à ce phénomène est aujourd’hui prioritaire et de nombreux acteurs non gouvernementaux tels que la Fondation Gates s’y sont investis, finançant, pour cette dernière, à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars des initiatives dans ce domaine [4].

Très récemment encore, une conférence intitulée "National dialog on student retention" [5] organisée par EducationDynamics, entreprise qui conseille les universités sur les politiques d’admission et de rétention, a permis de faire le point sur la question. Bien sûr l’abandon peut être lié à des questions académiques, d’encadrement, de qualité des cours ou de disponibilité des étudiants pour les nombreux étudiants qui ont un emploi [6]. L’abandon, particulièrement en ces temps de chômage massif (plus de 10% actuellement) et de crise économique, peut être lié à des causes financières. Elle peut en retour mettre les institutions d’accueil dans une situation financière difficile.

Un très bon indicateur de ce phénomène peut être trouvé dans la priorité que donnent actuellement les établissements d’arts libéraux privés à la lutte contre l’abandon des études en tant que levier de leur pérennité financière [7].

Les établissements d’arts libéraux, petits établissements privés offrant une formation généralement de très bonne qualité, se retrouvent aujourd’hui plus qu’hier en concurrence avec les institutions publiques aux frais de scolarité bien inférieurs. Avec des frais de scolarité très élevés, entre 40.000 et 50.000 dollars par an -logement compris- et qui augmentent d’environ 4% par an, ils doivent aujourd’hui en effet assurer non seulement leur capacité à recruter des étudiants, mais aussi, dans un contexte de crise économique, leur capacité à les retenir.

Au vu de l’importance des sommes en jeu, diminuer le taux d’abandon de leurs étudiants devient primordial pour les établissements privés, afin d’assurer la régularité de leur revenu. Parmi les 2,8 millions de nouveaux étudiants chaque année [8], plus de 450.000, soit 25%, ne retournent pas en deuxième année dans leur établissement [9], selon des statistiques datant de 2008 [10]. Bien que la capacité des institutions privées à retenir leurs étudiants soit plus élevée que celle des institutions publiques, l’impact financier de la perte d’un étudiant y est plus important [11]. Tant que les candidats solvables demeuraient suffisamment nombreux, les établissements préféraient remplacer les étudiants perdus plutôt que faire des efforts, y compris financiers, afin de les retenir. Au moment où la concurrence pour les nouveaux étudiants est plus dure, ils prennent aujourd’hui conscience de la nécessité d’investir dans des programmes permettant de réduire les démissions étudiantes.

Au-delà des aides financières qui peuvent être mobilisées, les universités mettent l’accent sur l’ensemble des facteurs de démission et réévaluent les programmes mis en place dans ce but.

Il apparaît tout d’abord que les programmes visant à limiter les démissions d’étudiants sont inégalement accessibles et que les élèves les plus à risque sont souvent les moins sensibilisés à leur existence et en bénéficient peu. George D.Kuh, Directeur du Center for Postsecondary Research à l’Indiana University, insiste sur la nécessité pour les universités de sensibiliser les étudiants aux éléments essentiels d’une réussite universitaire, et enfin d’assurer pour chacun d’eux un lien (professeur, programme ou activité) qui les rattache fermement à la vie sur le campus. Certains indicateurs sont souvent des signes avant-coureurs d’échec. Les étudiants régulièrement absents ou ayant validé moins de 18 crédits dans leur première année de premier cycle voient leur chance d’être diplômés dans les six années suivantes baisser radicalement.

Il existe cependant des facteurs qui dépassent le périmètre de l’influence des universités. On sait que pour un étudiant issu d’un milieu peu aisé, souvent le premier à s’engager dans un cycle d’études supérieures, un membre de la famille (et non nécessairement ses parents) pourra être l’interlocuteur privilégié concernant son orientation, même s’il ne connaît pas le milieu universitaire. Les institutions concernées cherchent donc à développer leurs relations avec les familles.

On retrouve ici de nombreux points déjà évoqués dans une brève concernant la préparation des lycéens à l’enseignement supérieur [2]: l’importance d’une préparation bien en amont effectuée par l’institution d’accueil des étudiants, l’importance de la prise en compte des familles, facteurs souvent déterminants dans la décision des étudiants de poursuivre leurs études ou non.

[6] Selon le rapport publié en mai 2006 par l’ACE, Working their way through college: Student employment and its impact on the college experience, 78% des étudiants américains en premier cycle d’études supérieures travaillaient en parallèle de leurs études dans l’année universitaire 2003-04.

[8] aussi bien dans les établissements privés que publics

[9] On ignore cependant si ces étudiants arrêtent définitivement leurs études ou s’ils changent simplement d’établissements.

Source :

– Bryan Matthews, Retention matters, 2 novembre 2009 : https://www.insidehighered.com/news/2008/06/04/retention
– [1] BE Etats-Unis 149 – 20/01/2009: Rapport Measuring Up 2008: les tendances démographiques inquiétantes de l’enseignement supérieur américain : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/57366.htm
– [2] Pascal Delisle, Marion Bruley, Accès à l’enseignement supérieur et réussite universitaire aux Etats-Unis : vers une meilleure préparation des lycéens, 23 octobre 2009
– [3]. https://www.cscsr.org/retention_journal.htm
– The Graduation Rate Gap , April 21, 2008 : https://www.insidehighered.com/news/2008/04/21/gradrates
– [4] Grants from Gates, on College Completion, December 9, 2008 : https://www.insidehighered.com/news/2008/12/09/gates
– [5] https://www.educationdynamics.com/retention_conference/
– [7] selon Bryan Matters, auteur d’un article intitulé Retention matters paru le 2 novembre 2009 sur le site d’Inside Higher education – https://www.insidehighered.com/news/2008/06/04/retention
– [10] https://www.insidehighered.com/news/2008/06/04/retention
– [11] 20% de désaffection étudiante dans une institution privée peut représenter une perte de près de 100 étudiants, à raison de 30.000 dollars par étudiant : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/60895.htm

Rédacteur :

Marion Bruley [email protected] – Pascal Delisle [email protected]

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