Au cours de l’année universitaire 2007/2008, les universités américaines ont accueilli quelques 623,805 étudiants étrangers, soit plus de 20% de l’ensemble du marché des étudiants internationaux qui en compte aujourd’hui selon l’OCDE près de 3 millions. Les Etats-Unis disposent ainsi de la plus grande part du marché des étudiants internationaux devant le Royaume-Uni. En revanche, les étudiants étrangers ne représentent que 3,5%[1] de l’ensemble de la population étudiante américaine alors qu’ils représentent plus de 15,8% du corps étudiant britannique. Le taux d’internationalisation des universités américaines reste donc très faible au regard de leur capacité d’accueil. Ainsi, lorsqu’on considère le nombre d’étudiants internationaux à l’échelle de la population étudiante totale, les Etats-Unis n’arrivent qu’en cinquième position derrière l’Australie (21,1%), le Royaume-Uni (15,8%), l’Allemagne (12,4%) et la France (11,2%).
Ni la qualité des universités américaines, ni l’intérêt des étudiants étrangers pour les Etats-Unis ne sont en cause. Au-delà de l’effet mathématique fort lié à l’importance de la population étudiante américaine (près de 18 millions d’étudiants) au regard de la population étudiante internationalement mobile totale[2], ce faible niveau d’internationalisation s’explique aussi selon certains observateurs par le mode de recrutement des étudiants internationaux. Les universités américaines ont en effet essentiellement recours aux méthodes traditionnelles de recrutement, à savoir la mise à disposition d’une rubrique spécialisée sur leur site internet, la participation à des salons étudiants à l’étranger ou encore la prospection directe dans les écoles et lycées. Elles pâtiraient de leur non recours à des agences de recrutement d’étudiants, dont l’impact est aujourd’hui significatif et croissant dans le recrutement d’étudiants internationaux.
Plusieurs rapports récents réalisés par des experts de l’enseignement supérieur mettent en avant la montée en puissance des agences de recrutement. Ces agences constituent une interface entre les universités et les étudiants : d’un côté, un nombre croissant d’universités les emploient pour recruter des étudiants internationaux; de l’autre, les étudiants et leurs familles s’adressent à elles afin de trouver une université à l’étranger. Les agents offrent des conseils aux étudiants dans leurs recherches d’universités, les aident dans leurs démarches administratives (obtention du visa, inscription, etc.) et parfois même prennent en charge l’organisation du voyage. Les agents, installés dans le pays d’origine des étudiants qu’ils envoient à l’étranger, possèdent (ou du moins sont supposés posséder) une expertise du milieu universitaire du ou des pays d’accueil avec lesquels ils travaillent.
L’étude 2008 Agent Barometer, montre qu’en 2007 plus de 290,000 étudiants internationaux, soit plus de 8% du flux total (beaucoup plus donc si l’on considère les étudiants en cursus diplômant) ont été placés dans des universités étrangères par l’intermédiaire de près de 2000 agents dans 119 pays différents. En Asie (à l’exception du Japon), la région du monde qui envoie le plus grand nombre d’étudiants dans des universités à l’étranger, les agences de recrutement sont légion. Markus Badde, directeur exécutif de l’ICEF (International Consultants for Education and Fairs), un cabinet de conseil en recrutement étudiant, explique que plus des deux tiers des étudiants internationaux et 90% des étudiants asiatiques passent par des agents pour s’inscrire (pour un cursus diplômant) dans une université étrangère. Le Royaume-Uni, l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande dont la population étudiante internationale est très majoritairement originaire d’Asie, en particulier de Chine, d’Inde et d’Asie du Sud-est ont très largement recours aux agences de recrutement pour faire venir des étudiants internationaux dans leurs universités. A l’inverse, les Etats-Unis font preuve d’une grande réticence à l’égard des agents et les universités qui les utilisent sont encore très peu nombreuses. Selon la société d’étude de marché i-graduate, seuls quelques agents orientent leurs clients vers les universités américaines alors même que la plupart d’entre eux le souhaiteraient. A défaut d’accords avec les universités américaines, les agents se tournent donc vers les institutions d’autres pays anglophones qui collaborent largement avec eux. L’hostilité des Etats-Unis face aux agents affecte donc sensiblement l’internationalisation des campus du pays.
Les universités américaines sont en effet très méfiantes à l’égard des agences de recrutement qu’ils considèrent comme peu fiables. L’US Higher Education Act signé en 1965 interdit par exemple aux universités de recourir à des agents pour recruter des étudiants au niveau national. Pour Mitch Leventhal, vice-président du bureau des affaires internationales à l’Université de Cincinnati, cette loi concoure très largement au climat de suspicion qui existe aux Etats-Unis à l’égard des agents, d’autant plus que cette loi est souvent mal interprétée : de nombreuses institutions pensent qu’elle s’applique au recrutement d’étudiants internationaux alors qu’elle ne concerne en réalité que le recrutement d’étudiants américains.
La question de l’éthique constitue un autre frein majeur à l’utilisation des agents par les Etats-Unis. Pour la majorité des Américains, les pratiques des agences de recrutement sont perçues comme très peu éthiques, notamment au niveau financier. De nombreux membres du milieu universitaire américain estiment que les enjeux financiers présents nuisent à l’équilibre du marché de l’enseignement supérieur. Certains agents peu scrupuleux choisissent d’envoyer les étudiants qui les emploient dans les universités qui leur offrent une commission élevée sans se soucier réellement de l’adéquation entre le profil des étudiants et la formation proposée par les institutions. En règle générale, les universités signent un contrat avec un ou plusieurs agents à qui elles versent une commission pour chaque étudiant inscrit. Le montant de la commission est souvent fonction des frais d’inscription et de scolarité demandés par l’université. Il arrive également que les universités ne possèdent aucun accord avec des agents et y aient recours seulement de façon ponctuelle en cas de besoin d’un ou plusieurs étudiants d’une nationalité particulière. Dans d’autres cas, les agents facturent uniquement les étudiants mais ne reçoivent aucun versement de la part de l’université. Le caractère non règlementé de ce secteur nuit à la transparence de l’information financière en la matière mais l’on estime que les montants demandés -très variables- sont souvent très élevés (plusieurs milliers de dollars).
Conclusion :
La création de l’American International Recruitment Council (AIRC) en juin 2008 à l’initiative de Mitch Leventhal traduit la volonté des Etats-Unis de rattraper leur retard en matière d’internationalisation tout en balisant ce système de recrutement afin d’éviter les différentes dérives. Cette organisation à but non lucratif basée à Washington, DC, regroupe non seulement des agences de recrutement et des universités mais aussi des organisations ou associations du milieu académique. L’AIRC vise à établir un cadre réglementaire commun afin d’assurer la transparence et le caractère éthique de ce secteur. A terme, l’AIRC souhaiterait introduire un système d’accréditation des agences de recrutement afin que les universités américaines leur accordent une totale confiance et puissent ainsi renforcer leur stratégie d’internationalisation.
[1] Ce taux avait évolué entre 3.9% et 4.6% dans la période comprise entre 200-2001 et 2006-2007.
[2] Même si les Etats-Unis accueillaient l’ensemble des étudiants non américains en mobilité internationale, le ratio d’internationalisation des campus américain n’atteindrait pas 15%.
Source :
– "Legitimizing Agency Recruiting in the USA : The Formation of the American International Recruitment Council" – Mitch Leventhal – December 2008 – https://www.icef.com/fileadmin/user_upload/files/training_downloads/americas_2008/airc.pdf
– "The American are coming" – The Economist – 30/12/2008 – https://www.economist.com/world/international/displayStory.cfm?story_id=12863537
– Recruitment fight to hot up as US turns to global agents – Times Higher Education – 4/09/2008 – John GILL – https://www.timeshighereducation.co.uk/story.asp?storyCode=403418§ioncode=26
– "Accreduitation Lite for International Recruiting Agents" – Inside Higher Ed – 6/01/2009 – Elizabeth REDDEN – https://www.insidehighered.com/news/2009/01/06/recruiting
Pour en savoir plus, contacts :
– "Report on International Educational Exchange" – 17/11/2008 – https://opendoors.iienetwork.org
– Rapport de l’International Student Travel Conferedation (ISTC) : "A Record Year for International Higher Education" – https://www.aboutistc.org/portal/page/portal/General%20Public%20Content%20Container/MenuContent/MenuResearchReports/YTI_Jan_Higher_Education.pdf
Code brève
ADIT : 58875
Rédacteur :
Florence Barnier – [email protected]
Pascal Delisle – [email protected]