L’épidémiologie de la maladie surveillée par détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées

Avec une infection par le SARS-CoV-2 fréquemment asymptomatique et une capacité de tests limitée, l’évaluation au sein d’une population du nombre de personnes infectées est une gageure. Compte-tenu de la présence du virus dans l’urine et les selles des personnes infectées, une alternative complémentaire consiste à quantifier le virus dans les eaux usées. Cette approche vise à détecter rapidement et de manière globale le virus dans des bassins de population, puis de modéliser sa propagation aux échelles globale ou locale. Elle s’est développée dans quelques centres de recherche au niveau mondial, dont quatre aux USA.
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Étant donné que de nombreux porteurs du SRAS-CoV-2 sont asymptomatiques, la circulation du virus parmi les populations humaines peut être détectée tardivement. En l’absence de capacité de tests massive, il s’agit d’un écueil majeur pour évaluer et contrôler l’épidémie actuelle. En raison de la présence de SARS-CoV-2 dans les réjections de personnes infectées, une détection du virus dans les eaux usées a récemment été proposée comme outil complémentaire pour étudier la circulation du virus dans les populations humaines.

L’identification en temps réel des hot spots viraux permettrait de mieux orienter les ressources pour protéger les populations vulnérables grâce à des mesures de distanciation sociale et d’en surveiller l’efficacité, tout en assouplissant les restrictions dans les régions exemptes de virus, en minimisant les perturbations économiques et sociales.

Cette approche de WBE (Wastewater-Based Epidemiology / Epidémiologie basée sur les eaux usées) est un outil de santé publique mis en œuvre depuis des années pour suivre la répartition et la prévalence d’agents infectieux, mais aussi de diverses substances chimiques – polluants –, médicamenteuses, ou de drogues – opioïdes. C’est une approche diagnostique non-invasive relativement globale, qui peut permettre de suivre jusqu’à environ un million de personnes par bassin de traitement des eaux usées.

Une recherche développée dans une douzaine de laboratoires dans le monde

Une douzaine de laboratoires de recherche leaders du domaine dans le monde se sont récemment orientés vers le développement de méthodes de détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées et l’analyse de ces résultats en lien avec les données cliniques. A l’échelle internationale, ces équipes se situent en Chine (plusieurs institutions), Hong-Kong, Nouvelle Zélande, Pays-Bas (KWR Water Research Institute) les premiers à publier sur le SARS-CoV-2 dans les eaux usées [1] –, Royaume-Uni – Cranfield University –, France et USA.

L’équipe française – Eau de Paris et Sorbonne Université – a collecté pendant 1 mois des échantillons dans trois stations de traitement des eaux usées couvrant une population de 3 à 4 millions d’habitants de l’agglomération Parisienne. Leur analyse quantitative du SARS-CoV-2 démontre une bonne corrélation avec le nombre de cas mortels confirmés, et permet de plus une détection précoce de la présence du virus dans la population, avant la croissance exponentielle de l’épidémie [2].

Les données convergent pour dire que la présence du virus peut être détectée – par la technique classique de RT qPCR – dans les eaux usées dans les 3 jours suivant le début de l’infection [3], contre environ 2 semaines pour détecter la présence des symptômes de l’infection au sein de cette même population.

Les travaux de WBE aux USA

1) Actuellement, les États-Unis disposent du plus grand réseau WBE national et international et d’un référentiel d’échantillons, connu sous le nom de HHO (Human Health Observatory; Observatoire de la santé humaine), à l’Arizona State University (ASU). L’objectif du HHO est d’améliorer la santé publique aux niveaux national et mondial, en effectuant des analyses innovantes du cycle de l’eau en milieu urbain pour révéler l’état de santé des populations humaines en temps réel, et en s’appuyant sur les informations diagnostiques contenues dans l’eau, les eaux usées et les boues d’épuration. Récemment, le SRAS-CoV-2 a été ajouté à une gamme d’indicateurs de santé faisant l’objet d’un suivi continu par le HHO depuis mai 2008.

Rolf Halden, Professeur à la School for Sustainability and the Built Environment et Directeur du Biodesign Center for Environmental Health Engineering de ASU précise que la détection du SARS-CoV-2 dans les eaux usées possède une sensibilité élevée, avec le potentiel de détecter la signature d’un seul individu infecté parmi 100 – dans les cas les plus défavorables – à 2 millions de personnes – dans les situations expérimentales optimales.

Halden et son équipe ont créé OWOH (OneWaterOneHealth), un projet à but non lucratif de la Fondation ASU qui vise à proposer un test de mesure du COVID-19 dans les eaux usées à ceux qui ne peuvent actuellement pas se le permettre. Halden a déclaré que si cette approche devait être appliquée aux États-Unis, environ 70% de la population pourrait être dépistée pour le SRAS-CoV-2 en surveillant les 15.014 usines de traitement des eaux usées du pays à un coût estimé d’environ 225.000 $.

2) Le WEST Center (Water and Energy Sustainable Technology Center ; Centre des technologies durables de l’eau et de l’énergie) dirigé par le Dr Ian Pepper, à l’Université d’Arizona, Tucson, combine des approches de microbiologie, chimie, ingénierie et technologie pour assurer un traitement optimal de l’eau. Avec des capacités techniques avancées et une expertise dans la recherche sur les coronavirus, WEST propose une offre de service pour surveiller la présence du coronavirus dans les eaux usées pour toute station de traitement des eaux usées intéressée [4].

3) Grâce à une subvention d’urgence de 200.000 $ de la National Science Foundation (NSF), des équipes de recherche de l’Université du Michigan (K. Wigginton) et de l’Université de Stanford (A. Boehm) travaillent sur la détection précoce du virus dans les eaux usées et sur la façon dont le nouveau coronavirus se comporte et se déplace dans l’environnement.

Krista Wigginton, professeur à l’Université du Michigan et actuellement professeur invité à Stanford, étudie depuis des années les virus de la grippe et les coronavirus dans l’approvisionnement en eau pour une meilleure compréhension des maladies pandémiques. A Stanford, Alexandria Boehm, professeur d’ingénierie au Stanford Woods Institute for the Environment, spécialiste de l’étude des microorganismes dans l’environnement, a réorienté ses travaux sur le SARS-COV-2 début février, suite à l’obtention de la subvention de la NSF.

4) Newsha Ghaeli est présidente et cofondatrice de BioBot Analytics, une startup issue du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Center for Microbiome Informatics and Therapeutics, à Cambridge. Son équipe est spécialisée dans l’utilisation des eaux usées pour le suivi des maladies. En avril 2020, Biobot Analytics a lancé un partenariat avec l’Université Harvard, le MIT et le Brigham and Women’s Hospital pour utiliser sa technologie gratuitement afin de cartographier et d’analyser la propagation du coronavirus dans les eaux usées. Les premiers résultats suggèrent qu’une région métropolitaine du Massachusetts qui a dénombré moins de 500 tests positifs pourrait en réalité en avoir beaucoup plus – dans une fourchette entre 2.300 et 115.000 [5].

Pistes d’amélioration de WBE aux USA

L’un des enjeux majeurs actuels concernant la pandémie du COVID-19 est de pouvoir estimer efficacement le taux d’infection au sein des communautés afin de mettre en place des mesures conservatoires de protection contre la propagation. Les premiers résultats d’approches basées sur les eaux usées semblent particulièrement prometteurs et devraient rapidement pouvoir se généraliser mais il sera nécessaire de rendre les modèles d’estimation de cas de COVID-19 plus précis en modélisant la variabilité interindividuelle de la concentration du SRAS-CoV-2 dans les selles et les urines notamment. Si cette méthode existe aussi dans d’autres contextes – détection de la polio notamment –, des pistes d’améliorations envisagent de (i) prélever les échantillons plus en amont dans le réseau d’eaux usées afin d’affiner le suivi en identifiant de plus petits groupes (clusters) de populations (initiative du MIT) ; et (ii) étudier les modalités de dissémination du virus via les eaux usées (celui-ci semble adhérer davantage aux déchets solides), et les effets du traitement UV sur les eaux usées.

 

Commentaires:

  • Selon le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), le SRAS-CoV-2 a été trouvé dans les fèces de patients positifs au COVID-19. Cependant, il n’est pas certain que le virus trouvé dans les selles puisse être capable de provoquer le COVID-19. S’il n’y a pas eu de rapport confirmé de transmission du virus des matières fécales à une personne (30 avril 2020), le risque est considéré comme faible sur la base des données des précédentes épidémies de coronavirus apparentés, tels que le syndrome respiratoire aigü sévère (SRAS) et le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS).
  • Selon le CDC et l’OMS, le risque de transmission du SRAS-CoV-2 par des réseaux d’égouts et de traitement des eaux usées bien conçus et entretenus est considéré comme faible. De plus, selon le CDC, le SRAS-CoV-2 n’a pas été détecté dans l’eau potable à ce jour (30 avril 2020) et les méthodes conventionnelles de traitement de l’eau (filtration et désinfection) en place dans la plupart des systèmes municipaux d’eau potable aux Etats-Unis devraient éliminer ou inactiver le SRAS-CoV-2. L’étude parisienne fait mention d’une diminution de concentration d’un facteur 100 entre eaux usées avant versus après traitement.

Auteurs : Pascal LOUBIERE et Maëlys RENAUD (SST Los Angeles), James DAT (SST Chicago), Renaud SEIGNEURIC (SST Houston)

Notes :

[1] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.29.20045880v1, le 29 mars 2020

[2] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.12.20062679v1, le 12 avril 2020

[3] La limite de détection actuelle semble se situer autour de 1000 génomes équivalents par litre (étude parisienne). Une étude sur les eaux usées au Massachusetts réalisée par le MIT indique un ordre de grandeur d’environ 100 particules virales par mL d’eau usée soit environ 10 copies / mL.

[4] https://west.arizona.edu/sites/default/files/data/Sewage%20Monitoring%20for%20Coronavirus_UA%20WEST%20details_0.pdf

[5] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.05.20051540v1

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