Le plan stratégique décennal pour la physique des particules aux États-Unis

Les physiciens des particuleDans son rapport de décembre 2023, le comité Particle Physics Project Prioritization Panel (P5) a formulé des recommandations concernant le financement de grands projets en physique des particules aux États-Unis. Le P5 préconise de poursuivre plusieurs expériences actuellement en cours, de finaliser les projets de construction en cours, et de promouvoir la construction d’un collisionneur à muons ainsi que de nouvelles installations dédiées à la recherche sur les neutrinos et la matière noire. Par ces initiatives, les États-Unis aspirent à se positionner comme un leader mondial et un partenaire international de premier plan dans le domaine de la physique des particules.s américains dévoilent leur plan pour la prochaine décennie : un collisionneur à muons et la chasse à la matière noire en tête des priorités
Le plan stratégique décennal pour la physique des particules aux États-Unis

Une fois par décennie, un groupe composé des meilleurs physiciens des particules américains, connu sous le nom de P5 (Particle Physics Project Prioritization Panel) est chargé d’élaborer un plan stratégique décennal pour la physique des particules aux États-Unis dans le contexte d’une stratégie mondiale de 20 ans. Dans ce domaine de la physique, les projets sont généralement d’une envergure considérable ; ils impliquent la collaboration de milliers de scientifiques et peuvent s’étendre sur une période allant de quelques années à plusieurs décennies [1-2].

Le rapport du P5 est basé sur les retours de centaines de physiciens ayant participé à l’exercice de planification communautaire de Snowmass en 2021, qui s’est déroulé à Seattle. Cet événement a été organisé par la Division des particules et des Champs (Division of Particles and Fields – DPF) de la Société américaine de physique (American Physical Society – APS), qui est le seul organisme indépendant aux États-Unis représentant l’ensemble de la communauté de la physique des particules. Le rapport du P5 intègre également les suggestions et propositions formulées lors d’assemblées générales, de conférences, de réunions publiques, de visites de laboratoires et de communications individuelles [1-3].

Ce rapport, après avoir été approuvé par le groupe consultatif fédéral sur la physique des hautes énergies (High Energy Physics Advisory Panel – HEPAP), sera transmis aux deux principales agences de financement de la physique aux États-Unis :

  • Le ministère de l’énergie (Department of Energy – DoE)
  • La Fondation nationale des sciences (National Science Foundation – NSF) 

Ce rapport a pour vocation de fournir des conseils stratégiques à ces agences, qui, en général, prennent en compte ces recommandations dans leur processus décisionnel.

La première recommandation de financement du comité P5 est de soutenir les expériences en cours et d’achever les projets de construction actuels :

  • Finalisation de la première phase de l’expérience DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment) : La première phase de l’expérience DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment) est en cours de finalisation [4]. Ce projet américain, qui concerne la recherche sur les neutrinos, a établi des collaborations sans précédent en physique des particules entre les États-Unis et le reste du monde. Des pays comme la France, plusieurs pays européens et le Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN), participent activement à ce projet [5-6]. Les infrastructures américaines consacrées à ce projet comprennent : 

– le laboratoire souterrain Sanford Underground Research Laboratory dans le Dakota du Sud, dont la construction est en cours d’achèvement ;

– en Illinois, le Fermi National Accelerator Laboratory (Fermilab) [7; 12] produit des faisceaux de neutrinos. Une modernisation de l’accélérateur (Main Injector Ramp and Target ; ACE-MIRT) au Fermilab est envisagée pour accélérer le calendrier du programme DUNE. Un troisième module de détection souterrain et un complexe de détecteurs améliorés sont prévus, et peut-être même un quatrième détecteur [1-2]. 

  • La mise à niveau du grand collisionneur de hadrons (LHC) au CERN en Suisse. Il s’agit d’un accélérateur qui fait s’entrechoquer des particules à 99,9999991 % de la vitesse de la lumière. C’est l’accélérateur qui a permis la première observation du boson de Higgs en 2012  [8]. 
  • L’expérience « Cosmic Microwave Background Stage IV » (CMB-S4). Elle concerne l’étude de la lumière du début de l’univers par polarisation du CMB grâce à des télescopes au Chili et en Antarctique [1]. Cette recommandation du rapport est la première priorité du P5 pour la décennie [9].

Le rapport souhaite également la construction de nouvelles installations : 

  • IceCube-Gen2. Il s’agit de l’expansion de l’observatoire antarctique IceCube afin d’améliorer la précision des mesures des propriétés des neutrinos cosmiques. Les États-Unis ont exprimé un vif intérêt à se positionner en tant que leader dans ce domaine de recherche. Le projet est recommandé pour être une collaboration internationale, avec l’Université du Wisconsin-Madison aux États-Unis proposée comme gestionnaire principal. L’Allemagne est identifiée comme le deuxième collaborateur le plus important de ce projet. Il est à noter que la France, à ce stade, n’est pas incluse parmi les pays partenaires de ce projet [1;10]. 
  • Un programme complet comprenant une expérience sur la matière noire de génération 3 (G3) permettra de sonder la nature de la matière noire. Il a été recommandé que cette expérience soit réalisée aux États-Unis [1-2].
  • The Higgs Factory “l’usine à Higgs”. Dans le domaine des collisionneurs, le groupe d’experts est favorable à une usine à Higgs, située en Europe ou au Japon, afin de faire progresser les études sur le boson de Higgs. Un accélérateur produisant de grandes quantités de bosons de Higgs permettrait de mesurer avec précision les propriétés du boson et aiderait les physiciens à comprendre comment la particule s’intègre dans les modèles actuels de l’univers et si elle est liée à la matière noire [1-2].  
  • Le rapport présente également un plan sur 20 ans visant à construire le premier collisionneur à muons au monde, un collisionneur de 10 TeV qui, selon les prévisions, pourrait percer les secrets de la matière noire. Ce projet consoliderait le leadership des États-Unis dans la science des collisionneurs [1;3;8].

Deux scénarios budgétaires ont été envisagés pour la mise en œuvre de ce plan.

  1. Le scénario le plus favorable.

Il suppose une légère augmentation des financements au cours des deux prochaines années, qui proviendrait du Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors (CHIPS) et du Science Act, suivie d’une augmentation annuelle de 3 % pour suivre le rythme de l’inflation. [3]

  1. Le scénario le moins favorable. 

Ce scénario ne prévoit qu’une augmentation annuelle de 2 %. Cependant, en tenant compte de l’inflation, cela équivaut à une diminution progressive du financement [3]. Cette situation entraînerait des conséquences sévères. Elle contraindrait les États-Unis à renoncer à leur leadership dans de nombreux projets. En particulier, l’exploration de la matière noire dans le cadre du G3 serait déplacée à l’étranger, et des éléments de DUNE seraient réduits ou retardés [2].

En conclusion, le rapport du P5 permet de définir les priorités de la communauté scientifique américaine dans le domaine de la Physique des Particules. Il indique qu’une augmentation des financements permettrait aux États-Unis de se maintenir comme l’un des leaders sur la scène internationale. Il est probable que les agences de financements suivent ces suggestions. Le rapport du P5 est en accord avec la stratégie du CERN annoncée en 2020. Cette dernière,  qui guide la physique des particules en Europe, évoquait également l’importance de l’« usine à Higgs » et du Grand collisionneur de hadrons (LHC) [11].

 

Rédacteurs

Noelly Roussel, Chargée de mission pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à Houston, [email protected]
Marie Poirot, Chargée de mission pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à Chicago, [email protected]
Alessio Guarino, Attaché pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à Houston, [email protected]

Références

[1] Particle Physicists Put Forward Research Priorities for Coming Decade|Berkley Research (News)

[2] Pathways to Innovation and Discovery in Particle Physics (Executive Summary)| Exploring the Quantum Universe

[3] US Particle Physicists Make Their Wish List | Physics

[4] Le projet DUNE : un tournant dans les collaborations scientifiques internationales en physique des particules | France Science

[5] DUNE, construction of the detector can begin! | IJCLab (News) 

[6] Faces of DUNE | Dune

[7] Leading US particle-physics lab faces uncertain future | Nature 

[8] The P5 Report is Here: Particle Physicists Set Sights on the Multi-Billion-Dollar Road Ahead | APS (News)

[9] Big Bang observatory tops wish list for big US physics projects | Nature 

[10] The world’s largest neutrino detector | IceCube Gen2

[11] La stratégie européenne pour la physique des particules est mise à jour | CERN

[12] Il semblerait que le Fermilab rencontre des difficultés dans la gestion de cette expérience. Lors de son évaluation annuelle 2021, le DoE a attribué la note C à la gestion de DUNE. De plus, le Fermilab a reçu une note globale de B, alors qu’un B+ était nécessaire pour réussir l’évaluation. L’année dernière, le DoE a lancé un appel d’offres pour le contrat de direction du Fermilab. Les propositions peuvent être soumises jusqu’en mars 2024. La sélection aura lieu avant la fin de l’année, et le nouveau contrat entrera en vigueur l’année prochaine. [7]

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