Le capital risque aux Etats-Unis : ressac conjoncturel ou industrie en replis ?

Dans nos récentes livraisons nous avons évoqué à plusieurs reprises la situation du capital risque, notamment sous l’angle des technologies vertes ou de la rivalité avec les "anges". On le sait, aux Etats-Unis, le capital risque est une véritable industrie qui conditionne dans une large mesure le financement de l’innovation. Le capital risque est également une singularité américaine ; c’est en effet aux Etats-Unis, dans la région de Boston que cette industrie est née à la fin des années 1920. Pour la petite histoire, et les américains voient en lui l’une des dix personnalités qui ont changé le monde des entreprises au XXème siècle (cf. le "Wall Street Journal"), c’est le français Georges Doriot qui est à l’origine de ce mouvement qui mobilise désormais près de 30 milliards de dollars. Ce montant considérable fait des Etats-Unis le premier pays au monde à mobiliser autant de ressources privées pour alimenter l’innovation et la croissance future. A titre de comparaison, le marché français du capital risque est estimé à quelque 700 millions d’euros en 2008.

Mais, crise financière oblige, rien ne va plus. Alors que le marché est monté jusqu’à 32 milliards en 2007, il a atteint les 29 milliards en 2008 avant de se contracter potentiellement davantage en 2009. Au cours du premier trimestre 2009, le volume de sorties des sociétés financées par le capital risque (par rachat, le marché de l’IPO étant fermé) représente un tiers de l’activité réalisée à la même période en 2008. L’Association du capital risque de Nouvelle-Angleterre estime que le marché américain de levée de fonds, distinct de celui des investissements, pourrait se situer en 2009 entre 8 et 12 milliards. Cette évolution inquiète bien entendu les professionnels mais aussi l’ensemble de la chaîne de l’innovation. Comme nous l’indiquions dans notre étude consacrée à la recherche pharmaceutique, il y a aux Etats-Unis près de 5.000 petites entreprises de biotechnologies en attente de financement ou en recherche de partenariat pour décoller économiquement. Ces entreprises végètent, surtout depuis que les grands groupes pharmaceutiques, les seuls à détenir d’importantes réserves financières, ont freiné le nombre de leurs partenariats avec de plus petites entreprises pour se consacrer à la mise en oeuvre de leurs récentes acquisitions (Wyeth par Pfizer et Shering par Merck). Au total, les petites entreprises biotechnologiques sont assez menacées, surtout celles qui conditionnent leurs essais cliniques à grande échelle à des investissements provenant du capital risque et du financement par IPO.

Un seul champ d’activité sort son épingle du jeu, il s’agit des "technologies propres". A l’automne 2008, la rumeur a couru que l’on s’acheminait même vers une "bulle". Las ! La réalité est plus prosaïque : certes le nombre et le volume d’affaires se concluant est en forte hausse au cours des dernières années mais cette inflation n’est pas de mesure à provoquer un éclatement comme celui en 2000 pour l’Internet. La raison est la stagnation générale de l’activité du capital risque. En 2008, les technologies propres ont représenté près de 12% des investissements (soit plus de 3,1 milliards) contre 9% en 2007 et moins de 6% en 2006. Les fonds investis par le capital risque américain dans les technologies propres sont à 57% consacrés aux énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) et à 15% aux biofiouls. Dans un domaine proche, celui qui a trait à l’optimisation des réseaux d’énergie aux Etats-Unis, des investissements substantiels sont également consentis. Mais ils le sont dans la perspective du plan de relance de l’Administration Obama et, au-delà, d’un vaste plan fédéral visant à créer un réseau moderne et optimisé de transport d’électricité qui tient compte de la production d’énergies alternatives.

Hors de ces secteurs d’activité, le marché est étale. Cela laisse la place sinon aux bruits les plus contradictoires du moins aux discussions. Fin 2008, alors que les marchés s’effondraient et que l’appareil financier américain vacillait, certains experts ont prétendu qu’une période de vaches grasses allait commencer sous l’effet d’un report des investissements institutionnels et privés vers le capital risque qui, au regard de la chute des bourses, pouvait soudainement devenir plus attractif. L’hypothèse n’a pas tenu bien longtemps. Le montant du marché du capital risque n’a pas crû parce que les grands investisseurs sont soumis à des règles prudentielles en la matière (entre 5 et 10%) et qu’ils se trouvaient en "sur-allocation" d’investissement de capital risque du fait de l’effondrement des capitalisations boursières et des pourcentages en baisse dans leurs actifs cotés.

D’une façon générale, nous assistons à une période de latence où les acteurs ne cessent de s’observer. Elle parvient à instiller le doute sur la viabilité du marché du capital, à l’instar du Prof. Josh Lerner de l’Université de Harvard qui considère que l’on est en train de vivre un "changement de garde" où les acteurs institutionnels comme les fonds de pension américains ou les fonds de réserve des universités se mettent en retrait au profit de l’immixtion des fonds souverains ou de fonds de pension étrangers. A ce mouvement d’acteurs, le Prof. Lerner associe une diminution du volume des affaires traitées et, par voie de conséquence, un nombre plus faible de sociétés de capital risque, surtout si elles ne se situent pas dans le quartile supérieur de la rentabilité.

Cette vision darwinienne du marché du capital risque est alimentée par le scepticisme des opérateurs et par la récession sévère que vit l’économie américaine. Sans croissance, même organique, de l’économie, les acteurs du domaine estiment que les seuils de rentabilité ou de retour sur investissements s’éloignent davantage. Et que le métier du capital risque va revenir à une industrie plus consolidée et plus privée. A l’image du NASDAQ bon indicateur des marchés de l’innovation, qui évolue autour de 1 600 alors qu’il se situait à près de 2 500 en mars 2008.

Au final, l’activité des sociétés de capital risque est bel et bien à l’arrêt et plus aucune mise sur le marché (IPO) n’a été réalisée depuis le premier trimestre 2008. Le défi posé est au fond de savoir si cette situation est conjoncturelle ou structurelle. Une partie de la réponse est sans doute dans l’évolution des marchés, notamment du NASDAQ. Si ce dernier parvient à se hisser puis à se maintenir entre 2 200 et 2 500 points tout en permettant les sorties boursières de sociétés financées par les capitaux risqueurs, les opérateurs pourront en déduire que le pire est derrière eux. En revanche, si les 2 500 points sont atteints sans reprise des sorties boursières ou de rachats industriels significatifs, tous les opérateurs auront alors compris qu’une génération de start-ups disparaîtra entraînant des retours financiers très médiocres qui devraient accélérer la consolidation de cette industrie qui se maintiendra à des niveaux d’investissement du milieu des années 90, aux alentours de $15 milliards par an. Avec pour conséquence une sélectivité accrue concernant le financement des dossiers et un impact sur l’innovation aux Etats-Unis.

Rédacteur :

Antoine Mynard, [email protected]
Cette brève a bénéficié des conseils et des informations de M. Jean-Yves Lagarde, conseiller du commerce extérieur et directeur de la société de capital risque "Eurica Ventures".

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