Récemment, nous avons évoqué à plusieurs reprises la situation du capital risque, notamment sous l’angle des technologies vertes ou de la rivalité avec les "anges". On le sait, aux Etats-Unis, le capital risque est une véritable industrie qui conditionne le financement des très jeunes entreprises. Mais depuis deux ans, l’activité s’effondre. L’association du capital risque de Nouvelle-Angleterre estime qu’en 2009 le marché américain se situera entre 8 et 12 milliards de dollars alors qu’il a atteint 28 milliards en 2008 et 32 milliards en 2007. A ceci s’ajoute le fait que le volume moyen des investissements par dossier baisse de 73% pour atteindre 2,5 millions en 2009 (9 millions en 2008).
Influencé par l’ensemble des marchés et la santé des portefeuilles des grands comptes, le capital risque subit de plein fouet la crise financière. Cette situation a des répercussions importantes pour le financement des jeunes entreprises mais aussi pour la profession qui en appelle aux pouvoirs publics fédéraux pour relancer la machine. En présentant ses recommandations au Gouvernement fédéral, l’Association nationale du capital risque (NVCA) a fait vibrer une corde sensible en rappelant que l’ensemble des sociétés financées par le capital risque employait 10,4 millions d’américains et générait quelque 2 300 milliards de chiffre d’affaires, soit 17,6% du PIB américain et 9,1% de l’emploi privé du pays. De quoi faire réfléchir les décideurs publics…et mettre la NVCA en bonne position pour réclamer des incitations fiscales, un encadrement plus souple de l’activité, une stimulation des partenaires locaux (petites banques et cabinets comptables) et des facilités pour améliorer la liquidité de leur marché.
Mais les choses ne sont pas aussi simples, surtout dans le domaine de l’innovation. Et cette période a au moins le mérite d’inviter les opérateurs, les pouvoirs législatifs et exécutifs et les experts de tous bords à se pencher sur le système national d’innovation que la nouvelle Administration entend relancer mais sans le bousculer ou le réformer [1].
Avec le reflux de l’activité du capital risque, certains se mettent ainsi à relativiser son rôle. Plusieurs contributions viennent alimenter ce point de vue. Le prof. Josh Lerner de l’Université de Harvard a par exemple récemment démontré que les capitaux risqueurs n’ont pas été capables de financer plus de 36% des entreprises qui sont aujourd’hui cotées sur les marchés. Dans le cadre d’une étude sur dix ans portant sur les 800 entreprises les plus dynamiques du pays, M. Paul Kedrosky de la Fondation Kauffman soutient, quant à lui, que la grande majorité d’entre elles (645) a été financée par des investisseurs providentiels ou d’autres contributeurs.
Dans la pratique, les recommandations de la NVCA sont critiquées parce qu’elles sont davantage tournées vers l’économie du système de la profession que vers les mécanismes de l’innovation américaine et les écosystèmes innovants de certaines régions des Etats-Unis. C’est en tous cas la conclusion d’un texte de fond sur le financement de l’innovation rédigé par Harold Bradley de la Fondation Kauffman. Cette contribution apporte du crédit à des travaux antérieurs conduits par le NIST [2] sur le positionnement des aides fédérales en matière de financement des phases précoces du développement technologique [3]. Dans une hypothèse basse des besoins de financement (5,4 milliards) comme dans la situation d’une hypothèse élevée (35,6 milliards), la part du financement provenant du capital risque reste très faible (entre 8%, hypothèse basse des besoins, et 2,3%, hypothèse haute des besoins). Dans les deux situations, les principaux financeurs de l’innovation à un stade précoce restent l’industrie (31,6% et 47,2% selon l’hypothèse), les investisseurs providentiels (27,9% et 23,9%) et le Gouvernement fédéral (25,1% et 20,5%). Les résultats de cette étude avaient conduit l’administration fédérale à aller de l’avant quant au programme SBIR [4] en argumentant sur le fait qu’il n’empiétait pas sur les prérogatives des acteurs privés et qu’il était le seul outil d’intervention gouvernemental capable d’embrasser tous les domaines technologiques sur l’ensemble du territoire américain. Ce n’est bien entendu pas le cas du capital risque, principalement actif dans des secteurs technologiques précis et dans un petit nombre de zones géographiques bien identifiées.
Que penser de ces analyses et des chiffres qui les accompagnent ?
Comme nous l’indiquions précédemment, la période est propice à l’introspection. Tous les acteurs américains de l’innovation se mobilisent pour comprendre la situation actuelle, anticiper la sortie de crise et dessiner ce que sera le système de demain. Deux certitudes sont partagées. C’est l’innovation technologique qui va tirer la reprise économique et la croissance de demain. Autre conviction : rien ne sera plus comme avant, notamment dans le domaine du capital risque. L’activité sera nécessairement plus concentrée, plus encadrée mais aussi sans doute plus distribuée sur le territoire en raison de l’éclosion de nouveaux pôles ("clusters").
Le capital risque correspond à une activité influencée par les marchés financiers. Fin 2008, alors que les marchés s’effondraient et que l’appareil financier américain vacillait, certains experts ont prétendu qu’une période de vaches grasses allait débuter sous l’effet d’un report des investissements institutionnels et privés vers le capital risque qui, au regard de la chute des bourses, pouvait soudainement devenir plus attractif. L’hypothèse n’a pas tenu bien longtemps. Le montant du marché du capital risque n’a pas crû parce que les grands investisseurs sont soumis à des règles prudentielles en la matière (entre 5 et 10%) et qu’ils se trouvaient en "sur-allocation" d’investissement de capital risque du fait de l’effondrement des capitalisations boursières. La contraction de l’activité de capital risque s’explique en effet par une baisse de l’offre de capital et par les indices boursiers, comme le NASDAQ qui culmine depuis plusieurs mois autour de 1600-1700 (2500 en mars 2008). A ceci s’ajoute l’anticipation par les capitaux risqueurs d’une conjoncture défavorable qui pénalise les jeunes sociétés et la prise de risque en général.
Autre évidence, le capital risque n’a jamais financé les phases initiales de l’innovation technologique. Ce n’est pas son rôle. Le segment d’intervention se situe au delà de la preuve de concept et dans les phases finales d’incubation où la jeune société dispose d’un marché et d’un concept viable pour être introduite en bourse. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’activité de capital risque se concentre dans les écosystèmes innovants eux-mêmes situés dans des régions économiquement dynamiques où l’on observe un ensemble d’industries de haute technologie et des institutions académiques de haut niveau qui attirent vers elles des volumes considérables de fonds fédéraux [5].
Conclusion. Le capital risque fait partie intégrante du système de financement de l’innovation. S’il est affecté par la crise économique et la baisse des marchés, il n’en est pas moins fondé sur un véritable savoir-faire et une haute valeur ajoutée qui contribue à procurer aux Etats-Unis un avantage concurrentiel important. Le recul actuel de l’activité n’est sans doute pas synonyme de déclin. Personne n’y a intérêt, en particulier l’ensemble des acteurs de la chaîne de l’innovation aux Etats-Unis.
[2] National Institute of Standards and Technology
[3] "Between Invention and Innovation: An Analysis of Funding for Early-Stage Technology Development", 2002.
[4] "Small Business Innovation Research".
[5] Voir à ce sujet "Le pôle des sciences de la vie du grand Boston : organisation et stratégie"
Source :
– "Have We Oversold the Role of Venture Capital?", Jonathan Ortmans, Entrepreneurship.org, Mai 2009
https://entrepreneurship.org/Resources/Detail/Default.aspx?id=20008
– "An Assessment of the SBIR Program", National Research Council, 2008.
– "Between Invention and Innovation: An Analysis of Funding for Early-Stage Technology Development", 2002
Pour en savoir plus, contacts :
[1] Voir à ce sujet la note de synthèse "L’action fédérale en matière d’innovation aux Etats-Unis : réalités et tendances" – https://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm09_032.htm – Ambassade de France aux Etats-Unis – 31/03/2009 – pdf 15 pages
Code brève
ADIT : 59209
Rédacteur :
Antoine Mynard, attaché pour la science et la technologie, [email protected]