L’industrie du capital-risque, souvent présentée comme le moteur de l’innovation américaine, semble aujourd’hui être à la recherche d’un nouveau souffle. Ce thème est couvert régulièrement par nos travaux [1]. Cette semaine, nous croyons utile de relater l’avis d’un expert influent de l’entrepreneuriat américain, Carl Schramm, président de la fondation Ewing Marion Kauffman.
Dans cet article [2] co-écrit avec son collègue Harold Bradley, directeur des investissements de la Fondation, Mr. Schramm dénonce le modèle de rémunération des capitaux-risqueurs. Il le juge obsolète tout en reprochant à ces derniers de davantage viser l’enrichissement et celui de leurs investisseurs, que la croissance d’entreprises viables sur le long terme. L’auteur rappelle l’importance des VC sur l’économie américaine, mentionnant les succès que sont Google, Apple, Microsoft et Cisco. Avant l’explosion de la bulle internet, le capital risque était en effet vu comme la "sauce secrète" de l’économie américaine, les investissements des VC comptant jusqu’à 1,1% du PIB du pays en 2000. Mais l’auteur s’interroge : l’industrie du capital risque ne serait-elle pas en train de perdre de sa superbe ? Son image de carburant de l’innovation américaine ne serait-elle pas dépassée ?
Nous l’avons déjà évoqué, les investissements des VC n’ont cessé de diminuer depuis 2001 puis à nouveau à partir de 2007. De nombreux experts prédisent désormais une stagnation de ces investissements aux alentours de 12 milliards de dollars par an, contre 30 en 2007. D’après Schramm, si l’industrie ne mue pas rapidement, elle ne sera pas en mesure de faire émerger et grandir la nouvelle génération de jeunes pousses de haute technologie.
L’auteur avance l’idée que le modèle actuel de financement du capital risque ne fonctionne plus. Les systèmes mis en place par les managers de fonds de capital risque – et notamment le traditionnel "2 et 20" – n’ont plus de sens dans l’économie actuelle. Dans ce modèle, chaque contributeur du fonds reverse au VC, pour frais de gestion, 2% de la somme qu’il a apportée. Le VC touche également 20% des profits découlant de l’IPO ou de l’acquisition de l’entreprise.
Un peu d’histoire peu ici aider à comprendre le problème. Le capital risque, une idée qui revient au français George Doriot dans les années 1930, se fondait sur un modèle de nature "partenarial" où les fonds levés par les VC provenaient de riches individus ou d’institutions de petite taille qui avaient suffisamment de patience pour espérer le retour de leur investissement sur des périodes allant jusqu’à 10 ans ou plus. Ce schéma est en fait celui des années 70 et 80, alors que les marchés financiers étaient en meilleur forme.
On peut d’ailleurs assimiler ce mode de fonctionnement des VC à celui des investisseurs providentiels actuels ("business angels") même si ces derniers ont désormais un mode d’intervention qui les fait collaborer de plus en plus avec les VC. En effet, les "angels" créent aujourd’hui des fonds de grande taille tout en espérant des retours sur des investissements précoces. Les personnes qui investissaient dans les fonds de VC étant bien rares à l’époque, les VC se souciaient spécialement du retour financier qu’ils allaient leur apporter. Ils portaient donc une attention particulière à la sélection et à l’accompagnement des entreprises dans le but de maximiser leur croissance et leur valeur de sortie.
Dans les années 90, les choses ont évolué; les fonds de pensions privés et publics sont rentrés dans le jeu. Les VC ont vite compris que ces derniers pouvaient apporter bien plus de capital que les investisseurs individuels dans le cadre d’un mode de fonctionnement identique : des frais de gestion annuels dépendant des sommes investies. Les VC ont vu leur intérêt dans la constitution de fonds de grande taille, ce qui a concrètement conduit à une diminution de l’accompagnement des entreprises sur le long terme au profit des activités de levée de fonds.
Par ailleurs, les nouveaux investisseurs institutionnels, désormais sous pression, doivent produire des retours sur investissements rapides. Les VC, qui voulant garder ces derniers dans leurs portefeuilles d’investisseurs, sont amenés à leur procurer des retours aussi rapides que possible, via des sorties prématurées (idéalement une acquisition ou une IPO en moins de cinq ans). D’après Schramm, plutôt que de viser à développer des entreprises fortes et indépendantes, les VC utilisent de jeunes pousses prometteuses comme des "marionnettes", à l’instar de ce que font les banques d’investissement avec les entreprises en difficulté qu’elles rachètent.
Dans l’ensemble, ce modèle ne fonctionne plus très bien. Depuis 1997, la moyenne des rendements liés à des fonds de VC, après déduction des frais de gestion, est négative. L’industrie des VC ne semble donc tourner que pour elle-même. Quelles sont alors les solutions ? L’auteur suggère que les investisseurs insistent auprès des VC pour obtenir frais de gestion fixes, dépendant des coûts réels, et non des sommes d’argent gérées. Selon Schramm, ils devraient également exiger annuellement un pourcentage garanti de leurs investissements, et ne pas attendre que le VC perçoivent leur 20% à la sortie de l’entreprise. Ceci devrait inciter les VC à accompagner leurs meilleures entreprises sur de plus longues périodes. Mais reste à savoir si un tel modèle modèle économique est viable.
Schramm ne le conteste pas : l’industrie du capital-risque, de par sa capacité à soutenir l’innovation, est primordiale pour l’économie américaine et la croissance de demain. La relation entre les investisseurs et les fonds de VC doit donc être à tout prix rééquilibrée, et ce, avec l’objectif d’accompagner les entreprises les plus prometteuses sur le long terme. Doit-on ici voir une main tendue de la fondation Kauffman en direction du Gouvernement fédéral pour qu’il intervienne dans l’industrie du capital-risque ?
Source :
[2] How Venture Capital Lost Its Way, Carl Schramm and Harold Bradley, 19/11/2009, https://www.businessweek.com/magazine/content/09_48/b4157080870431.htm
Pour en savoir plus, contacts :
[1] Le capital risque aux Etats-Unis et le financement de l’innovation : réalités et tendances, 1/08/2009, https://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm09_064.htm
Code brève
ADIT : 61375
Rédacteur :
Yann Le Beux, [email protected]