A quelques heures d’un scrutin qui passionne l’Amérique, le célèbre économiste de Boston, le Prof. Michael Porter, lance dans la dernière édition du Business Week, un appel en direction de l’Administration fédérale pour que le pays se dote enfin d’une véritable stratégie économique. Une stratégie organisée, cohérente et surtout capable d’affronter les cycles économiques dans de meilleures conditions tout en produisant de la croissance durable.
L’auteur de "Competitive Advantage", également instigateur de la théorie des clusters économiques qui a conduit le Massachusetts à définir une stratégie dans le domaine des sciences de la vie, n’est pas pour autant un pessimiste. Selon lui, l’un des atouts majeur des Etats-Unis, c’est sa capacité d’innovation et son attractivité en matière économique, technologique et universitaire. Ainsi, le crédit accessible et la prise de risque font partie du modèle économique américain qui finance avec grand succès son système national d’innovation, le "meilleur au monde en raison de sa forte capacité à traduire en innovations ce qui sort des laboratoires". Le Prof. Michael Porter répond sans doute en cela à tous ceux qui prônent davantage d’encadrement pour faire face à la crise actuelle. Le crédit, c’est aussi la source du financement de l’innovation : à vouloir limiter le premier, on expose le pays à réduire la seconde…
Le fait que le financement de l’innovation soit précisément mis en danger par la crise mérite donc un suivi particulier de la situation. Et cette dernière n’est pas bonne. Selon un récent sondage conduit par la Technology Industry Association de l’Etat du Washington, les capitaux risqueurs se disent majoritairement très préoccupés par la conjoncture (76%) qui va avoir un impact important sur leurs revenus. Ces derniers étant calés sur la valorisation de leurs portefeuilles, 88% des capitaux risqueurs interrogés s’attendent à des baisses significatives de revenus conjuguées à une stabilisation du nombre de recrutements dans leur domaine. Un autre indicateur, celui les mises sur le marché, parle davantage : aucun capital risqueur ne prévoit une quelconque mise sur le marché (IPO) avant la fin de l’année.
Plus proche du terrain est la rencontre qui a eu lieu à la Haas School of Business (Université de Berkeley) la semaine dernière. Derrière le titre ("l’actuelle effervescence économique et le rôle de l’entrepreneur : quel impact sur les nouvelles voies de financement et sur la survie des financements ?"), un brin trop sérieux, eu égard à la liberté de ton des intervenants, il s’agissait de faire passer un message au ton presque biblique et sentencieux en direction d’une assistance composée de 200 candidats entrepreneurs : "A tous ceux qui se lancent, abandonnez tout espoir" (Abandon hope all ye who enter here, citation Dantesque tirée de la Divine Comédie). Les intervenants, capitaux risqueurs (Alta Partners, Sequoia, etc.) ou experts de l’innovation (Lester Center for Entrepreneurship and Innovation), n’y sont pas allés de main morte : le modèle économique du VC traditionnel est cassé et il faut s’attendre à une réduction du "troupeau". Dit autrement, les temps vont être très durs, les VC n’ont plus les moyens et il va leur falloir, pour survivre, qu’ils développent des modèles de fonctionnement différenciés, moins moutonniers que ceux que nous connaissons.
Ce pessimisme n’empêche pas certains d’entres eux de rester actifs voire débordants d’activité, sans attendre l’hiver, qui s’annonce pourtant passablement rigoureux pour les affaires. Cette fébrilité se déploie non pas dans la détection de nouveaux dossiers mais dans les sociétés détenues en portefeuille. Il s’agit pour les VC d’accompagner ces sociétés dans leur développement ou de préserver ce qu’il reste de liquidités afin de les rendre présentables à un futur repreneur, en général une grande entreprise. Et la période n’est pas si mauvaise car les acquisitions se font à bon compte. Chez le VC Novak Biddle, chaque consultant est désormais chargé de simultanément s’occuper de 10 entreprises, deux fois plus qu’à l’ordinaire. Même orientation chez Sequoia qui presse toutes les sociétés de son portefeuille à accélérer les plans d’affaires pour produire du chiffre d’affaires.
Derrière la réflexion et les discussions d’experts, le système, formidablement plastique, est certes en fonctionnement ralenti mais aussi en recomposition. Comme lors de la crise de l’Internet en 2000, est en train d’émerger un nouveau modèle dont on discerne encore mal les contours, les acteurs et les ressorts. Comme toute mutation ou transformation, c’est le changement d’état qui est douloureux. Attendons la suite, il ne s’agit bien que d’un épisode !
Source :
– "A real-world lesson in venture financing", Andrew S Ross, SFGate, 27/10/08 – https://www.sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?f=/c/a/2008/10/26/BUKR13NMH9.DTL&feed=rss.business
– "Small venture company bucks the economic winds", Deborah Gage, SFGate, 27/10/08 – https://www.sfgate.com/cgi-bin/article.cgi?f=/c/a/2008/10/26/BUMS13LJLG.DTL&feed=rss.business
– "Crisis Mode: Less Ventured", Kim Hart, 27/10/08, Washington Post – https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/10/26/AR2008102601650.html?nav=rss_technology
– "Why America needs an economics strategy", Michael Porter, Business Week, 10/11/08
Pour en savoir plus, contacts :
"Washington Venture Capitalists Brace for the Worst Between Now and Year’s End", Gregory T. Huang, Xconomy, 28/10/08 – https://www.xconomy.com/seattle/2008/10/28/washington-venture-capitalists-brace-for-the-worst-between-now-and-years-end/
Code brève
ADIT : 56604
Rédacteur :
Antoine Mynard, [email protected]