La structure moléculaire du ciment enfin décodée

Une fois n’est pas coutume, nous ouvrons cette semaine la rubrique "innovation" du BE Etats-Unis à une contribution du Dr Roland Pellenq, directeur de recherche au CNRS, qui effectue un séjour scientifique de haut niveau au sein du département d’environnement et de génie civil de la faculté des sciences de l’ingénieur du MIT. Inter-, pluri- ou transdiciplinarité oblige, Roland Pellenq, physicien fondamental, développe des travaux et des enseignements visant à alimenter les enseignants-chercheurs en ingénierie avec des concepts et des principes appartenant à sa discipline. Roland Pellenq nous parle ici de "Pierre liquide", un projet conjoint MIT-CNRS sur la structure moléculaire du ciment qui produit ses premiers résultats. Au nom de la MS&T, je le remercie vivement pour son remarquable concours au BE Etats-Unis.

– A. Mynard, attaché pour la science et la technologie, Boston (9 sept. 2009)

La solidité vient du désordre, pas d’un arrangement géométrique

Une forme naturelle de ciment a été utilisée sous l’Empire Romain dans la construction d’un vaste système d’aqueducs ou d’autres grands édifices antiques de nombreux pays du pourtour méditerranéen.

De façon surprenante, la structure cristalline tridimensionnelle du l’hydrate de ciment – la pâte qui se forme lorsqu’on mélange le ciment en poudre avec de l’eau et qui va rapidement durcir – a résisté à toute tentative de décodage scientifique, et ce, bien que le ciment soit le matériau le plus fabriqué sur Terre et qu’il représente un marché de plusieurs milliards de dollars tout en étant lié à des enjeux environnementaux considérables. La fabrication du ciment est en effet à elle seule responsable de 5% de toutes les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle mondiale. Les nouveaux standards d’émission de gaz à effet de serre proposés par les Agences de Protection de l’Environnement Américaine et Européenne pourraient pousser l’industrie cimentière vers une délocalisation dans les pays en voie de développement.

Alors que "le ciment est tellement utilisé comme matériau de construction que son remplacement ne saurait intervenir prochainement"[1], on annonce (enfin !) le décodage de la structure tridimensionnelle de l’unité de base de l’hydrate de ciment par les chercheurs du CNRS et du MIT impliqués dans le projet "Pierre Liquide".

"Notre modèle est le premier modèle réaliste de la structure de l’hydrate de ciment et maintenant la communauté scientifique peut travailler avec lui" dit Yip, qui travaille au Département Ingénierie et Science Nucléaire (NSE) du MIT. "Dans tous les domaines, il y a des avancées qui permettent à la communauté des chercheurs de progresser. Un exemple est la découverte de la fission nucléaire. Un autre exemple est celui de Watson et Crick qui ont découvert la structure de base de l’ADN dont le modèle moléculaire a posé les bases de la biologie moléculaire.

Les scientifiques ont longtemps pensé, qu’au niveau atomique, l’hydrate de ciment ressemblait à un minéral relativement rare, la Tobermorite, dont la géométrie ordonnée se compose de couches de chaines de silice infiniment longues intercalées par des couches d’oxyde de calcium.

L’équipe CNRS-MIT a découvert que l’hydrate cimentaire n’est pas vraiment un cristal mais plutôt un hybride, dont les caractéristiques tiennent autant des structures cristallines que de celles des amorphes comme le verre. Et c’est dans ces endroits désordonnés – où les cassures entre tétraèdres de silice créent de petits vides dans les couches correspondantes d’oxyde de calcium – que s’attachent (s’adsorbent) les molécules d’eau, Ces "défauts", dans une structure qui serait sans cela géométrique, donne au matériau de construction une certaine souplesse au niveau atomique qui est conservée à l’échelle macroscopique. Soumis à des tensions, l’hydrate de ciment s’étire un peu mais ne casse pas.

"On savait depuis plusieurs années que l’hydrate de ciment, à l’échelle atomique, se trouvait sous la forme d’un empilement compact, ressemblant aux pyramides d’oranges sur l’étal de l’épicier. Désormais, nous sommes à même de regarder à l’intérieur des oranges. J’appelle cela l’ADN du ciment", indique le Professeur du MIT Franz-Josef Ulm du département d’environnement et de génie civil (CEE) du MIT, également co-auteur de la publication. "Là où l’eau affaiblit un matériau comme la Tobermorite, elle renforce l’hydrate de ciment. Le désordre, ou la complexité de sa chimie, crée une structure hétérogène robuste. Dès lors que nous avons validé un modèle moléculaire, nous pouvons maintenant manipuler la structure chimique afin de fabriquer du ciment en fonction des qualités que l’on veut obtenir comme la résistance à des pressions ou des températures élevées," dit Ulm.

Roland Pellenq a mis le doigt sur structure de l’hydrate de ciment en utilisant la simulation numérique à échelle atomique grâce au cluster de calcul du CINaM (260 processeurs) et en utilisant une méthode statistique appelée simulation de Monte-Carlo dans l’Ensemble Grand Canonique. Comme son nom l’indique, cette simulation nécessite l’utilisation des probabilités afin d’obtenir un résultat. Roland Pellenq a d’abord retiré toutes les molécules d’eau de la structure de base de la Tobermorite, observé son effondrement, puis a remis une molécule d’eau, puis deux, puis trois etc…, les retirant chaque fois pour permettre à la structure de retrouver la forme qu’elle adopterait naturellement. A la 104ème molécule d’eau, le poids moléculaire correct de l’hydrate de ciment ayant été atteint, le chercheur a su qu’il tenait un modèle réaliste de la structure géométrique de l’unité de base de l’hydrate de ciment (voir illustration ci-dessous).


L’équipe CNRS-MIT a alors utilisé ce modèle atomique pour effectuer différents tests pour évaluer son degré de validité. "Ceci nous donne un point de départ pour mener des expériences numériques afin d’améliorer les propriétés mécaniques ou la durabilité du ciment. Par exemple, nous pouvons maintenant commencer à remplacer, dans notre modèle, le silicium par d’autres élément comme l’aluminium, le fer, etc…", confirme Roland Pellenq.

Les autres membres de l’équipe sont Rouzbeh Shahsavari (doctorant), le Professeur Markus Buehler du département CEE-MIT, le Professeur Krystyn Van Vliet du département Sciences des Matériaux et Ingénierie du MIT, et le Dr. Akihiro Kushima post-doctorant au département NSE. Cette recherche a été financée par le fabriquant de ciment portugais Cimpor Corp. à travers le programme de coopération MIT- Portugal.

Pour en savoir plus, contacts :

[1] Déclaration du professeur Sidney Yip (MIT), co-auteur d’une publication parue dans les Comptes Rendus de l’Académie Nationale des Sciences (PNAS) des Etats Unis le 7 septembre dernier (Pellenq et al, PNAS, 2009)
Code brève
ADIT : 60443

Rédacteur :

Roland Pellenq, [email protected]

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