Le soutien fédéral au développement de pôles d’innovation constitue la seconde partie de notre série de brèves consacrées à la géographie de l’innovation américaine [1]. Nos sources sont celles du cercle de réflexion "Science Progress" qui a examiné et analysé le modeste plan de 100 millions de dollars annoncé par le Président Obama pour soutenir la constitution de clusters sur l’ensemble du territoire américain.
Intitulé "The Geography of Innovation", le rapport met en évidence, dans sa seconde partie, le manque de soutien fédéral au développement de clusters. Les auteurs fondent leur avis sur le contraste existant avec les différentes initiatives lancées par les gouvernements étrangers. Les auteurs parlent même d’une certaine "ironie" pour traduire le paradoxe suivant : la grande majorité de la réflexion académique sur la constitution de pôles d’innovation provient des Etats-Unis et ce sont les gouvernements et décideurs étrangers qui semblent le mieux avoir compris la nécessité de créer une politique nationale allant dans ce sens. L’exemple de la France est donné.
Les auteurs insistent donc sur la nécessité pour les Etats-Unis de mettre en place des politiques de soutien aux pôles dépendant des Etats et soutenues par le Gouvernement fédéral. En précisant que la reconnaissance et l’émergence des pôles doit se faire au niveau régional, le rapport insiste sur le fait que les autorités fédérales ont un rôle essentiel à jouer : elles doivent lister les défis et les besoins nationaux auxquels les pôles doivent répondre, faciliter les échanges d’informations et d’expertises entres les régions tout en aidant financièrement les initiatives que les pôles ne peuvent prendre à leur charge, faute de gouvernance centrale.
En débloquant 100 millions de dollars pour le soutien aux clusters et aux incubateurs d’entreprises associés, le Président Obama a annoncé que cette somme sera attribuée en 2010 par l’intermédiaire du bureau chargé du développement économique au sein du Ministère du Commerce, l’EDA (DoC/Economic Development Administration). Cette initiative, si elle est votée par le Congrès, constituerait la première forme de soutien directement allouée par le fédéral pour la constitution de pôles régionaux.
Le gouvernement finance déjà des programmes de soutien à l’innovation, qui participent d’une certaine manière au renforcement des clusters. Ces programmes financent par exemple la commercialisation de produits et services innovants (SBIR et SBTT), l’emploi ou le développement économique dans les régions (crédits d’impôts, etc.). Il y a également des programmes similaires mis en place par le NIST (National Institute of Standards and Technology) et par la NSF (National Science Foundation). Mais ces différents programmes sont, selon "Science Progress", mal coordonnés, mal orientés, et n’ont, de ce fait, pas l’impact qu’ils devraient avoir sur l’innovation.
Afin de davantage mettre la pression sur le Congrès, le rapport de "Science Progress" rappelle également que cette somme de 100 millions de dollars est marginale au regard des dépenses annuelles de R&D du gouvernement américain (150 milliards de dollars – défense incluse), mais qu’elle peut avoir un effet de levier considérable, à condition d’être correctement utilisée.
L’EDA devra donc ajuster le soutien apporté aux clusters en fonction de leurs forces et faiblesses. La notion de "calendrier de développement" est également importante : chaque pôle est à un stade de développement qui lui est propre, les besoins ne sont donc pas partout les mêmes. Les auteurs font ainsi valoir le risque d’opter pour une approche globale qui consisterait à dupliquer des schémas de soutien identiques selon les régions. La recommandation est donc que l’EDA travaille main dans la main avec les acteurs régionaux afin de comprendre les écosystèmes locaux et de personaliser au maximum le soutien apporté.
Le rapport précise bien que le leadership des initiatives qui seront mises en place devra rester au niveau régional. Le rôle du fédéral serait donc ici (et c’est souvent le cas pour le soutien à l’innovation aux Etats-Unis) celui d’un financeur et facilitateur de collaborations entre les acteurs locaux, pas celui d’un décideur.
En bref, les auteurs du rapport souhaitent que ces 100 millions de dollars soient majoritairement attribués à des actions de mise en relation des différentes parties prenantes au niveau de chaque région, afin que ces dernières puissent en commun élaborer des stratégies de développement pour les clusters. Cet appui fédéral doit également permettre de coordonner les différents programmes déjà existants au niveau régional. Une porte d’entrée doit être créée dans chaque cluster afin de présenter les différentes aides publiques disponibles localement. Concrètement, le rapport propose quatre mesures :
– un système national de bourses pour encourager les partenariats entre des acteurs locaux.
– administrer ces aides de façon à répondre d’une part au besoin des clusters, mais également aux défis industriels nationaux : santé, énergie, économie numérique, etc.
– soutenir le développement d’établissements universitaires et de grandes entreprises et l’emploi dans les régions les moins développées.
– financer la création d’infrastructures communes au pôle : incubateurs, centres de recherche, centres de formation de personnel, etc.
Pour les auteurs, ces décisions sont de nature consensuelle dans le paysage politique américain : les précédentes initiatives de soutien à l’innovation et à la création d’entreprise au niveau régional ont en effet toujours été soutenues aussi bien par les démocrates que par les républicains. On remarque en effet une sorte de consensus apolitique aux Etats-Unis sur cette nécessité de supporter les écosystèmes d’innovation. Le rapport espère par là montrer aux membres du congrès que ce budget de 100 millions de dollars ne risque pas d’être dilapidé en raison de discordances politiques.
Le rapport du groupe de réflexion "Science Progress" est passablement opportun ; il vient rappeler aux parlementaires les ingrédients essentiels à la constitution de pôles d’innovation régionaux tout en suggérant des pistes concrètes pour la mise en oeuvre d’un soutien fédéral, sans toutefois que le Gouvernement fédéral apparaisse comme le grand maître de cette initiative.
Source :
The Geography of Innovation, The Federal Government and the Growth of Regional Innovation Clusters, Science Progress, September 2009, https://www.scienceprogress.org/2009/09/the-geography-of-innovation/
Pour en savoir plus, contacts :
[1] Consultez également la première partie de cet article : "Géographie de l’innovation américaine (1ère partie) : quels ingrédients pour constituer un pôle (cluster) ?" : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/61133.htm
Code brève
ADIT : 61218
Rédacteur :
Yann Le Beux, [email protected]