Le thème des pôles de compétitivité américains, mieux connus ici sous le nom de "clusters", occupe actuellement une grande place dans le travail des groupes de réflexion mais aussi des décideurs publics, au niveau des états comme au niveau fédéral. La semaine dernière, nous ouvrions nos colonnes à Richard Bendis, auteur du rapport "Creating a National Innovation Framework" [1]. Récemment, nous avons également analysé le pôle de Boston en sciences de la vie [2]. L’intérêt de ces exercices réside dans le fait que la notion de "pôle" est originaire des Etats-Unis mais qu’elle trouve des applications de nature très différente selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Et au sein même d’un pays comme les Etats-Unis, les "clusters" qui fonctionnent n’ont pas beaucoup de points communs entre eux, notamment en raison du fait qu’il n’y a pas de lignes directrices de la part du gouvernement fédéral dans ce domaine et que l’innovation américaine est avant tout le fait d’écosystèmes locaux ou régionaux.
Mais nous avons voulu aller plus loin pour comprendre cette situation. Dans une série de deux "brèves", nous allons tenter de synthétiser les toutes dernières réflexions américaines sur le développement des pôles de compétitivité. Notre analyse est principalement tirée du récent rapport "the Geography of Innovation" du groupe de réflexion "Science Progress" et des travaux antérieurs réalisés par la MS&T.
Deux volets. Le premier a trait aux ingrédients essentiels à la croissance de tout "cluster". Le second, plus analytique, présente l’état actuel du soutien fédéral et des états pour la mise en place d’une politique nationale de soutien à la formation et au développement de clusters.
La naissance et la croissance d’entreprises issues de la recherche universitaire
Aux Etats-Unis, l’existence d’un cluster est en général associée à la création de start-ups issues de la recherche scientifique universitaire ou de laboratoires de recherche. Pour permettre cette création de richesse, les établissements d’enseignement supérieur d’une région donnée doivent avant tout disposer de solides opérations de transferts de technologie. Les meilleurs centres de transferts du pays ont d’ailleurs compris que l’intérêt de leur activité n’était pas majoritairement monétaire ; les revenus générés par les contrats de licences sont en effet marginaux si on les compare aux budgets de recherche. Mais le transfert de technologies a surtout pour fonction d’influer sur la création d’entreprises à forte croissance grâce aux technologies de l’université [3]. Une autre condition nécessaire au développement d’un écosystème autour des universités est la présence de centres d’entrepreneuriat et de structures d’accompagnement afin de favoriser l’émergence et la survie de projets de création d’entreprises. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi que les jeunes pousses nouvellement créées aient un accès privilégié au capital, sous toutes ses formes : capital-risque, investisseurs providentiels (business angels), banques d’investissement. Les taxes régionales pour la constitution de fonds d’investissement jouent ici un rôle clé. La disponibilité de fonds d’amorçage (seed capital) est également une condition au développement d’un écosystème, et c’est souvent ce qui fait défaut sur l’ensemble du territoire américain. Finalement, le système ne peut fonctionner et se développer que grâce à la double présence d’une main d’oeuvre hautement qualifiée et d’entrepreneurs expérimentés pour encadrer les nouveaux projets.
Dans la conception américaine du "cluster", les établissements d’enseignement supérieur jouent finalement un rôle crucial sur ces deux derniers points, puisqu’ils forment les "cerveaux" nécessaires et structurent autour d’eux les réseaux d’anciens, les "alumnis". Ces derniers constituent l’un des points forts de la culture entrepreneuriale et du développement des clusters américains.
Mais ce n’est pas tout. Ces conditions réunies ne conduisent pas forcément à l’émergence de "pôles" qui sont en fait des systèmes. Et pour faire fonctionner un système, il convient de l’alimenter et de lui procurer une cohésion autour d’objectifs partagés où l’intérêt particulier des composantes du cluster concourt à développer l’intérêt général. C’est l’idée des travaux de Michael Porter, repris en partie par les auteurs du rapport. Ces derniers associent trois composantes immatérielles à tout "cluster" :
– L’existence de réseaux nombreux, denses et variés reliant les différents acteurs des pôles. C’est ici l’un des atouts majeurs des clusters américains : événements, rencontres sont organisées par différents groupes et associations, privés et publics. La mairie de Boston a par exemple créé et financé plusieurs organisations de ce type [4] ;
– Le temps et la patience. Les différents décideurs régionaux et nationaux doivent comprendre qu’il faut plusieurs années et parfois plusieurs décennies avant de pouvoir percevoir les résultats d’une politique de développement de cluster. Ceci rentre parfois en conflit avec les priorités des décideurs politiques, qui cherchent à mettre en place des initiatives dont ils pourront retirer un bénéfice politique avant la fin de leurs mandats ;
– La gouvernance : le principe d’un cluster reposant sur le partage des connaissances et des capacités, le pôle doit avoir en son sein des meneurs naturels qui sauront apporter une vision et une stratégie à long terme et mettre en accord les différents acteurs.
Les clusters américains, à la différence des pôles français, n’ont pas de réelle gouvernance. Dans certains cas, ce sont les universités qui s’affirment comme les leaders naturels des ces pôles. On pense naturellement au MIT, à Harvard, à Stanford et à Berkeley. Dans d’autres cas, certains opérateurs du pôle ayant une même vision à long terme s’unissent en associations et mettent en place des programmes favorisant la collaboration entre les différentes parties prenantes du cluster naissant. C’est le cas du programme CONNECT mis en place à San Diego. Créé à la fin des années 80 par quatre personnes de l’Université de Californie, de l’agence de développement économique de la région, de l’entreprise Qualcomm et d’un fonds de capital risque, ce programme créé de toutes pièces sans support fédéral a financé de nombreuses collaborations et a soutenu la création et le développement de plus de 1 200 entreprises. San Diego est aujourd’hui l’un des premiers pôles de biotechnologies du pays.
Selon les auteurs du rapport, il manque au Gouvernement fédéral une véritable politique d’innovation capable de soutenir les points forts des régions, favoriser le partage des connaissances et des capacités, encourager la création de réseaux de rencontres et stimuler les établissements de recherche.
On le voit, la réflexion sur la constitution de clusters progresse. La nouveauté est sans doute liée au fait que, pour la première fois, une demande grandissante d’implication du Gouvernement fédéral émane du terrain et des écosystèmes locaux. Message entendu, au moins en partie : l’Administration Obama vient de débloquer 100 millions de dollars pour cet objectif !
[A suivre…]
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[3] Le TLO (Technology Licensing Office) du MIT, l’un des plus performant du pays, ne génère "que" 40 millions de dollars par an (environ 6% du budget de R&D de l’université). En comparaison, l’ensemble des entreprises crées par les anciens élèves du MIT génèrent annuellement 2 trillions de dollars (
source :
Entrepreneurial Impact: The Role of MIT).
[4] Par exemple, Boston World Partnerships, Boston Young Entrepreneurs.
Source :
"The Geography of Innovation, The Federal Government and the Growth of Regional Innovation Clusters", Science Progress, September 2009 – https://www.scienceprogress.org/2009/09/the-geography-of-innovation/
Pour en savoir plus, contacts :
– [1] "Nouveau modèle de gouvernance de l’innovation" – BE Etats-Unis 182 – https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/61014.htm
– [2] "Le pôle des sciences de la vie du grand Boston : organisation et stratégie" – https://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm09_063.htm
Code brève
ADIT : 61133
Rédacteur :
Yann Le Beux, [email protected]