Photographie : Commission Européenne © INRAE C. Maître
Les stratégies européennes « De la ferme à l’assiette » (1) et « Biodiversité 2030 » (2) font partie intégrante du Pacte vert (Green Deal) (3) qui vise en particulier la neutralité carbone de l’Europe pour 2050. Elles s’inscrivent aussi dans les Objectifs du développement durable adoptés par les Nations-Unies en 2015 (4). Le service économique du ministère américain en charge de l’agriculture (USDA-ERS) a réalisé une étude pour évaluer les impacts de ces politiques sur la production agricole et sur les prix alimentaires mondiaux et par conséquent sur la sécurité alimentaire mondiale (5).
Les conclusions de l’étude de l’USDA : une vision pessimiste
Le rapport de l’USDA (disponible ici) examine trois scénarios d’adoption des stratégies européennes :
- Adoption par l’Union européenne (UE) uniquement
- Adoption par certains pays, et restrictions commerciales explicites de l’UE contre les pays non-adoptants
- Adoption mondiale
Dans les trois cas, les impacts sur la sécurité alimentaire mondiale seraient négatifs, du fait d’une diminution de la production agricole et de l’augmentation concomitante des prix mondiaux. La diminution de la production est liée aux objectifs affichés par la Commission européenne (CE), à savoir : la réduction de 20 % de l’utilisation des engrais azotés, de 50 % des pesticides et des antibiotiques, et la réduction de 10% des surfaces cultivées. La diminution de la production agricole dans l’UE est chiffrée par l’USDA à 12 % (adoption UE) et 7 % (adoption mondiale). Le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire en 2030 augmenterait de 22 millions (adoption UE), jusqu’à 185 millions (adoption mondiale).
Analyse d’INRAE : l’étude de l’USDA est partielle
Un groupe d’experts INRAE a analysé cette étude dans une note disponible ici et montre qu’elle ne prend pas en compte tous les volets de la stratégie européenne. Elle utilise en effet un modèle américain (6) centré sur la production et sur les marchés, toutes choses égales par ailleurs, qui ne tient pas compte d’autres paramètres, tels que la modification des pratiques agricoles et de la demande alimentaire.
Aucun progrès technique n’est intégré dans les scénarios simulés par l’USDA. On peut espérer du progrès génétique une plus grande résistance des végétaux cultivés et des animaux élevés aux stress biotiques et abiotiques à l’horizon 2030.
- Sur la diminution de la production
L’étude de l’USDA calcule, pour chaque produit agricole, la diminution de production qui découlerait des objectifs de la CE. Mais ce calcul est réalisé en considérant que les systèmes agricoles resteraient tels qu’ils sont actuellement. Or, la stratégie européenne inclut une modification profonde de ces systèmes, vers plus d’efficience dans l’utilisation des intrants, vers des pratiques agroécologiques moins dépendantes des intrants, et vers l’amélioration génétique des espèces végétales et animales. Tous ces leviers devraient permettre d’atténuer la baisse de la production agricole liée à la diminution des intrants de synthèse et des surfaces cultivées.
- Sur l’augmentation des prix mondiaux
Lorsque la demande est constante ou s’accroit, une diminution de la production entraîne automatiquement une augmentation des prix. Or, dans une approche cohérente du système agroalimentaire, la stratégie européenne incite à une diminution de la demande, par une baisse du contenu calorique et de la part des produits animaux dans les régimes occidentaux. Le rapport de l’USDA ne tient pas compte de ces évolutions du régime alimentaire ni de la diminution des gaspillages alimentaires prônée par la CE.
- Non-prise en compte des coûts environnementaux et sanitaires des pratiques actuelles
Enfin, le rapport de l’USDA ne tient pas compte des coûts environnementaux et sanitaires des pratiques agricoles actuelles (azote, pesticides), qui sont importants et de mieux en mieux évalués.
Nécessité d’une évaluation plus globale des stratégies européennes
Guy Richard, un des experts INRAE ayant conduit l’étude, en livre les conclusions :
« L’étude de l’USDA ne prend en compte qu’une partie de la stratégie européenne, ce qui conduit à en surévaluer les impacts négatifs. Or, celle-ci propose une approche intégrée et cohérente du système agroalimentaire, dans laquelle les réductions d’intrants et de terres cultivées s’accompagnent d’un profond changement des pratiques agricoles et des régimes alimentaires.
De plus, la non prise en compte des effets non marchands de l’usage des intrants de synthèse empêche une évaluation globale de l’ensemble des stratégies.
Enfin, l’USDA envisage deux scénarios dans lesquels les objectifs de la CE s’imposeraient à des pays tiers, quel que soit leur niveau de développement, ce qui n’est pas envisageable, en Afrique notamment. Il serait donc intéressant de compléter cette étude américaine par un nouveau paramétrage et par un élargissement des critères d’évaluation afin de conduire une analyse complète des conséquences du Pacte vert européen sur la satisfaction des besoins des Européens et des humains en général ».
- Stratégie « De la ferme à l’assiette » (Farm to Fork).
- Stratégie « Biodiversité 2030 ».
- Pacte vert européen (Green Deal).
- ODD de l’ONU.
- USDA-ERS : United State Department of Agriculture – Economic Research Service. Le rapport est ici.
- Modèle GTAP-AEZ (Global Trade Analysis Project – AgroEcological Zone) : modèle d’équilibre général de l’économie mondiale développé par l’université de Purdue.
Article issu du site officiel d’INRAE : https://www.inrae.fr/actualites/levaluation-lusda-strategies-europeennes-associees-au-pacte-vert-donne-vision-pessimiste-liee-approche-reductrice
Rédactrice : Juliette Paemelaere, Chargée de Coopération Scientifique INRAE, juliette.paemelaere at inrae.fr