L’équipe, composée de chercheurs de neuf institutions internationales (incluant les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Chine), financée par de nombreuses institutions [1], et dirigée par le Dr Akihiro Nishi, professeur adjoint d’épidémiologie à l’UCLA (University of California Los Angeles), a proposé deux concepts que Nishi décrit comme le rationnement du temps et le rationnement de capacité.
« Bien que des politiques de verrouillage et de confinement à domicile se soient avérées efficaces pour réduire le nombre de cas et de décès dus au COVID-19, les gouvernements de nombreux pays sont confrontés à d’importantes pressions politiques, économiques et sociales pour rouvrir leurs économies », a déclaré Nishi ; « notre recherche fournit une base pour des politiques concrètes qui, si elles étaient strictement gérées et maintenues, pourraient atteindre cet objectif tout en assurant la sécurité des personnes ».
Les résultats de cette étude sont publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA du 11 novembre 2020.
L’équipe a utilisé des simulations du nombre de personnes qui seraient susceptibles d’être exposées au virus, exposées, infectieuses ou rétablies – ce que les chercheurs appellent un modèle SEIR (susceptible−exposed−infectious−recovered) – pour déterminer les effets probables de diverses stratégies. Deux principales ont été considérées :
Une première stratégie – de division, ou rationnement du temps – a consisté à considérer des groupes de personnes ayant l’intention de faire une activité donnée (des étudiants fréquentant une école, des clients entrant dans un magasin, des employés allant dans un bureau…). Pour chacun de ces groupes, deux sous-groupes ont été constitués, l’un par exemple ne pouvant aller dans une épicerie que le matin, l’autre l’après-midi uniquement.
Dans une deuxième stratégie – de répartition, ou rationnement de capacité –, un certain nombre d’individus s’approchant d’une destination sont redirigés vers un emplacement différent présentant la même fonctionnalité pour égaliser le nombre de personnes à chaque emplacement ; le nombre d’individus dans différents groupes est équilibré au sein du même secteur, ce qui signifie, par exemple, que chaque épicerie recevra le même nombre de clients.
Les chercheurs ont testé ces deux stratégies en concevant un modèle informatique de leur impact dans une version « virtuelle » de la vraie ville de Sierra Madre, en Californie, dans la banlieue de Pasadena, à 21 km du centre-ville de Los Angeles. Bien que la Sierra Madre soit une communauté en grande partie résidentielle, elle compte un large éventail d’institutions où les gens se rassemblent : 1812 entreprises, huit épiceries, 21 établissements d’enseignement, 30 cliniques médicales et dentaires et 22 restaurants et cafés, selon le US Census Bureau.
« Les résultats de la simulation montrent que la stratégie de division des groupes réduit considérablement la transmission », a déclaré le co-auteur de l’étude, le Dr Akira Endo de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, « et la mise en œuvre conjointe des deux stratégies – division et répartition – pourrait effectivement maîtriser la propagation de la transmission ».
Les chercheurs ont souligné que les deux stratégies nécessiteraient une gestion active, impliquant des ressources publiques, ainsi que des espaces supplémentaires dans les écoles et autres installations publiques ; elles induiraient également des réductions de leurs heures d’ouverture et de la capacité clients des entreprises. Les chercheurs reconnaissent également que les conditions du monde réel peuvent parfois être éloignées des conditions utilisées dans la modélisation informatique.
« L’acceptation de ces approches par le public est l’une des considérations essentielles pour la mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces stratégies d’intervention », a déclaré Nishi, « et les gens dans le monde réel peuvent ne pas être toujours cohérents ou rationnels ». Cependant, Nishi a déclaré que les communautés et les sociétés avaient démontré leur capacité à changer leur comportement en réponse aux crises précédentes, telles que la guerre, les catastrophes naturelles, les famines ou les crises économiques, et « historiquement, les américains et les habitants d’autres pays ont accepté de telles stratégies, qui restreignent les libertés individuelles face à une crise économique ou sociale, pour le bien commun ».
De plus, d’après les auteurs, les stratégies étudiées seraient émotionnellement éprouvantes car elles obligent les individus à modifier radicalement leur routine quotidienne. Cependant, l’acceptabilité pour ces stratégies de division ou de répartition pourrait être supérieure à celle des confinements stricts, car elles n’interdisent pas complètement de visiter des types spécifiques d’entreprises ou d’utiliser certains services, au contraire du confinement.
Malgré les difficultés de mise en œuvre soulignées par les chercheurs eux-mêmes, ces travaux peuvent donner des pistes de réflexion aux autorités nationales en charge de la réponse à la pandémie afin de contrôler la dissémination du virus tout en évitant un confinement complet de la population et minimiser ainsi les conséquences économiques.
Notes :
[1} Ces travaux de recherche ont été soutenus par une subvention de la UCLA Fielding School of Public Health High-Impact Data Initiative, et par la Nakajima Foundation, l’Institut Alan Turing, le National Institute on Drug Abuse, le National Institute of Mental Health, le National Institute of Allergy and Infectious Diseases, le National Center for Complementary and Alternative Medicine, et la Science Foundation Ireland.
Rédacteur : Pascal LOUBIERE (AST Los Angeles)