Changement climatique aux Etats-Unis : le Fifth National Climate Assessment précise les impacts dans le pays, à l’ouverture de la COP 28

Alors que la COP28 débutait aux Emirats Arabes Unis début décembre 2023, la US Energy Information Administration (EIA), agence fédérale américaine chargée de la collecte et de l’analyse des données et de l’information liées à l’énergie, publiait un rapport détaillant les émissions de dioxyde de carbone liées à l’énergie aux Etats-Unis pour l’année 2022 [1]. 

L’étude révèle une hausse marginale de 1% des émissions de carbone sur l’année 2022, marquée par le déclin des émissions issues du charbon, et d’un accroissement de la part du gaz naturel, et des énergies renouvelables notamment solaire et éolienne. Cette augmentation des émissions de CO2 est, selon le rapport, attribuée à la demande énergétique croissante aux Etats-Unis, en particulier pour le chauffage et l’air conditionné des bâtiments, en réponse à l’augmentation de la fréquence des épisodes de températures extrêmes que connaît le pays.

Ainsi, la publication de ce rapport la veille de l’ouverture de la COP28 souligne l’urgence de d’une efficacité énergétique accrue et d’une gestion rigoureuse de la demande en énergie pour atteindre les objectifs de réduction des émissions.

Ce rapport offre un contrepoint aux résultats du NCA5, dont la version provisoire a été récemment dévoilée par le gouvernement fédéral, à travers le US Global Change Research Program (USGCRP). Mandaté par le Congrès américain, le USGCRP évalue le changement climatique aux Etats-Unis, en produisant un rapport complet tous les 4 à 5 ans. La version préliminaire du NCA5, publiée le 14 novembre 2023, a été rédigée par le USGCRP et 14 agences fédérales membres du groupe [2].

La publication du rapport fut également l’occasion pour l’administration Biden-Harris d’annoncer des investissements à hauteur de 6 milliards de dollars, dans l’agenda Investing in America, visant à renforcer la résilience climatique à travers le pays [3]. Ces fonds doivent financer principalement le renouvellement du réseau électrique, la lutte contre les risques d’inondations, ou encore les efforts de justice environnementale.

Cette évaluation actualisée du changement climatique au Etats-Unis bénéficie de l’expertise de plusieurs centaines d’auteurs, contributeurs, et relecteurs issus des agences fédérales, et organisations scientifiques américaines, comme les National Academies of Science, Engineering and Medicine (NASEM), dont le rôle de relecteur est central dans l’élaboration du NCA5. Le comité des NASEM en charge de la relecture du NCA5 a par ailleurs souligné la qualité du rapport, notamment au vue l’importante revue de littérature réalisée (la littérature scientifique sur le changement climatique étant particulièrement foisonnante depuis quelques années). Ce comité souligne également l’importance donnée à la notion de justice sociale et environnementale face au changement climatique tout au long du rapport, rappelant ainsi les risques et les vulnérabilités induites par le changement climatique dans le pays.

L’étude accorde une analyse détaillée pour chacun des thèmes environnementaux (tendances climatiques, l’eau, l’énergie, les écosystèmes océaniques, la santé humaines etc.), sociodémographiques (économie, justice sociale, nations premières etc.) ainsi qu’aux grandes régions du pays. Le rapport consacre aussi plusieurs chapitres aux solutions de mitigation et d’adaptation face au changement climatique. Il est également parsemé de différents scénarii climatiques en fonction de l’atteinte des objectifs d’émissions carbone.

Le NCA5 souligne que le changement climatique est déjà une réalité pour les Etats-Unis, et les impacts perturbent les écosystèmes à travers le pays. La cause anthropique du changement climatique est affirmée, en particulier les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant d’énergie fossile, principale cause du réchauffement climatique. 

Le rapport met en avant la réduction globale des émissions carbone du pays, à hauteur de 1% par an en moyenne sur la période 2005-2019. Cependant, cette diminution est estimée comme largement insuffisante pour atteindre les objectifs net-zéro des Etats Unis. Ainsi, la diminution des émissions de gaz à effet de serre doit dépasser les 6% annuels afin d’espérer atteindre une neutralité carbone d’ici 2050. L’étude estime ainsi que des solutions énergétiques efficientes et rentables doivent être développées, se concentrant sur une amélioration du réseau électrique, un développement plus important des énergies renouvelables, et une décarbonation de l’économie. De plus, des solutions d’atténuation doivent être explorées afin d’atteindre le net zéro. Le rapport estime ainsi qu’en plus d’une réduction des émissions de GES, des investissements doivent être réalisés pour l’élimination du dioxyde du carbone atmosphérique restant, notamment celui dû aux secteurs dont la décarbonatation est difficile. Cet objectif de coupler la réduction des émissions de GES avec des méthodes de retrait du CO2 déjà présent dans l’atmosphère n’est pas récent, et avait déjà fait l’objet d’un précédent article [4].

Autre aspect notable du rapport, celui-ci se concentre en grande partie sur les impacts du changement climatique à travers le pays, en évaluant notamment ceux-ci par le prisme du coût économique. Ainsi, l’analyse faite indique que si dans les années 80, les Etats Unis connaissaient en moyenne une catastrophe d’un coût supérieur ou égal à 1 milliard de dollars tous les 4 mois, cette fréquence est aujourd’hui augmentée à une toutes les 3 semaines. En moyenne, les dégâts liés aux événements climatiques représentent un coût de 150 milliards de dollars par an aux Etats Unis. Ces coûts sont principalement supportés par les Etats de Floride, puis de Californie, Texas, Louisiane et Virginie. Est mis également en évidence l’impact multiplicateur des événements en cascade, pouvant s’étendre sur un vaste territoire à travers le pays, et ayant des répercussions multiples, comme les feux de forêts, les inondations ou les tempêtes.

Une synthèse des impacts liés aux risques climatiques est réalisée, décrivant les risques qui pèsent sur les systèmes alimentaires nationaux, l’eau, les logements, les infrastructures, ou encore la santé. Fait notable, l’angle économique et financier est utilisé par les rédacteurs pour décrire et chiffrer les impacts du changement climatique, qui se font déjà ressentir dans le pays. Le changement climatique n’est donc plus considéré comme une menace future, mais bien comme un défi actuel, qui peut se chiffrer économiquement (cf notre article de la newsletter de novembre sur le “coût social du carbone”). Il est ainsi évoqué que le changement climatique ralentit la croissance économique américaine, accroissant les coûts logistiques, perturbant le marché domestique et le commerce, et réduisant le pouvoir d’achat des ménages. Le rapport insiste sur les conséquences disproportionnées du changement climatique pour les communautés les plus vulnérables du pays. 

De plus, l’adaptation au changement climatique présente, selon les auteurs du rapport, des opportunités économiques intéressantes pour le pays. En synthèse, il est souligné que le coût de l’adaptation et de l’atténuation sera quoiqu’il arrive moins élevé que celui de l’inaction. Sont ainsi attendues des perturbations des économies traditionnelles (pêches, tourisme, agriculture, etc.) notamment pour les peuples autochtones et les communautés à bas revenus. Des pertes économiques liées au travail sont aussi attendues avec l’augmentation des événements climatiques extrêmes, ayant un impact négatif sur l’économie.

Cette prise de conscience de l’impact économique et financier du changement climatique aux Etats-Unis met en lumière l’importance du chiffrage économique et de l’évaluation des pertes potentielles dans la lutte contre le changement climatique, à l’image des fonds sur les pertes et préjudices mis en avant lors de la COP28.

Le rapport reflète ainsi une vision de l’état du changement climatique aux Etats Unis partagée par de très nombreux acteurs, fédéraux, étatiques, gouvernement locaux, acteurs non-gouvernementaux, monde académique, et secteur privé.  

L’étude souligne l’importance d’agir dès à présent, puisque les effets du changement climatique se font déjà ressentir sur le quotidien des Américains, et la situation ne fera que s’aggraver, voyant les risques climatiques s’amplifier. Le NCA5 recommande une réduction franche des émissions de GES, par l’intermédiaire de choix de société, décidés collectivement, sur l’énergie, les transports, les pratiques agricoles, la planification urbaine et l’usage des sols, l’efficacité énergétique etc. Le rapport met en avant la décarbonation du secteur de l’électricité comme fer de lance, en comptant sur une diminution du coût des technologies permettant d’espérer -hypothétiquement- une croissance des énergies renouvelables, permettant ainsi de poursuivre un rythme de croissance actuel sans devoir remettre en question les systèmes de production et de consommation du pays.  

 

Références : 

[1] : U.S. Energy Information Administration – EIA – Independent Statistics and Analysis

[2] : https://nca2023.globalchange.gov/

[3] : FACT SHEET: Biden-Harris Administration Releases Fifth National Climate Assessment and Announces More Than $6 Billion to Strengthen Climate Resilience Across the Country | The White House

[4] : Les Etats-Unis investissent dans l’élimination directe du CO2 atmosphérique – France-Science

[5] Batailles politiques et  judiciaires autour du “coût social du carbone”

Rédacteur: Théophile Altuzarra, Chargé de mission scientifique,Washington DC, [email protected]

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