Audition au Sénat du Prix Nobel de la Paix concernant le changement climatique : le "Goracle" a parlé

L’ancien Vice Président et Prix Nobel de la Paix Al Gore a été entendu longuement par la Commission des Affaires Etrangères du Sénat le 28 janvier. Il a alerté les membres de la Commission, de manière parfois dramatique, sur les risques liés à l’inaction face au changement climatique. Clairement partisan d’un leadership réaffirmé des Etats-Unis, il a énoncé les cinq facteurs clés de succès de la conférence de Copenhague et esquissé la liste des alternatives au charbon qu’il juge les plus prometteuses, le nucléaire n’en faisant pas partie.

Constat alarmant

Dans son introduction, le sénateur Kerry a rappelé l’importance de cette séance, la première de cette commission nouvellement installée, à 10 mois du sommet de Copenhague. Le Président de la commission a fait état des conclusions d’une récente étude de l’Université de Pennsylvanie, du MIT et du Heinz Center selon laquelle, si tous les pays parvenaient à tenir leurs engagements – à conditions qu’ils le puissent- la teneur atmosphérique en CO2 resterait à 600 parties par millions et la température moyenne pourrait augmenter de 4°C. Il a affirmé que "la science nous crie dans les oreilles". Le Sénateur Kerry s’est ensuite attaché à donner une indication des attentes du reste du monde par rapport aux Etats-Unis et à exhorter son pays à ne pas faire un arbitrage entre croissance économique et lutte contre le changement climatique mais à concilier les deux.

"Notre maison est en danger" a renchéri Al Gore, attribuant le lien étroit qu’il détecte entre le défi sans précédent du changement climatique, la crise économique mondiale et la sécurité nationale des Etats-Unis à un seul facteur commun : la dépendance envers les carburants fossiles. A cet égard, l’ancien Vice-Président fait l’analogie entre l’économie des Etats-Unis, "menottée aux montagnes russes des cours du pétrole" et affirmé que "lors de l’inévitable crash du train, les Etats-Unis seront dans le wagon de tête". Al Gore a ensuite présenté une version actualisée et abrégée de sa démonstration, dans laquelle il a notamment avancé les résultats d’une récente étude concernant la fonte des glaces de l’antarctique, après avoir montré à nouveau les images de la fonte de la banquise arctique au cours des 30 dernières années. Il a ensuite attiré l’attention des sénateurs sur les risques liés à la fonte des glaciers et à l’épuisement des ressources en eau, notamment en Asie, et rappelé que les experts de la sécurité nationale américaine considèrent que le changement climatique pourrait entrainer jusqu’à 200 millions de "migrants du climat". Après avoir également listé les phénomènes observés sur la forêt de l’Ouest des Etats-Unis et l’augmentation du nombre d’événements catastrophiques liés au climat, il s’est arrêté sur l’acidification des océans, qui justifie a elle seule, selon lui, qu’on cesse l’émission de CO2 d’origine anthropique – "même en l’absence de réchauffement".

Plaidoyer pour une action rapide

M. Gore a plaidé pour l’adoption rapide du plan de relance présenté par le Président Obama et pour une action immédiate de mise en oeuvre d’un système d’échange de permis d’émission, afin que les Etats-Unis "restaurent leur crédibilité et arrivent à Copenhague [1] avec une autorité renouvelée pour conduire le monde dans l’élaboration d’un traité juste et efficace. Ce traité doit être négocié cette année. Pas l’année prochaine. Cette année." a-t-il martelé. Malgré la présentation de données inquiétantes et de perspectives sombres, Al Gore s’est déclaré optimiste sur les chances d’aboutir, pour trois raisons principales : les signaux forts de l’administration Obama, les propositions constructives de pays émergents (Brésil, Indonésie), le changement progressif dans l’opinion publique américaine.

Solutions technologiques : le charbon honni, le solaire applaudi

Interrogé sur les solutions technologiques possibles, le Vice Président Gore a réaffirmé son opposition à la construction de toute nouvelle centrale thermique au charbon, arguant du fait que la technologie de capture et de stockage du CO2 était encore loin d’être déployable à grande échelle. Al Gore s’est également montré très réservé sur le potentiel de l’énergie nucléaire, alors qu’il en était un promoteur jusqu’à récemment, en raison du volume de déchets, des questions de prolifération à l’échelle mondiale et de l’incapacité des industriels américains à investir les sommes requises pour un véritable développement de cette technologie.

A contrario, Al Gore s’est montré très favorable à l’efficacité énergétique, à la géothermie et au premier chef, au solaire à concentration, dont il a affirmé qu’un carré dédié de 100 miles de côté (160 km) pourrait suffire à alimenter l’ensemble du pays, sous réserve que le réseau électrique soit fortement consolidé et optimisé. Le Vice Président a affirmé qu’à condition de réellement se mettre au travail, les Etats-Unis pouvaient obtenir "100% leur électricité de sources renouvelables ou sans carbone en l’espace de 10 ans".

Cinq facteurs clés de succès pour la conférence de Copenhague

Le Prix Nobel de la Paix s’est ensuite attaché à identifier les cinq facteurs qui selon lui détermineraient le succès d’un accord à Copenhague :
1. l’affirmation d’objectifs et d’échéances de caractère ambitieux de la part des pays industrialisés et l’acceptation d’obligations "différenciées mais obligatoires" par les pays en développement.
2. l’inclusion de la déforestation dans la négociation, car celle-ci est responsable de près de 20% de l’émission de CO2 d’origine anthropique dans l’atmosphère chaque année
3. l’addition de puits de carbone supplémentaires, provenant notamment des terres agricoles et de pâturage
4. la garantie offerte aux pays en développement qu’ils auront accès des mécanismes de financement pour l’adaptation au changement climatique
5. l’existence d’un régime de conformité et de vérification sans faille.

Ambiance sereine mais le débat n’est pas clos

Les sénateurs de la Commission se sont montrés à la fois impressionnés devant l’ampleur des risques présentés par leur témoin, admiratifs de son éloquence, et résolus à "faire tout ce qui est en notre pouvoir pour maintenir la pression" a affirmé le Président de séance. Néanmoins, alors même que le "Goracle" s’exprimait, des assistants parlementaires de sénateurs républicains à la Commission de l’Environnement et des Travaux Publics distribuaient dans la salle un communiqué de presse visant à discréditer James Hansen, climatologue du Goddard Space Institute à la NASA, sur le témoignage duquel Al Gore s’est toujours appuyé, ce qui laisse présager des débats moins consensuels lors de prochaines séances.

Todd Stern nommé Ambassadeur Climat des Etats-Unis

Quelques heures seulement après la présentation par le président Obama des mesures immédiates qu’il engageait dans le domaine de l’énergie, Hillary Clinton a annoncé le 26 janvier la désignation de Todd Stern comme "Special envoy for Climate change". Conseiller de la secrétaire d’Etat pendant la campagne pour les questions énergétiques et l’environnement, puis membre de l’équipe de transition, Todd Stern, diplomé d’Harvard en 1977 et conseiller juridique du Sénateur Leahy, a travaillé à la Maison Blanche sous l’administration Clinton, comme responsable des négociations sur le changement climatique de 1997 à 1999, M. Stern a été, après 2001, professeur à la Kennedy School of Government à Harvard puis ‘resident fellow’ au sein du German Marshall Fund.

L’intervention de Todd Stern à la conférence co-organisée par les Ambassades de France de Pologne et du Danemark, le 10 novembre 2008 -à laquelle participait également l’Ambassadeur français en charge des négociations sur le climat, Brice Lalonde- a été sa dernière apparition publique avant sa participation à l’équipe de transition. Il avait à cette occasion exposé les grandes lignes d’une politique étrangère américaine en la matière et mis l’accent sur le caractère impératif de l’engagement de tous les pays, au premier rang desquels la Chine qui peut "trouver son propre intérêt dans un chemin de croissance moins dépendant du charbon".

Le nouvel "envoyé spécial" va prendre ses fonctions de façon immédiate, la confirmation du Sénat n’étant pas nécessaire pour ce type de statut. Pour la secrétaire d’Etat, cette désignation va témoigner sans équivoque de la volonté des Etats-Unis d’agir de façon "énergique, déterminée, stratégique et sérieuse".

[1] La prochaine conférence de négociation du traité post-Kyoto se tiendra à Copenhague en décembre 2009

Source :

– Audition du Vice Président Al Gore – (texte des déclarations) : https://foreign.senate.gov/hearings/2009/hrg090128p.html
– Washington Post – 29/01/2009 : "With all due respect, we’re doomed" – https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/01/28/AR2009012803318.html

Rédacteur :

Marc Magaud ([email protected])

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