Le projet DUNE : un tournant dans les collaborations scientifiques internationales en physique des particules

Il y a une dizaine d’années, le Fermi National Accelerator Laboratory, ou Fermilab lançait le projet d’étude des neutrinos DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment). Ces particules quasi indétectables sont un sujet d’étude majeur de la recherche en physique des particules, puisqu’elles pourraient expliquer beaucoup de choses sur l’origine de la matière. Par ce projet d’un budget total de $2.5 milliards1, bénéficiant de nombreuses collaborations internationales, dont le CERN - une première aux Etats-Unis - Fermilab pourrait mener la recherche sur les neutrinos pour les décennies à venir.
Wilson Hall à Fermilab, Illinois.

Le projet DUNE s’inscrit dans la création du Long Baseline Neutrinos Facility (LBNF), qui consiste en la formation d’un faisceau de neutrinos de 1300 km de long, généré au sein du Fermilab à Batavia dans l’Illinois et se propageant à travers la croûte et le manteau terrestre jusqu’à Sanford dans le Dakota du Sud. Un détecteur souterrain sera placé au début du faisceau à Fermilab ; un deuxième, détectera les neutrinos arrivant au site de Sanford. Les neutrinos interagissant très peu avec la matière, le faisceau ne sera pas dévié.2

Il s’agira du plus long faisceau de neutrinos jamais créé. Jusqu’en 2012, le CERN avait un projet similaire, le Cern Neutrinos to San Grasso (CNSG), produisant un faisceau de 732 km. Le faisceau de neutrinos créé au Fermilab sera alimenté par le futur accélérateur de protons en construction sur ce site, le PIP-II (Proton Improvement Plan – II), dont le Department of Energy vient d’approuver la construction. A terme, il produira le faisceau de neutrinos le plus puissant au monde. La construction devrait être achevée au cours des années 2020.3

Le projet DUNE/LBNF et l’accélérateur PIP-II ont bénéficié de très nombreuses collaborations internationales : c’est la première fois aux Etats-Unis qu’un projet de ce type fasse l’objet de collaborations aussi importantes. Plus de 200 instituts répartis dans une trentaine de pays, ainsi que le CERN, collaborent sur le projet, en plus de nombreuses institutions américaines.4 Les partenaires français impliqués incluent le CEA Paris-Saclay, le CNRS, l’université Paris-Diderot et l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon. Le CNRS a notamment apporté son expertise dans la conception et la construction de cryo-modules, via les laboratoires de recherche internationale IN2P3 basés à Berkeley. D’autres pays collaborant de façon importante incluent le Brésil, le Royaume-Uni, l’Inde et l’Italie.5

C’est aussi la première fois que le CERN investit dans un tel projet aux Etats-Unis ; cette collaboration a été inscrite dans les priorités en physique des particules par l’Europe et les Etats-Unis. Le CERN a notamment produit des prototypes de taille réduite des détecteurs qui seront placés à Fermilab et Sanford, afin d’effectuer des tests et affiner leur conception. Ces prototypes sont déjà en fonctionnement et ont pu fournir des données importantes aux chercheurs.6 Un ancien détecteur de neutrinos du SGNS du CERN, ICARUS, a été envoyé aux Etats-Unis en 2017, après rénovation, et se trouve maintenant à Fermilab. Il est actuellement utilisé sur le dispositif d’étude des neutrinos sur courte distance.

Cette collaboration s’inscrit dans la stratégie de recherche et de développement du CERN. Son plan stratégique de 2020 révèle que la plupart des recherches sur les neutrinos de l’organisation se fera par le biais de collaborations: avec le Fermilab surtout, mais également avec le Japon. Le CERN place ses priorités ailleurs, avec un focus sur les recherches tournant autour du Boson de Higgs, découvert au sein de cette organisation en 2012.7 Ces stratégies suggèrent que les Etats-Unis, via Fermilab, prendront le leadership mondial en termes de recherche sur les neutrinos.

Ces récents développements suggèrent une ouverture des Etats-Unis vers l’international en physique des particules, et marque des liens renforcés avec le CERN. Pour ses priorités 2022, le Particle Physics Project Prioritization Panel (P5)8, panel qui définit les orientations stratégiques de la recherche en physique des particules aux Etats-Unis, a inscrit dans ses trois grandes priorités la poursuite des relations bilatérales avec le CERN, ainsi que l’avancement du projet DUNE, dans un contexte de collaborations internationales.9 Le prochain panel P5 devrait se réunir en septembre de cette année.

 

Rédactrice : Marie Poirot, Chargée de mission scientifique, Chicago, deputy-agro at ambascience-usa.org

 

 

Sources

1https://science.osti.gov/-/media/hep/hepap/pdf/201911/18-Merminga_LBNF_and_PIP-II.pdf

2https://www.dunescience.org/

3https://fscience-old.originis.fr/le-doe-approuve-la-construction-dun-nouvel-accelerateur-de-particules-au-fermilab/

4https://lbnf-dune.fnal.gov/about/international-partnerships/

5https://lbnf-dune.fnal.gov/about/countries-and-institutions-participating-in-dune/

6https://home.cern/news/news/physics/cerns-neutrino-success-story

7https://cerncourier.com/a/european-strategy-update-unveils-ambitious-future/

8https://www.usparticlephysics.org/wp-content/uploads/2018/03/FINAL_P5_Report_053014.pdf

9https://www.usparticlephysics.org/brochure/priorities/

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